L’érosion des côtes du Maghreb

L’érosion des côtes du Maghreb – Au Maghreb, la santé du littoral et des plages joue un rôle important pour assurer un revenu aux populations

Les zones côtières du Maghreb revêtent une importance capitale non seulement pour la préservation de la biodiversité — le bassin méditerranéen fait partie des 25 principales zones critiques de biodiversité au monde (a) —, mais aussi pour le développement de l’économie bleue, synonyme de production de richesses, de création d’emplois et de source de revenus. La majorité de la population maghrébine vit sur le littoral ou à proximité, et de nombreux habitants sont tributaires des zones côtières qui pourvoient à leur subsistance. En Tunisie (a), par exemple, le tourisme et les activités en lien avec ce secteur, qui fournissent un emploi à quelque deux millions de personnes, ont contribué à 14,2 % du PIB en 2018 ; au Maroc (a), cette part ressortait à environ 18,6 % du PIB en 2017, assurant 16,4 % des emplois. L’intégrité des zones côtières et maritimes influe également de manière directe ou indirecte sur d’autres secteurs, comme la pêche. Les emplois de l’économie bleue (pêche, tourisme…) sont particulièrement importants pour les ménages à faible revenu ; leur disparition ferait basculer de nombreux pêcheurs et employés du tourisme dans la pauvreté, une situation comparable aux perturbations que la pandémie de COVID-19 a engendrées. Le recul des plages saperait les nombreuses sources de revenus de l’économie bleue ; ce processus lent, déjà enclenché, a fait (à moitié) disparaître des plages et devrait s’accélérer avec les changements climatiques.

L’érosion du littoral au Maghreb : des preuves tangibles

L’érosion du littoral constitue une grave menace pour les moyens de subsistance des populations côtières. Dans un rapport récent, notre équipe a mené une évaluation des modifications du paysage côtier, en termes de superficies perdues et gagnées. Elle a constaté qu’entre 1984 et 2016, l’érosion des plages du Maghreb a atteint un rythme moyen de 15 centimètres (cm) par an, soit plus du double de la moyenne mondiale (7 cm) ; seules les côtes d’Asie du Sud reculent à un rythme plus élevé (voir figure 1). La Tunisie subit le taux d’érosion le plus important, avec un retrait annuel de près de 70 cm en moyenne, suivie de la Libye (28 cm). Au Maroc, le littoral sablonneux disparaît au rythme moyen de 12 cm par an sur la façade atlantique et de 14 cm sur la côte méditerranéenne (près de deux fois plus que la moyenne mondiale). Face à l’élévation du niveau de la mer et à la fréquence accrue des phénomènes météorologiques extrêmes, ces phénomènes d’érosion vont s’exacerber à terme (a). En l’absence de mesures d’adaptation, les populations littorales et leurs moyens de subsistance risquent d’être durement frappés par l’intensification de l’érosion, les risques d’inondation et la pollution côtière.

Figure 1 : Le Maghreb est la deuxième région du monde où l’érosion du littoral est la plus rapide

Érosion côtière nette par région, taux moyen de 1984 à 2016

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Note : Les colonnes en orange correspondent aux différents groupes de pays au sein de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord.

Source : D’après Luijendijk et al., 2018.

Quelles sont les causes de l’érosion côtière ?

Le littoral évolue constamment : certaines zones peuvent gagner du terrain (aggradation) et d’autres en perdre (érosion). Les activités humaines telles que l’extraction de sable, le développement d’infrastructures côtières ou la construction de barrages sur les fleuves à l’intérieur des terres peuvent modifier considérablement ces mécanismes naturels, et ce, à des degrés divers (voir figure 2). En Afrique du Nord, les pressions anthropiques constituent les principaux facteurs (a) d’érosion côtière.

Figure 2 : Les activités humaines influent sur l’érosion du littoral, tout comme la menace imminente des changements climatiques

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Source : Giardino et al., 2018.

L’érosion côtière n’est pas un processus homogène sur le littoral. Notre équipe s’est associée au Centre national d’océanographie (NOC) (a) au Royaume-Uni et à l’Agence spatiale européenne (ESA) (a) pour comprendre en détail ce phénomène. Grâce à cette coopération, nous avons pu obtenir un jeu de données maillées très précis, capable de détecter les « points chauds » de l’érosion côtière. La figure 3 ci-dessous montre les résultats de cette analyse pour le littoral méditerranéen marocain : certaines zones se sont érodées en un faible laps de temps (le trait de côte reculant de quelques mètres par an), d’autres n’ont pas beaucoup changé et d’autres endroits montrent un littoral en progression.

Figure 3 : Évolution du littoral méditerranéen du Maroc

Points chauds de l’érosion côtière

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La plage d’Hammamet, au sud de Tunis, offre un exemple éloquent (voir figure 4). En l’espace de 13 ans (2006 à 2019), plus de la moitié de la plage a disparu.
Figure 4 : Érosion côtière sur la plage d’Hammamet en Tunisie

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Note : En orange, la plage en 2019 ; en vert clair, sa superficie en 2006.

L’érosion du littoral au Maghreb : un coût économique et social

Notre équipe a également évalué les répercussions économiques de l’érosion côtière au Maghreb. Il en ressort que les coûts annuels liés aux pertes de terres et d’infrastructures représentent environ 2,8 % du PIB en Tunisie, 0,7 % en Libye, 0,4 % au Maroc et 0,2 % en Algérie. L’écart important des coûts liés à la destruction des biens s’explique par de nombreux facteurs, comme le taux d’érosion, le degré d’urbanisation et le prix du foncier. Ces coûts sont en outre minorés dans la mesure où ils n’intègrent pas des valeurs comme le manque à gagner dans le tourisme. Or, le rétrécissement des plages pourrait largement peser sur l’économie bleue des pays de la région où le tourisme occupe une place centrale. Les chiffres pour les pays d’Afrique de l’Ouest (a) laissent entendre que chaque année, la part de ces coûts indirects pourrait représenter jusqu’à 45 % des coûts directs.

Celles et ceux qui vivent de l’économie bleue, dans le secteur de la pêche et du tourisme notamment, sont en majorité employés de manière informelle : ils ne disposent d’aucun filet de sécurité sociale et sont particulièrement exposés aux pertes de revenus dues à l’érosion côtière. Au Maroc, par exemple, les quelque 700 000 personnes employées dans la pêche et la transformation du poisson travaillent souvent dans le secteur informel. L’informalité est moins répandue dans le tourisme, mais malgré tout bien présente. En Tunisie, la contribution du secteur informel à l’économie atteint 30 à 40 % du PIB (a), une grande partie des actifs, surtout les jeunes, étant employée dans le secteur du tourisme. L’érosion côtière ronge lentement, mais sûrement, une part importante de leur travail et les fragilise toujours plus.

Des politiques pour contrer l’érosion côtière

Dans les pays du Maghreb, l’adoption d’une trajectoire de développement vert, résilient et inclusif passe par une gestion durable des côtes. Et si certains facteurs d’érosion côtière, comme ceux provoqués par le changement climatique, échappent au contrôle immédiat des pays, ces derniers peuvent toutefois agir sur plusieurs fronts. Il s’agit avant tout de lutter contre l’érosion côtière et de piloter le développement du littoral, en se fondant sur une vision globale des changements dans le paysage côtier et des différents acteurs concernés par ces aménagements. Ce défi nécessite la mise en œuvre de programmes globaux de gestion intégrée des zones côtières (GIZC), comme le tout récent schéma régional du littoral dans la région de Rabat-Salé-Kénitra (nord du Maroc), déployé avec le soutien de la Banque mondiale et de l’Italie. Ces dispositifs peuvent s’accompagner d’incitations fiscales. C’est le cas en France, où les recettes d’une taxe sur les travaux de construction côtière sont redistribuées aux autorités locales, afin d’appuyer les politiques foncières qui contribuent à la conservation des zones côtières.

Dans le cadre des programmes de GIZC, certaines mesures d’ingénierie concrètes peuvent également lutter contre l’érosion côtière. L’accent devrait être mis sur les solutions fondées sur la nature, pour une plus grande résilience des actifs côtiers, tout en revitalisant les écosystèmes essentiels : stabilisation des dunes par la végétation, plantation d’herbiers marins ou encore réhabilitation des récifs coralliens. Les mesures dites « douces », comme le rechargement des plages ou l’installation de brise-vent qui favorisent l’ensablement, sont également des options viables. La Tunisie a adopté plusieurs mesures douces pour lutter contre l’érosion côtière, avec notamment l’érection de plus de quatre kilomètres de palissades en pin (a) pour stabiliser les dunes. Les initiatives de stabilisation et de rechargement des plages doivent toutefois se doubler de mesures d’interdiction effectives de l’extraction illégale de sable. De même, la suppression ou la rénovation des barrages favorisent le transport des sédiments, permettant ainsi de réduire l’érosion côtière (a) en aval.

L’érosion côtière grève considérablement le développement de l’économie bleue du Maghreb. Les coûts sont appelés à augmenter, exacerbés par l’élévation du niveau de la mer et des événements climatiques extrêmes. À l’avenir, les États du Maghreb devraient renforcer leur préparation à la lutte contre les effets néfastes de l’érosion côtière. Cela passe par l’adoption et la poursuite de programmes de gestion intégrée des zones côtières, ainsi que par la promotion de solutions de protection naturelles. Le rapport Blue Skies, Blue Seas à paraître formulera des recommandations sur la manière d’aborder le recul des côtes maritimes dans un contexte régional plus large.

La Banque Mondiale, 29/10/021

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