Quand le Maroc s’embourbe au Sahara Occidental. Depuis des décennies Rabat tente vainement d’inclure les territoires occupés du Sahara occidental dans les accords commerciaux avec l’UE.
Le 29 septembre dernier, le Maroc a essuyé un sévère désaveu suite à l’annulation par le Tribunal de l’Union européenne de deux accords commerciaux incluant les territoires occupés du Sahara occidental. C’est depuis des décennies que le royaume de Mohamed VI tente vainement d’inclure les territoires occupés du Sahara occidental dans les accords commerciaux avec l’Union européenne. Une option qui s’est avérée, au fil du temps, coûteuse sur le plan diplomatique et surtout elle saigne massivement les caisses d’un pays dirigée par un mazkhzen suicidaire. Surtout que le Maroc a adossé depuis peu son destin –et celui de son peuple– à Israël, un Etat factice bâti lui aussi sur l’occupation et le mensonge.
Faisant fi du droit international, l’Union européenne a signé en 2018 et 2019 des accords de pêche et agricole avec le Maroc tout en incluant les territoires occupés du Sahara occidental. Pourtant et depuis 1963, la décolonisation du Sahara occidental est inscrite à l’ONU en tant que territoire non autonome et donc soumis à un référendum d’autodétermination. Mais qu’en est-il alors de ces accords entre le Maroc et l’Union européenne qui ont été annulés par le tribunal européen ?
En 2018, la Commission européenne finalise un rapport sur les bénéfices pour la population du Sahara occidental et sur la consultation de cette population, de l’extension de préférences tarifaires aux produits originaires du Sahara occidental. Et sur la base de ce rapport que l’Union européenne devait trancher la question de l’élargissement des accords avec le Maroc aux territoires occupés du Sahara occidental. Dans le document final de la Commission européenne et concernant le secteur de la pêche il est mentionné que les produits de cette activité génèrent des recettes d’exportations allant de 100 millions à 200 millions d’euros en 2015 et 2016. De ce montant 40 millions d’euros sont versés par l’UE au Maroc en contrepartie de licences de pêche octroyées aux bateaux européens dans les eaux territoriales du Sahara occidental. Des licences qui profitent surtout aux pêcheurs français et espagnols.
Le secteur de la pêche emploie près de 45 000 personnes, à majorité marocaine. Le rapport reconnaît que l’Union européenne avait auparavant cofinancé des investissements dans ce territoire occupé censés être rentabilisés. Mais le document omet de signaler que la surpêche et le pillage des eaux très poissonneuses du Sahara occidental vont inévitablement épuiser les richesses marines, à l’exemple de ce qui se passe au Sénégal et en Mauritanie. Concernant l’agriculture, le rapport de l’Union européenne fait état de l’existence d’une culture des primeurs qui est très consommatrice d’eau alors que les ressources hydriques au Sahara occidental sont rares et n’arrivent même pas à couvrir les besoins des populations autochtones.
Parmi les propriétaires de ces terres nous trouvons la holding qui appartient au roi du Maroc et à quelques colons français. L’eau est mobilisée en priorité pour eux. Situées dans la région occupée de Dakhla, ces terres agricoles sont alimentées en énergie électrique à partir d’une centrale éolienne appartenant à Aziz Akhanouch l’actuel premier ministre marocain et ami de Mohamed VI.
Pour que la culture des primeurs soit rentable le prix très élevé de l’électricité produite à partir des éoliennes appartenant à l’actuel premier ministre est subventionné par le trésor marocain. Au Maroc, le prix de vente de l’électricité est trois fois plus cher qu’en Algérie.
Ces quelques vérités ne sont évidemment pas mentionnées par les rédacteurs du rapport de la Commission européenne. Mais ces derniers évaluent tout de même le montant des exportations agricoles à partir des fermes des colons de Dakhla à 65 millions d’euros par an. Il est également mentionné que l’agriculture ne profite pas aux sahraouis des territoires occupés. « Il a été affirmé que cette activité ne bénéficierait pas aux populations locales…Lors des récoltes les travailleurs saisonniers sont ramenés du Maroc » précise le rapport.
Mais la partie la plus pertinente dans ce rapport concerne l’exploitation du phosphate. « En 1968, du temps de la colonisation espagnole, il y avait 1600 Sahraouis employés dans les mines de phosphate du Sahara occidental. La plupart des travailleurs ont été remplacés par des marocains qui se sont installés dans le territoire. L’industrie n’emploie plus actuellement que 200 sahraouis sur une main d’œuvre de 1900 » précisent les rédacteurs de ce document.
Avant d’ajouter que « les employés sahraouis souffriraient de discrimination par rapport à leurs collègues marocains. De plus, très peu de Sahraouis auraient bénéficié d’avancement depuis 1975 » précise le rapport européen. Une discrimination qui touche l’ensemble de la population sahraoui dans les territoires occupés. En 2018 et alors que le taux moyen du chômage au Maroc était de 9% , au Sahara occidental il dépassait les 15%, touchant le plus les jeunes sahraouis. En 2018 et en 2019, malgré le fait que le rapport reconnaît que le Sahara occidental est un territoire non autonome, et que les richesses de ce pays ne profitent pas aux Sahraouis, l’Union européenne décide tout de même d’élargir les accords de pêche et agricole aux territoires occupés. Evidemment, la France et l’Espagne ont pesé de tout leur poids en faveur du Maroc.
L’annulation des deux accords par le tribunal de l’Union européenne ne fait que rétablir la justice au profit d’un peuple opprimé qui ne profite pas des richesses de son pays. Et selon certains médias européens, encore une fois, la France et l’Espagne ont été les seuls pays qui se sont opposés à la décision d’annulation prononcé par le tribunal.
Un mur trop cher
« Le développement récent du Sahara occidental demeure fragile. Ces activités économiques s’articulent autour d’un nombre limité de filières : la pêche et la transformation des produits de la pêche, les mines de phosphate et l’agriculture » lit-on dans le rapport de l’Union européenne. Selon les chiffres communiqués par ce dernier, les exportations des richesses du Sahara occidental ramènent au Maroc moins de 400 millions d’euros annuellement.
Ce montant ne couvre même pas la moitié des dépenses que consacre annuellement le Makhzen pour la seule protection du mur de sables. Pour se prémunir des attaques de l’armée de libération Sahraoui, le makhzen édifie entre 1980 et 1987 un mur de sable long de 2700 km. Pour réaliser ce mur, le Maroc fera appel aux américains, aux français et aux israéliens. Le financement se fera par l’intermédiaire de certaines monarchies du Golfe. Au moins 100 000 soldats marocains protègent depuis l’édification de ce mur qui coûte plus de deux millions d’euros par jour au Maroc, soit près de huit cents millions d’euros par an. Ce coût a été estimé durant la période ou le cessez-le-feu était toujours en vigueur. Qu’en est-il après la violation du cessez-le feu par le Maroc à El-Guerguerat le 18 novembre 2020 et la reprise des affrontements ?
Selon un récent rapport de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (SIPRI), les dépenses militaires du Maroc ont connu une très forte hausse de 2019 à 2021, avec plus de 33%. En 2021 le Maroc consacre cinq milliards de dollars au budget de fonctionnement de son armée dont une part importante est mobilisée pour faire face aux attaques des combattants de l’armée de libération sahraouie depuis le 13 novembre 2020. Dix ans auparavant, les populations sahraouies dans les territoires occupés s’étaient révoltées à Gdim Izik, dans la région de Layoune. La répression des forces de sécurités marocaines a été inouïe causant plusieurs morts et des centaines de blessés parmi les sahraouies.
Depuis, la monarchie a renforcé sa présence policière et sécuritaire dans les territoires occupés. Les interpellations et les incarcérations des militants indépendantistes se sont multipliées depuis la fin du cessez-le-feu. Aux coûts militaire et policière de la répression s’ajoutent les dépenses budgétaires pour encourager les marocains à s’installer et à travailler dans les territoires occupés afin d’inverser la démographie au profit de la colonisation. Selon certaines indiscrétions, la colonisation du Sahara occidental coûte au Maroc entre trois à quatre milliards d’euros annuellement. Sûrement plus actuellement.
Une occupation coûteuse
Selon certains analystes, la situation économique du Maroc ne lui permet plus de dépenser plus pour maintenir le statu quo au Sahara occidental. Le dernier rapport de la Banque mondiale d’octobre 2021 fait ressortir que l’encours total de la dette extérieure du Maroc s’est alourdi de plus de dix milliards de dollars entre 2019 et 2020. L’encours est ainsi passé de 55,058 milliards de dollars en 2019 à 65,683 milliards de dollars en 2020. De ce total, la dette extérieure publique était de 43,657 milliards de dollars sur une dette publique globale avoisinant les 100% du produit intérieur brut en 2020. Cette situation fera baisser la notation du Maroc par l’agence Moody’s en 2021 en raison d’un niveau d’endettement supérieur à la moyenne. En clair, les emprunts futurs sur les marchés financiers coûteront plus chers à Rabat.
L’économiste marocain Fouad Abdelmoumni résume la situation économique du Maroc dans un entretien qu’il a accordé à l’agence Russe Sputnik en date du 20 octobre 2021. Il expliquera dans ce sens que « le Maroc est actuellement dans une situation où la baisse drastique de la croissance économique en 2020, s’établissant entre -5,8% et -7,5%, selon certaines estimations, et l’important endettement extérieur qui s’est accumulé, plaçant le pays dans les limites de ses capacités de mobilisation de fonds sur les marchés financiers internationaux. Ceci fait que, dans le contexte où l’Etat et ses élites refusent de remettre en cause les fondements de l’économie qui ont généré cette situation, le Maroc ne peut pas décoller économiquement ».
La pandémie du covid-19 a mis à nu le système social gravement inégalitaire du Maroc. 75% des travailleurs marocains ne disposent pas de couverture sociale et 45% de la population n’a pas accès aux soins de base. Contrairement à l’Algérie, la médecine n’est pas gratuite au Maroc.
En 2020 il est classé au 121e rang concernant l’indice de développement humain (IDH) loin derrière la Tunisie (95e rang) et l’Algérie (91e rang). Plus inquiétant encore, au début de ce mois d’octobre, le programme alimentaire mondial a classé le Maroc dans la catégorie des pays touchés par la sous-alimentation, entre 2,5 et 4,5%, au même titre que la République Centre Afrique, la République démocratique du Congo ou la Somalie. Un sévère camouflet infligé au makhzen qui dépense des millions de dollars annuellement pour vendre la fausse image d’un “Maroc prospère et qui avance”.
Ainsi, le Maroc doit emprunter huit milliards de dollars, au moins, annuellement pour financer son déficit budgétaire et sa très coûteuse colonisation du Sahara occidental. Beaucoup s’interrogent jusqu’à quand la majorité du peuple marocain supporterait le fardeau d’une colonisation du Sahara occidental qui conduirait inéluctablement le pays à la faillite.
Par Réda C.
Le Jeune Indépendant, 27/10/2021