Elections présidentielles : La poudrière française. Dans les sondages, il y a deux candidats d’extrême droite avec des chances à peu près égales d’accéder au deuxième tour.
Depuis pas mal de temps déjà, le microcosme politico-médiatique français est en plein dans la présidentielle d’avril prochain, avec dans l’ensemble les mêmes dispositions d’esprit, les mêmes interrogations qu’il y a quasiment cinq ans, comme si au fond rien n’avait changé dans l’intervalle. On ne sait trop, en revanche, si la masse des électeurs entretient la même obsession, ou si elle a pour le moment d’autres préoccupations, d’autres chats à fouetter. La question n’est pas sans intérêt, car elle commande l’attitude à adopter envers les sondages sur les intentions de vote, qui tendent à se multiplier. Il ne se passe désormais pas de semaine sans qu’il y en ait au moins un qui soit publié. Il faut s’attendre à ce qu’ils succèdent à une cadence plus grande à l’approche de l’échéance. D’eux on peut dire ce que les Trois Mousquetaires disaient d’eux-mêmes tous pour chacun et chacun pour tous.
En effet, leur valeur quelle qu’elle soit, prédictive ou instantanée, serait sérieusement mise en doute s’ils se mettaient à diverger, à se contredire. La valeur des résultats de chacun dépend de leur proximité de ceux donnés par les autres. Ou bien ils se confortent les uns les autres, ou bien ils se décrédibilisent mutuellement. Supposons que le classement par ordre décroissant des intentions de vote correspondant aux candidats, déclarés ou non d’ailleurs, soit le même que celui d’une élection se tenant à la date du sondage.
On a aujourd’hui en tête le président sortant, nettement devant les deux candidats d’extrême droite, Marine Le Pen et Eric Zemmour, eux-mêmes devant le candidat des Républicains, qu’il reste à désigner, et tout en bas les candidats de gauche, avec Jean-Luc Mélenchon étant le mieux placé, mais finalement pas de beaucoup. La différence la plus notable avec la campagne d’il y a cinq ans, c’est que maintenant il y a deux candidats d’extrême droite avec des chances à peu près égales d’accéder au deuxième tour.
Cette situation est si peu normale pour un pays comme la France qu’il suffirait que l’un ou l’autre des candidats d’extrême droite passe devant Emmanuel Macron pour que rien n’aille plus. Si l’élection de 2022 est une sorte de répétition de 2017, c’est-à-dire avec au bout l’élection assurée d’Emmanuel Macron, passe encore, même s’il y a en cela déjà beaucoup de soucis à se faire pour l’avenir de ce pays. Mais si les sondages commençaient à dévier par rapport à ceux de 2017, donnant à penser par exemple que le président sortant n’arriverait pas en tête au premier tour, ce serait suffisant pour faire craindre le pire, c’est-à-dire sa non-réélection.
Avec la montée de l’extrême droite en France, un phénomène difficilement contestable, d’autant qu’il n’est pas récent, la présidentielle, conçue à l’origine pour se jouer en deux tours, se tranche désormais en un seul, le premier, ce qui n’est jamais arrivé auparavant. Son issue se décide au premier tour, indépendamment de la personne du vainqueur. Si au lieu de Macron, c’est un autre candidat n’appartenant pas à l’extrême droite qui remporte le premier tour, il sera élu au deuxième, non moins sûrement que si c’était Macron. La même conclusion devrait être tirée si celui-ci était présent au deuxième tour mais sans avoir pour cela réalisé le meilleur score au premier. S’il y a constitution en sa faveur d’un front républicain dans le premier cas, il devrait en être de même s’il était second au lieu d’être premier. Pourtant non.
Quelqu’un qui ne gagne pas le premier tour peut perdre le second. Aussi longtemps qu’il est donné premier au premier tour, le sentiment général est que l’élection de 2022 sera une répétition de la précédente. Il n’en sera pas de même si le ou la candidate d’extrême droite commence à gagner sur lui dans les enquêtes d’opinion. S’il en est ainsi, c’est parce que la France est un pays qui couve une crise politique d’une maturité telle désormais qu’un rien, un sondage par exemple, suffirait à la faire éclater à la surface.
Mohamed Habili
Le Jour d’Algérie, 20/10/2021
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