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A Montpellier avant hier, face à un groupe de jeunes africains soigneusement sélectionnés par l’intellectuel camerounais Achille Mbembe, le président Macron a encore une fois tourné le couteau dans la plaie béante des anciennes colonies françaises d’Afrique. Les réponses du jeune président français aux jeunes africains se résument en une seule formule : la France attend une lettre des dirigeants africains pour parachever la décolonisation, vivement souhaitée et réclamée par ceux et celles qui, au sein de la jeunesse, décrient la présence militaire française et le maintien des accords honteux instituant le franc CFA.
En août 1958, le général Charles de Gaule, alors président de la France, avait lancé, à Dakar, le même défi à des jeunes Africains, qui réclamaient l’indépendance, lors d’une de ses tournées sur le continent : « oui, l’indépendance, que les porteurs de pancartes la prennent le 28 septembre prochain ». Le défi avait été relevé à l’époque par quelques leaders téméraires, dont Sekou Touré de la Guinée, qui a conduit son pays à l’indépendance, et Djibo Bakary du Niger, qui s’était vu contraint à l’exil.
Aujourd’hui, le défi lancé par le président Macron, qui est né après les indépendances, ne semble recevoir aucun écho dans les palais africains; car, les occupants de ces lieux, y compris les plus jeunes d’entre eux, gardent toujours en mémoire ce qui est arrivé à deux autres leaders africains, le Togolais Sylvanius olympio, et le Malien Modibo Keita, qui, à leur façon, ont osé relever le défi de l’indépendance en créant leurs propres monnaies. Les deux ont perdu le pouvoir et la vie; et leurs pays sont revenus dans le giron de la « françafrique ».
Avec le show de Montpellier, tout le monde a compris que l’Afrique dite francophone a un problème; plus, avec elle-même qu’avec toute autre puissance. Si la France, ancienne puissance coloniale, y exerce encore une forte influence, dans tous les domaines, y compris militaire et monétaire, ce n’est pas parce qu’elle est vraiment puissante comme jadis pour tenir un tel rôle; mais parce que les dirigeants de certains pays de cette partie de l’Afrique, en particulier ceux appartenant à la zone franc, ne veulent pas assumer leurs responsabilités.
En effet, depuis au moins trois (3) ans, chaque fois qu’il est interpellé au sujet de la politique de son pays en Afrique francophone, le président Macron n’a de cesse de répéter, invariablement, et parfois avec beaucoup d’assurance, que le changement souhaité peut se faire si tel est le désir des dirigeants africains ; mais, jusqu’ici, aucun de ces dirigeants, y compris ceux du Mali aujourd’hui en brouille avec Paris, n’a osé relever clairement le défi et exprimer une volonté de rupture. Sur la question des bases militaires; tout comme sur celle de la monnaie.
A Montpellier, contrairement à ce que d’aucuns pensent, le président Macron a réussi, avec l’appui de ses conseillers africains, son coup de communication politique; et ce coup n’a d’équivalent, dans l’histoire des rapports entre la France et l’Afrique, que « le dévoilement des femmes » en Algérie en mai 1958. On se souvient que le 17 mai de cette année-là, les généraux français Raoul Salan et Jacques Massu ont fait arracher à douze (12) adolescentes algériennes leurs voiles en public. Ce dévoilement était, dans l’esprit de ses initiateurs, « une stratégie destinée à gagner à la France le coeur de deux millions d’Algériennes écrasées par un patriarcat dépassé ».
Avec le show de Montpellier, le président Macron, en donnant la parole à onze (11) jeunes africains pour relayer les critiques d’une certaine opinion de leurs pays à l’égard de la politique française, a dévoilé, non pas ces jeunes, mais les dirigeants de leurs pays. Ce show restera certainement gravé dans les esprits pendant longtemps; et il sera peut-être, comme le dévoilement des adolescentes algériennes en 1958, le point de départ d’une prise de conscience et d’un engagement redoublés contre la « françafrique » nouvelle. Les dirigeants africains, s’ils ont encore un peu le coeur, devraient avoir honte de voir un président français s’offrir les services d’éminents intellectuels africains, et dialoguer, dans la bonhomie, avec des jeunes gens critiques qui, chez eux, n’auraient jamais franchi le cordon de sécurité des palais bien protégés.
Moussa Tchangari
Fondation Frantz Fanon, 13/10/2021