La nausée

La nausée – Algérie, France, colonisation, crimes coloniaux, mémoire, massacres, génocide,

Par Mohamed Koursi

25avril 1945, le Duce est fusillé et pendu par les pieds au carrefour du Piazzale Loreto, à Milan. Hitler se suicide à Berlin six jours plus tard, et Little Boy et Fat Man mettent fin à la Seconde Guerre mondiale.

8 mai 1945, après cinq ans et huit mois du plus meurtrier des conflits qu’aient connus l’humanité, les carillons retentissent. L’Europe danse sur toutes les places publiques. À Bełżec, Sobibór, Treblinka, Auschwitz–Birkenau… le monde découvre l’horreur et se promet que plus jamais «une guerre de civilisation» au nom d’une race ne soit menée. Les Alliés promettent d’éliminer l’odeur de la Seconde Guerre mondiale, au moment où Sartre devient une star parisienne. L’existentialisme dont il se revendique rassure quelque part les Français qui veulent oublier Vichy. Il apporte la caution de celui qui n’a pas été collaborationniste sans être résistant. Avec Simone de Beauvoir, il fonde «Les Temps modernes» et se dirige mentalement vers une rupture avec les socialistes et les communistes qui venaient d’applaudir à la sanguinaire pacification dans l’Est algérien et qui voteront, une dizaine d’années plus tard, les pouvoirs spéciaux pour Massu.

Oui, quittons le continent européen. 8 mai 1945, les cloches des églises sonnent également dans les colonies. En Algérie, 150.000 indigènes ont pris les armes aux côtés des Alliés. La joie, la liesse, l’amour… Dans un discours radiodiffusé, De Gaulle pouvait affirmer, ce 8 mai : «Tandis que les rayons de la Gloire font une fois de plus resplendir nos drapeaux, la patrie porte sa pensée et son amour, d’abord, vers ceux qui sont morts pour elle, ensuite vers ceux qui ont, pour son service, tant combattu et tant souffert ! … Dans la joie et la fierté nationale, le peuple français adresse son fraternel salut à ses vaillants alliés… ». Le temps est-il venu pour des appels pacifiques à la liberté ? À Setif, Guelma, Kherrata et d’autres hameaux, la France, qui avait applaudi son général pour son sens de l’expression sur l’outrage fait à «Paris brisé, martyrisé, mais libéré», va, hélas, assassiner, exécuter, bombarder, brûler et faire disparaître des milliers de corps dans des fosses communes, pour faire taire cet appel.

Armée, police, milices, coupables d’assassinats de masse, enfants, femmes, personnes âgées désarmées abattues à bout portant. Dans les villages et les villes, les forces coloniales ont regroupé des Algériens, transportés dans des camions et jetés dans des ravins, alors que d’autres sont emmenés en dehors des villes pour être exécutés. Leurs corps brûlés sont ensuite ensevelis dans des fosses communes. Des fours à chaux ont été utilisés par l’armée française pour se débarrasser des cadavres. «Du soir au matin, on empilait dans le four à chaux (le «four crématoire des minoteries Lavie», à Héliopolis, près de Guelma) les corps des fusillés… Pendant dix jours, on brûla sans discontinuer. L’odeur à la ronde était insupportable. Il suffit d’interroger les habitants de l’endroit…». Il fallait faire disparaître les preuves. «Avec la venue de l’été, la chaleur monte… et l’odeur de la mort. Vers Guelma, faute de les avoir tous enterrés assez profond ou brûlés, trop de cadavres ont été jetés dans un fossé, à peine recouverts d’une pelletée de terre.

Les débris humains sont transportés par camion. Le transport est effectué avec l’aide de la gendarmerie de Guelma pendant la nuit. C’est ainsi que les restes des 500 musulmans ont été amenés au lieu-dit «fontaine chaude» et brûlés dans un four à chaux avec des branches d’oliviers.»

Il ne s’agit pas d’une folie meurtrière localisée dans une région, mais d’un programme d’extermination validé au plus haut sommet de l’État. La France humiliée, disloquée en trois semaines par la Wehrmacht, marquée du sceau de l’infamie par Vichy, pensait laver son affront en Algérie sur des «indigènes» désarmés, femmes et enfants qui défilèrent en brandissant, croyaient-il légitimement, le drapeau algérien. Après tout, on fêtait la Libération, et nous, Algériens, avons participé à cette victoire. De Gaulle, dès le 10 mai, envoie un télégramme au gouverneur de l’Algérie : «…Veuillez affirmer publiquement la volonté de la France victorieuse de ne laisser porter aucune atteinte à la souveraineté française sur l’Algérie. Veuillez prendre toutes les mesures nécessaires pour réprimer tout agissement anti-français d’une minorité d’agitateurs… ». La commission Tubert (du nom du général qui l’a présidée), chargée d’enquêter sur ces massacres, reçut l’ordre de rentrer sur Alger. Son rapport jamais terminé est resté frappé du sceau de secret-défense des décennies. Peut-être qu’à Paris, on n’aimait pas l’odeur de la campagne algérienne… Dix ans plus tard, cette même France va gazer des Algériens. Ce même De Gaulle va donner le feu vert par la création de «sections spéciales» qui vont opérer dans le plus grand secret (même les autres corps d’armées ne sont pas au courant), pour «nettoyer» les grottes. Armés de gaz, masqués, habillés de combinaisons, ils vont traquer, pourchasser, bloquer dans des grottes, les combattants de l’ALN, mais aussi des femmes, des enfants et personnes âgées qui ont cru échapper aux zones interdites, aux centres de regroupements et au napalm.

ET L’ODEUR?

«Elle était âcre. Comme certains produits qu’on emploie pour nettoyer, exactement la même odeur [… ]. On appelait ça les “chandelles à gaz”, qui équivalaient à des centaines de grenades. Celui gazé par ça, s’il restait un quart d’heure, il était mort, asphyxié. Ça attaquait les poumons.» un siècle auparavant, En 1845, dans des grottes du massif du Dahra, à Nekmaria (Mostaganem), le lieutenant-colonel Aimable Pélissier piégea les Ouleds riahs, y entassa des fagots de bois, alluma le feu et les enfuma, devenant ainsi, avec presque un siècle d’avance, l’un des pères des chambres à gaz. «Pendant des heures, on entend, venant des grottes, des hurlements de bêtes et d’êtres humains mêlés aux craquements sourds de la roche qui éclate par endroits sous l’effet de la chaleur. Deux jours plus tard, quand les premiers soldats s’avancent en reconnaissance, il règne sur les lieux un silence de sépulcre. Le sol est jonché de plusieurs centaines de cadavres de moutons, d’ânes, de bœufs, de femmes, de vieillards, d’hommes et d’enfants.»

Politis, mai 2022

#Algérie #France #Crimes_coloniaux #mémoire

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*