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Comprendre l’échiquier libyen équivaut à résoudre des équations à plusieurs inconnus. Si le processus de sortie de crise initié à Berlin I et II, consolidé à Alger, prévoit des mécanismes pour consolider la reconstruction de l’Etat et des institutions de la Libye, les élections du 24 décembre prochain restent suspendues à plusieurs questions. Quand les forces étrangères et les milices quitteront-elles le territoire libyen ? Des consensus naîtront-ils autour de quelques pôles et personnalités pour permettre la décantation politique ? Qui aura la prééminence : l’Est ou l’Ouest du pays ?
C’est dire que les questions sont nombreuses et les réponses encore hypothétiques. D’autant que le fonctionnement des institutions de transitions bute sur des rivalités issues d’anciennes rancœurs et des divisions tribales autant que géographiques. Le 21 septembre dernier, la Chambre des représentants, chambre basse du Parlement basé à Tobrouk, a voté une motion de censure contre le gouvernement d’union nationale d’Abdelhamid Dbeibeh. Ainsi, 89 députés sur les 113 basés dans l’est du pays auraient donné leur accord lors d’une séance tenue cette semaine à huis clos, pour retirer leur confiance à l’exécutif basé à Tripoli dans l’Ouest.
Dans la foulée, le Haut Conseil d’Etat (chambre haute du Parlement libyen basé dans l’Ouest) a demandé le report d’un an de l’élection présidentielle, en raison de divergences sur la loi électorale du pays. Celle-ci, ratifiée début septembre par le président de la Chambre des représentants, Aguila Saleh, sans processus de vote, est accusée d’être non conforme à la procédure régulière et de favoriser le maréchal autoproclamé Khalifa Haftar, proche du Parlement de Tobrouk.
Cependant, et en dépit de tous ces tiraillements, la paix et la stabilité dépendent d’abord du retrait forces étrangères de quelque bord qu’elle soit notamment les troupes turques engagées directement dans le conflit libyen d’abord sous la bannière de de l’OTAN à partir de 2011 puis depuis avril 2019 pour contrecarrer selon l’offensive lancée par l’armée nationale libyenne (ANL) conduite par le Maréchal Haftar contre la capitale Tripoli, infestée de jihadistes. Bien qu’Ankara ait officiellement reconnu avoir injecté des centaines de jihadistes dans le conflit libyen, l’observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) a fait état de l’envoi de 14 000 djihadistes de Syrie à la Libye.
Ces djihadistes, combattus en Syrie par la communauté internationale, constituent le bras armé du gouvernement de Tripoli. Ils sont également un casse-tête pour les Libyens notamment s’agissant de la réunification de l’armée libyenne, une des conditions de l’accord de Berlin II et du Forum de dialogue politique libyen (LPDF) tenu en novembre 2020 à Tunis, tenu à l’initiative de la Mission d’appui des Nations unies en Libye (MANUL).
Les Etats-Unis qui ont été les plus enthousiastes pour l’aboutissement des pourparlers inter-libyens en Tunisie, semblent nonchalants lorsqu’il s’agit de faire pression sur Ankara pour qu’elle retire ses soldats et ses mercenaires de Libye.
Le départ des forces étrangères est un des jalons dans l’approfondissement de l’indispensable dialogue intra-libyen, comme cela a été possible, à travers le Forum de dialogue politique libyen (LPDF) tenu en novembre 2020 à Tunis, à l’initiative de la Mission d’appui des Nations unies en Libye (MANUL). Alger qui a accueilli en l’espace de quelques semaines tous les protagonistes politiques de la question libyenne est plus que jamais à l’avant-garde de ce processus inclusif devant aboutir à la stabilisation du pays.
Une des plus importantes résolutions de la rencontre d’Alger de septembre dernier a été l’impératif du retrait des troupes et forces étrangères régulières et irrégulières de Libye. Les pays du voisinage (Algérie, Tunisie et Egypte) insistent sur ce retrait afin de créer les conditions de stabilité nécessaire à l’organisation des élections de décembre prochain.
Le règne des milices et des seigneurs de la guerre devant prendre fin, c’est à la politique de reprendre ses droits. Ainsi, l’institut de sondage Opinion Way et le Centre d’étude et prospective stratégique (CEPS) qui se sont associés pour sonder les 705 parlementaires européens quant à leur perception de la situation et du rôle qu’ils entendent jouer pour la stabilisation politique de la Libye, ont aboutis à des résultats insoupçonnés.
Ce sondage, présenté fin juin dernier, est particulièrement instructif à plus d’un titre. Il conforte l’idée que la normalisation institutionnelle et politique viendra, en Libye, d’une incarnation et d’une personnification du pouvoir qui a été l’objet, jusqu’ici, de guerres fratricides entre Libyens et aussi – et peut-être surtout – d’importation des conflits d’acteurs extérieurs. Parmi les grandes tendances que ce sondage met en exergue, celle de la lutte contre le terrorisme et les réseaux criminels – qui jouent sur la désespérance des milliers de migrants subsahariens désireux de traverser la mer Méditerranée – apparaissent nettement.
Le mot est dit : une incarnation et une personnification du pouvoir. Est-ce le retour à un schéma de type gouvernance Kadhafi ? D’autant plus que son héritier présomptif, Seïf el-Islam Kadhafi n’a pas exclu l’hypothèse de se présenter en décembre 2021. En visite à Alger il y a quelques jours, Aguila Saleh avait, dès son arrivée, dans la capitale algérienne, affirmé que la «Libye compte sur le soutien du président de la République, Abdelmadjid Tebboune et du peuple algérien pour sortir de sa crise qui tire à sa fin». Selon des indiscrétions, le président de la Chambre des Représentants de Tobrouk serait à la recherche d’un soutien algérien à son éventuelle candidature. Quant au maréchal autoproclamé Haftar, sans le soutien d’Alger, il n’a aucune chance dans la Libye de demain.
La décantation commence à porter ses fruits et le seuil de violence a baissé considérablement, reste les ententes nécessaires dans un processus inclusif pour dégager les derniers écueils et respecter le rendez-vous de décembre prochain. Autre facteur important et pas des moindres, la position des Etats-Unis. En effet, l’enjeu initial, pour les Américains, se limitait à éradiquer le terrorisme islamique dans la région.
L’administration Biden semble nettement plus encline à jouer un rôle politique dans la résolution de la crise libyenne, comme en témoigne la désignation d’un envoyé spécial pour la Libye, le diplomate chevronné Richard Norland, qui était déjà ambassadeur en Libye depuis 2019. Aujourd’hui, les Américains voudraient voir les hostilités cesser afin que la production et l’exportation de pétrole puissent reprendre, ce qui donnerait un semblant de normalité à la situation et ouvrirait la voie à une sortie de conflit, tout en ne lésant aucune partie.
Ne léser aucune partie est la ligne directrice de l’approche algérienne. Si les arrangements inter-libyens aboutissent, le processus de state building et de consolidation de l’Etat libyen avancera à grand pas. Il sera la preuve de la pertinence de la démarche d’Alger respectueuse de la souveraineté libyenne et hostile à toute ingérence étrangère sous quelque forme que ce soit.
Mahmoud Benmostefa
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