Sahel : Le Mali s’affranchit de la tutelle française – En ouvrant des négociations avec les djihadistes ciblés par Paris, Bamako tourne le dos à la la France.
Jusqu’où ira le divorce entre la France et le Mali ? Les pressions s’accentuent sur la junte au pouvoir depuis le coup d’État qui a renversé le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) en août 2020. Le Conseil de sécurité de l’ONU sera ce week-end en visite à Bamako et à Niamey, un déplacement dirigé par l’ambassadeur du Niger auprès des Nations unies, Abdou Abarry, et son homologue français Nicolas de Rivière, alors que les relations entre les militaires, leur vitrine civile incarnée par le premier ministre Choguel Kokalla Maïga, et l’ancienne puissance coloniale ne cessent de se dégrader. Le Mali a ainsi officialisé l’ouverture d’un dialogue politique avec les deux principales figures de l’insurrection djihadiste, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans d’Iyad Ag Ghali, et la Katiba Macina d’Amadou Koufa, pourtant désignées par l’Élysée comme les deux principaux ennemis de Paris dans sa « guerre contre le terrorisme », soit des cibles à éliminer dans une politique assumée d’assassinats ciblés. Sans surprise, c’est le Haut Conseil islamique du Mali qui a été chargé de cette mission, conformément à une ambition affichée depuis le mois de décembre 2019 et la tenue à Bamako d’un « dialogue national inclusif ».
Mais les agendas et objectifs des uns et des autres s’éloignent chaque jour un peu plus. Sans concertation réelle avec ses partenaires du G5 Sahel, dénonce la junte malienne, la France a unilatéralement annoncé une diminution significative de ses forces déployées dans la région, qui passeraient de 5 100 soldats à moins de 3 000 dans les trois prochaines années. Trois bases militaires sont en cours de démantèlement dans le nord du Mali, dont celle de Tessalit, située à quelques dizaines de kilomètres de la frontière algérienne. Prenant acte de cette nouvelle donne, Choguel Maïga a assumé, à l’occasion d’un entretien publié par le Monde le 18 octobre, le changement de paradigme et la recherche de nouveaux partenaires susceptibles de se substituer au parrain français. Bamako ne nie pas ses discussions avec la Russie – plusieurs sources évoquent un possible partenariat avec la société militaire privée Wagner – et dit « souhaiter » un renforcement du rôle de l’Algérie en matière de lutte contre le terrorisme, au moment où les relations bilatérales entre Alger et Paris sont elles aussi au plus bas.
La junte au pouvoir sous les pressions des pays de la région
Une perspective qui suscite l’ire de la France et des États-Unis, et qui explique la forte mobilisation du Conseil de sécurité de l’ONU. Quand la Chine, la Russie et l’Inde seront représentées ce week-end par des ambassadeurs adjoints, Washington envoie au Sahel Linda Thomas-Greenfield, ambassadrice à l’ONU élevée au rang de ministre au sein du gouvernement démocrate de Joe Biden. Côté français, on espère convaincre de la nécessité d’un renforcement significatif de la mission des Nations unies au Mali, soit 2 000 hommes supplémentaires déployés dans le centre du pays, une zone où intervient principalement l’armée malienne et où sévit la Katiba Macina d’Amadou Koufa. La junte malienne subit également les pressions des pays de la région. Le président ghanéen Nana Akufo-Addo, président en exercice de la conférence des chefs d’État ouest-africains, s’est rendu au Mali dimanche dernier pour délivrer un « message ferme » sur la tenue du prochain scrutin prévu en février et censé acter le transfert du pouvoir aux civils. Les pays de la Cédéao, à l’instar de la Côte d’Ivoire d’Alassane Ouattara, entendent décourager les velléités putschistes après les renversements d’IBK ou d’Alpha Condé en Guinée.
Marc de Miramon, 21 Octobre 2021
L’Humanité, 21/10/2021