Chine, Turquie, Russie: des acteurs incontournables en Afrique – Forum sur la coopération Chine-Afrique
Lors du Forum sur la coopération Chine-Afrique, à Diamniadio au Sénégal, le président chinois Xi Jinping a promis un milliard de doses de vaccins anti-Covid-19. Les sommets de la Turquie et de la Russie vont suivre.
Un milliard de doses de vaccins contre la Covid-19, 10 milliards de dollars d’investissements directs de la Chine en Afrique, une coopération multilatérale sur tous les secteurs… le président chinois, Xi Jinping, compte clairement écarter toute concurrence étrangère en Afrique.
Le discours du chef de l’Etat chinois n’était pas prévu lors de ce Forum sur la coopération Chine-Afrique (Focac), qui n’est généralement pas un sommet de haut niveau. Toutefois, avec les accusations lancées, à demi-mots, par le secrétaire d’Etat américain Antony Blinken vis-à-vis de la Chine en marge de sa dernière tournée africaine, le diplomate avait tenté de replacer les Etats-Unis au centre du jeu, alors que depuis 2015, la masse totale des échanges commerciaux des Etats d’Afrique subsaharienne avec la Chine sont deux fois plus importants que ceux avec les Etats-Unis.
Avec toutes les promesses de Xi Jinping, la Chine remet les pendules à l’heure. Et montre par la même occasion que les ambitions américaines sont bien loin de celles de son pays.
Hôte du Focac, le président du Sénégal Macky Sall était présent, entouré notamment de ses homologues comorien, congolais et sud-africain. Les chefs d’Etats africains ont demandé à ce que les « conditions du partenariat » entre l’Afrique et la Chine soient revues avec « le respect qui sied » à ce genre d’échanges. Le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a enfoncé le clou en qualifiant le sommet chinois d’« excellent exemple de coopération internationale ».
Faut-il pour autant, à ce point, louer la présence chinoise en Afrique ? La coopération entre l’empire du Milieu et l’Afrique s’est, par le passée, basée sur des accords qui mettaient en avant de « nouvelles routes de la soie ». Ces accords ont en réalité paru inquiétants, tant ils ont mis en lumière un « piège de la dette » de laquelle les Etats africains ont, parfois, du mal à se sortir.
La Chine impose ses règles
Certes, la Chine est la première puissance mondiale en termes de présence en Afrique. Le continent reçoit 45 % du total des aides chinoises affectée aux pays étrangers. La Chine a tissé des liens diplomatiques avec 53 pays africains et on compte aujourd’hui 160 jumelages entre des villes chinoises et africaines.
Depuis le début de la crise sanitaire, Pékin a déjà fourni 200 millions de doses de vaccin aux pays africains. En termes d’économie, les entreprises chinoises ont dépassé, en 2020, 43 milliards de dollars d’investissements directs en Afrique. Le volume du commerce chinois en Afrique a dépassé les 185 milliards de dollars. Et la Chine a financé la construction de 13 000 kilomètres de routes, de 80 centrales électriques et stations énergétiques, de 45 installations sportives, de 124 hôpitaux et de 173 écoles en Afrique. Et pour ce qui est de la sécurité, 30 000 des 48 000 Casques bleus chinois à travers le monde sont déployés en Afrique. Des indicateurs impressionnants, qui ne prennent pas en compte les lignes de crédit et autres soutiens financiers.
Mais quels sont les réelles motivations de cette générosité inouïe ? La Chine mène une politique d’expansion économique et diplomatique agressive en Afrique, aux dépens des Etats-Unis qui, depuis le second mandat de Bill Clinton, n’ont pas réussi à ouvrir une seule ambassade ou un seul consulat sur le continent. Et depuis 2014, le commerce entre les USA et l’Afrique ne fait qu’enregistrer des baisses impressionnantes.
Pour en arriver là, la Chine s’est beaucoup inspirée de la stratégie européenne en Afrique. Le « piège de la dette » n’est en effet pas une invention chinoise. Mais Pékin a été encore plus offensif que le Vieux-Continent : si les lois européennes empêchent les saisies de biens souverains d’Etats africains par des entreprises privées, la Chine a réussi à imposer ses propres règles aux différents pays.
L’Occident a beau prévenir que la Chine n’est pas un partenaire recommandable pour l’Afrique, les chefs d’Etat du continent sont devenus sourds aux incessants cris d’alarme européens ou américains.
La Chine, alternative crédible à l’Occident
Car à choisir, les dirigeants autrefois liés aux ex-puissances coloniales ont préféré se tourner vers la Chine, se sentant pris au piège de la dette dans lequel la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) poussent inexorablement les pays africains. Les deux instances financières sont accusées de proposer des « prêts prétoriaux » depuis des décennies.
« Pour l’Afrique, opter pour des banques chinoises qui, pourtant, ont imposé en Angola, en Afrique du Sud, au Kenya, en Zambie ou en Egypte des prêts d’investissement conditionnés par la saisie des infrastructures régaliennes, est le résultat de la politique néo-colonialiste des instances financières internationales », s’emporte un spécialiste.
Alors que, en 2020, Oxfam a accusé le FMI d’utiliser « son pouvoir par le biais de prêts de secours pendant la pandémie de Covid-19 pour imposer l’austérité aux pays pauvres », et que les pays africains les plus industrialisés sont à bout face à l’inflexibilité de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) quant à l’octroi des licences de fabrication des vaccins, la Chine a montré une certaine rapidité d’intervention. Le Coronavac est, aujourd’hui, le seul vaccin produit en Afrique — en Algérie et en Egypte —, en attendant les licences d’urgence de Spoutnik V et Moderna.
Certes, les doses de vaccin promises par Xi Jinping sont indispensables aujourd’hui pour l’Afrique. Et après les promesses non tenues de l’Occident, les promesses chinoises apparaissent plus crédibles. La Chine a déjà fait don de 200 millions de doses. En attendant, les pays occidentaux sont à la traîne : Joe Biden a promis 17 millions de vaccins à l’Afrique samedi dernier ; les Européens, eux, ont donné 130 millions de doses.
Un sommet Russie-Afrique sous l’égide du Sénégal
Si cette guerre vaccinale est clairement à l’avantage de la Chine, d’autres acteurs étrangers profitent également du déclin occidental en Afrique pour s’imposer sur d’autres marchés. C’est le cas de la Russie et la Turquie.
Du côté de Moscou, on parle business mais également politique. La Russie a préféré lancer des partenariats bilatéraux avec des pays idéologiquement proches. Et, de ce fait, l’engagement de la Russie dans certains pays africains est total, à l’image de la République centrafricaine (RCA), de l’Algérie, de l’Ethiopie et, plus récemment, du Mali. Un engagement qui se traduit souvent en termes de coopération militaire et de contrats d’armement. Moscou travaille également sur la culture, la santé et l’éducation.
Quand elle négocie avec les pays africains, la Russie adopte généralement une stratégie « win-win », qui ne déplait pas aux diplomaties africaines cherchant des alliés stratégiques respectueux, mais conscientes de l’importance de l’autonomie et de la souveraineté.
La Russie cherche cependant à nouer des partenariats dans de nouveaux secteurs de coopération. Le Sommet Russie-Afrique de Sotchi a positionné l’industrie d’armement russe à la tête des adjudicateurs du secteur en Afrique, en à peine deux ans. Le prochain Sommet Russie-Afrique, lui, se tiendra selon nos informations à Saint-Pétersbourg dans les prochains mois. Si sa date est encore inconnue, après un premier report, le Journal de l’Afrique a appris que le président du Sénégal — qui sera le président de l’Union africaine (UA) en 2022 —, Macky Sall, en serait le vice-président.
Une montée au créneau du chef de l’Etat sénégalais qui prend tout son sens lorsque l’on sait que Macky Sall est l’un des rares dirigeants africains à maintenir des relations cordiales avec tous les fronts internationaux. Et si la Russie cherche à s’imposer en Afrique dans de nouveaux secteurs de coopération, sans pour autant se heurter à la résistance occidentale, ou même africaine, peu d’interlocuteurs seront aussi convaincants que Macky Sall. La capitale sénégalaise, Dakar, est devenue ces dernières années le lieu de rencontres favori entre les diplomates africains et les investisseurs étrangers.
La Turquie et la percée stratégique d’Erdoğan
La Turquie, quant à elle, met l’accent sur ses deux points forts : le commerce et la diplomatie. D’un côté, le volume de commerce turc — 28 milliards de dollars en 2020 — prend des proportions proches des chiffres de la France — 34 milliards de dollars d’échanges. L’attribut principal du commerce turc réside dans son engagement direct sur les marchés nationaux. La Turquie vise avant tout une intégration régionale. A titre d’exemple, les entreprises turques favorisent les exportations de marchandises tanzaniennes en Angola ou au Mozambique. Elles sont également omniprésentes en Tunisie, où elles exportent leurs marchandises vers la Libye et l’Algérie.
Un modèle unique qui permet à la Turquie d’accentuer sa présence diplomatique en complément de la présence de ses hommes d’affaires. L’hyperactivité des ambassades turques en Afrique permet à Ankara d’établir une présence culturelle dans plusieurs pays : les pays africains musulmans sont ceux qui ouvrent le plus les secteurs de l’éducation et de la culture à la Turquie. Dans plusieurs pays africains, on enseigne d’ailleurs de plus en plus le turc, et les ménagères regardent désormais les feuilletons turcs, dont certains sont traduits dans les langues locales.
Et alors qu’en Afrique francophone, le sentiment antifrançais ne fait que grandir, la Turquie est une force silencieuse qui grappille, peu à peu, des parts de marché dans la région. Recep Tayyip Erdoğan ne manque d’ailleurs jamais une occasion de tacler la politique de son homologue français Emmanuel Macron.
Alors que les pays occidentaux n’arrivent pas à se débarrasser de leur image de puissances coloniales, la Turquie, elle, propose des dons humanitaires dans les pays en crise, sans contrepartie. Les 17 et 18 décembre prochains aura lieu le Sommet Afrique-Turquie. Comme pour la Chine et la Russie, ce rendez-vous devrait donner lieu à des annonces importantes.
Le journal de l’Afrique, 30/11/2021
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