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Le Président Macron a cru bon soulever un pan de l’Histoire lors d’une rencontre avec 18 jeunes petits-enfants dont les grands-parents avaient vécu la guerre d’Algérie. Quoi de plus normal pour un chef d’État d’aborder un tel sujet, d’autant plus qu’il prétendait aider à l’écriture d’une histoire véridique, apaisée et sereine, commune aux deux pays.
Le journal le Monde du 30 septembre sort un compte rendu de cette rencontre pour le moins sensationnel. Ce compte rendu publié par un journal responsable dont le contenu n’est ni démenti ni explicité par aucune autorité officielle française est une véritable bombe.
Le choix du journal, le choix du journaliste, auteur déjà d’un documentaire qui a provoqué des protestations du côté algérien et le rappel de l’ambassadeur en 2020, une seule divulgation du nom de famille, celle de l’affiliation de l’arrière-petit-fils du général Salan, (petit-fils de Dominique Salan, fille du général) tout a été millimétré pour une provocation préméditée.
Les officiels algériens ont réagi à leur manière, diverses personnalités politiques ou autres en ont fait de même. D’autres suivront. La société civile a, dans une large majorité, rejeté ou condamné les propos du Président Macron.
Pour ma part, j’ai attendu que le séisme provoqué en Algérie par les propos du Président Macron s’atténue pour écrire cette contribution adressée tout particulièrement à la jeunesse algérienne privée de repères authentiques, irréfutables, irréfragables de son histoire multi-millénaire dont elle peut être fière à plus d’un titre et «remettre les pendules à l’heure.
Je le fais en tant que citoyen de ce pays.
Je le fais en tant que patriote et acteur de la Révolution algérienne.
Je le fais au nom de tous les martyrs de notre guerre de Libération, morts pour que notre merveilleux pays recouvre sa dignité, sa fierté et son indépendance.
Je le fais, enfin, par fidélité à la mémoire du cher compagnon Didouche Mourad qui nous a légué un message subliminal que tout Algérien doit retenir : «Si nous venions à mourir, défendez nos mémoires.»
1- Le Président Macron doute de l’existence d’un État algérien avant la colonisation
Voici quelques repères à même de le convaincre.
A- Les gravures rupestres du Hoggar datent d’au moins 6 000 ans avant Jésus-Christ. Elles se trouvent en territoire algérien et personne ne peut dire le contraire.
B- Massinissa et Jughurta, rois de Numidie dont la capitale était Cirta (Constantine), sont antérieurs de 2 siècles à Vercingétorix. (À cette époque, la France n’existait pas tel qu’on essaie de nous le faire croire aujourd’hui). Personne ne peut nier ce fait historique.
C – Le royaume de Abderrahmane Ibn Rostom, créé en 767 avec comme capitale Tahert (Tiaret), est antérieur au royaume de Charlemagne dont la capitale était Aix-la-Chapelle (Aachen, Allemagne). Le père de Charlemagne s’appelait Pépin le Bref, sachant que la majorité des gens d’ici et d’ailleurs ne connaissent pas ce roi, j’ai choisi Charlemagne comme référence pour plus de visibilité dans la lecture.
D – L’Algérie a été l’un des premiers États de cette époque à avoir reconnu l’indépendance des États-Unis d’Amérique. Un traité de paix et d’amitié, écrit en deux langues (turc transcrit en arabe et en anglais), a été signé entre les deux pays à Alger le 5 septembre 1795, ou 21 safar 1210 de l’hégire, par Hassen Bashow, dey de la Régence d’Alger, et Joseph Donaldson Jr, consul des États-Unis à Alger. Ce traité a été entériné le 7 mars 1796 par le Sénat américain. Les documents de référence existent.
E- La France était représentée par un consul à Alger, Pierre Deval. Ce fait ne peut être ignoré de personne. La présence d’un consul à Alger est la preuve que la France entreprenait des rapports avec un État qui avait pour nom la Régence d’Alger, au même titre que le beylicat de Tunis où le consul de l’époque s’appelait Jacques Devoise et celui du royaume alaouite dont le nom était Louis Chemier. 61 consuls français, dont la liste est publique, se sont succédé à Alger depuis 1544 jusqu’à 1827.
La Régence d’Alger avait tous les attributs de la souveraineté d’un État. Ce n’est pas moi qui le dis, mais d’éminentes personnalités françaises. Et Monsieur le Président Macron le sait.
F- Évacuons la période coloniale pour éviter les déballages néfastes pour les relations entre les deux pays. Pour ma part, je m’abstiens de défiler le chapelet parce que je n’insulte pas l’avenir commun imposé par la géographie, les relations de bon voisinage, un passé douloureux certes mais commun de 132 ans et d’intérêts mutuellement profitables aux deux pays.
G- Les accords d’Évian. Nous avons négocié les Accords d’Évian avec une délégation officielle du gouvernement français dont 3 membres étaient ministres. Le chef de la délégation, monsieur Louis Joxe, était ministre d’État, ministre des Affaires algériennes, troisième personnalité du gouvernement après le chef du gouvernement, monsieur Michel Debré et le ministre d’État, ministre de la Culture, monsieur André Malraux.
Il était aussi le secrétaire général du Gouvernement provisoire durant la Seconde Guerre mondiale et l’un des hommes les plus fidèles au général de Gaulle. Nous avons négocié fermement sur la base de la déclaration du 1er Novembre 1954 sans la changer d’un iota.
Ces accords ont été entérinés par le Parlement français de l’époque. Le 3 juillet, la France, par le canal de De Gaulle, a reconnu l’indépendance de notre pays. Depuis cette date, nos destins se sont séparés. Chacun des deux pays gère souverainement son destin et les conséquences collatérales de cette séparation. Depuis le 3 juillet 1962, nous avons recouvré notre souveraineté et notre indépendance dont nous en sommes fiers et jaloux.
2 – le Président Macron parle de système politico-militaire… en Algérie
«Une nation ne tient debout que si elle a un cerveau, une ossature et une colonne vertébrale. Le cerveau, c’est le chef de l’État, l’ossature, c’est l’État, la colonne vertébrale, c’est l’armée», citation du général de Gaulle auquel curieusement la majorité des potentiels candidats à la prochaine élection présidentielle française se réfère…
À partir de ce postulat établi par un homme exceptionnel tant sur le plan militaire que politique (adversaire acharné de notre lutte de libération), postulat valable pour tous les pays de la planète, pourquoi se focaliser tout particulièrement sur l’Algérie ? Pourquoi cette exception ? La réponse est connue. Elle mérite toute une contribution.
D’autre part, pourquoi insidieusement laisser supposer l’existence de dissensions au sein de l’État.
Le Président de la République, ministre de la Défense nationale est le Commandant suprême des Forces armées. À ce titre, il les commande et les défend. Elles lui doivent respect et obéissance. Il l’a fait à maintes occasions, il le fait et le fera. Mieux, les défendre est un devoir national pour tous les Algériens. Alors de grâce….
3 – Le Président Macron parle de rente mémorielle
J’ai remué ciel et terre à la recherche d’une signification linguistique, philosophique ou politique de rente mémorielle sans succès et je remercie d’avance celui qui trouvera une signification. J’en ai déduit que le qualificatif mémorielle a remplacé pétrolière. C’est une astuce, pourquoi la rejeter ? Maintenant, je lui donne une explication pour me faciliter la tâche et celle du lecteur : rente mémorielle=exploitation de la Révolution algérienne.
La Révolution algérienne appartient actuellement à l’ensemble du peuple algérien au prorata du nombre de sa population. Elle appartient d’abord à ceux qui sont morts pour elle. Elle appartient ensuite à ceux qui la défendent sans contrepartie aucune. Elle appartient enfin à cette jeunesse avide de connaître son Histoire, Histoire que certains zappent, occultent, déforment ou brouillent, à dessein, jusqu’à ce jour.
Maintenant, mesdames et messieurs les historiens algériens, les intellectuels, les philosophes, les sociologues et les anthropologues, la balle est dans votre camp. De grâce relevez le défi.
Revenons à la rente mémorielle. Mesdames et Messieurs de l’autre bord de la Méditerranée, je vous raconte une anecdote durant notre guerre de Libération : en février 1960 au Caire, Boussouf Abdelhafid, ministre de l’Armement et des Liaisons générales du GPRA, s’adressant au colonel Lotfi et à moi-même, nous dit : «Nous avons fait une Révolution aussi glorieuse que la Révolution française. Les Français exploitent la leur jusqu’à ce jour. Quant à nous, incapables d’être à sa hauteur, la nôtre nous a laissés dans un oued.» Depuis ce jour, j’ai compris pas mal de choses. J’ai compris que vous avez fait de votre Révolution un mythe national que vous fêtez en grande pompe tous les ans avec les festivités du 14 Juillet. C’est à votre honneur. J’ai eu le plaisir de discuter souvent avec des Français de politique. Tous ceux qui étaient à bout d’arguments me répondaient sans gêne : la France est le pays des droits de l’Homme. Il y a quelques jours, un professionnel de la politique française a même parlé sur LCI de «pays des lumières».
Lors de la dernière réunion France Afrique, le Président Macron a lui aussi parlé de pays des lumières, Siècle des lumières, oui ; mais pays des lumières !!! Alors, de grâce, laissez-nous nous revendiquer de notre Révolution parce que nous sommes sortis de l’oued et nous l’avons rejoint de nouveau. Je vois d’avance la réaction de la majorité des Français qui vont trouver que cette comparaison est un sacrilège.
Des deux bords de la Méditerranée, n’oublions pas que nous sommes obligés de nous respecter, de cohabiter et, éventuellement, de se «subir» mutuellement.
La géographie nous l’impose malgré nous. Aucun des deux pays ne peut déménager et à plus forte raison faire déménager l’autre.
N’insultons pas l’avenir.
Pour conclure, quoi de plus normal que de finir cette contribution par un adage typiquement français : «Charbonnier est maître chez soi.»
Par Ali Chérif Deroua
Le Soir d’Algérie, 13/10/2021