Maroc, Canada, police – « T’es pas assez forte »: une marocaine défie les préjugés
Lamiae Ouarab a grandi avec des parents qui se méfiaient de la police. Longtemps, elle a été sur ses gardes elle aussi.
La jeune femme de 20 ans, qui est née au Maroc et a immigré au Québec à l’âge d’un an, est retournée presque chaque année dans le pays de sa naissance, croisant de nombreux policiers aux comportements douteux. Elle en a gardé l’impression que la police n’était pas digne de confiance — une perception que ses parents lui ont aussi inculquée.
«La police, au Maroc, c’est plus répressif, c’est plus corrompu», a observé Lamiae. Elle a été notamment marquée par un geste relativement bénin, mais improbable au Québec. Elle a vu un de ses oncles remettre une poignée de dirhams — la monnaie locale — à un patrouilleur qui a accepté de lui retirer une contravention pour excès de vitesse.
Alors qu’elle terminait sa cinquième secondaire à l’École des sentiers, à Charlesbourg, et se demandait où elle s’inscrirait au cégep, Lamiae a eu une révélation. Elle voulait faire un métier sans trop de routine et avoir un impact dans la vie des citoyens aux moments où ils en avaient le plus besoin. Pourquoi ne deviendrait-elle pas policière?
Un soir, assise sur son lit dans sa chambre, elle a discuté avec son père et sa mère de sa volonté de s’inscrire en techniques policières. Ses parents, qui avaient immigré au Québec spécifiquement pour offrir une éducation universitaire à leurs enfants, ne l’ont pas trouvé drôle.
Déjà qu’ils se méfiaient de la police, ses parents ne voulaient pas en plus que leur fille adorée gagne sa vie en luttant contre des criminels. De toute façon, le père estimait que sa fille n’avait pas ce qu’il fallait pour devenir policière, se souvient Lamiae.
Il lui disait : «T’es pas assez grande, t’es pas assez forte», se souvient Lamiae. La réaction parentale a eu l’effet d’une douche froide.
« C’est sûr que mon moral, mon estime personnelle, ça a beaucoup baissé. Et je suis quelqu’un qui veut vraiment plaire à ses parents. Je suis la fille à papa, alors je voulais vraiment que mes parents soient d’accord avec [mon choix]. »
— Lamiae Ouarab
Par l’entremise de sa fille, le père de Lamiae a décliné notre demande d’entrevue.
«Prends-le, prends le pas, c’est là que je m’en vais»
Lamiae n’est pas la seule aspirante policière à avoir affronté la réticence parentale. Depuis plusieurs années, les services de police, dont celui de Québec, constatent sur le terrain une méfiance envers la police dans certaines communautés culturelles.
Né d’une mère brésilienne et d’un père québécois, Laurent Lebeuf, 20 ans, un étudiant de 1re année en techniques policières au Cégep Garneau, a affronté une opposition parentale similaire à celle de Lamiae.
Sa mère, qui est arrivée au Québec dans la vingtaine, avait une image de la police brésilienne «sous-payée», «corrompue» et «assassinée» par des organisations criminelles, décrit Laurent. Elle ne voulait pas que son fils s’inscrive en techniques policières.
« Elle était contre ça. Elle préférait que je fasse architecture, génie civil, un autre domaine complètement. Elle a même appelé ma famille du Brésil pour qu’ils essaient de me convaincre de changer d’idée! »
— Laurent Lebeuf
Devant l’opposition familiale, Laurent a étudié un an en administration au cégep avant d’abandonner, faute d’intérêt. Il n’a pas tardé à se réorienter en techniques policières. «J’ai dit à ma mère : “c’est ça que je veux faire de ma vie. Prends-le, prends le pas, c’est là que je m’en vais”.»
Au départ, Lamiae aussi a plié face au refus de ses parents. Au cégep, elle s’est inscrite en soins infirmiers. Elle a fait une session pour réaliser qu’elle n’avait aucunement la flamme, puis une deuxième en sciences humaines.
Entre-temps, Lamiae a eu un conflit avec ses parents à propos de l’islam. «Ils ne voulaient pas que leur fille perde cette religion-là, dit-elle. Mais je me voyais vraiment pas là-dedans.»
Lamiae est partie de la maison, déménageant dans un appartement avec son (ex) copain. C’est là qu’elle a senti la liberté de s’inscrire dans le programme de son choix. La sélection n’a pas été difficile : techniques policières au Cégep Garneau.
Encore fallait-il qu’elle soit admise. Le programme de techniques policières du Cégep Garneau est très sélectif. Chaque année, il y a entre 400 et 500 candidats. Entre 80 et 90 aspirants policiers sont retenus.
Lamiae craignait que ses difficultés en français nuisent à son dossier scolaire, qui compte pour 60 % de la note attribuée aux candidats en techniques policières à Garneau. Mais elle avait obtenu de bonnes notes dans ses cours au cégep — ce qui était pris en compte dans son dossier.
Lamiae, une adepte de cross-country, était cependant rassurée par le test physique (40 % de la note). Elle se souvient entre autres d’avoir passé haut la main le fameux «test du bip», très connu dans les écoles québécoises, qui consiste à faire des allers-retours en augmentant la vitesse, jusqu’à l’épuisement.
Lamiae a été admise au programme de techniques policières en 2019. Elle effectue maintenant sa troisième année. Récemment, elle a senti la passion du métier en faisant des simulations d’interventions policières. «J’ai vu que c’est vraiment ça que je veux faire plus tard.»
Elle aimerait devenir enquêtrice aux dossiers de violence conjugale à la police de Québec ou à la police de Montréal.
Depuis qu’elle étudie en techniques policières, Lamiae a fait la paix avec parents. «Ils ont compris ce que je voulais faire, ils comprennent que c’est pour des bonnes raisons, dit-elle. Je leur parle de mes cours et ils voient aussi que ça change, la police.»
La Voix de l’Est, 20/11/2021
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