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Mais quelle mouche a donc piqué le président français pour «asséner ses vérités» sur l’Algérie ?
Si l’on excepte l’épisode Sarkozy, un anti-Algérien, qui s’assume, c’est la première fois dans l’histoire de la 5e République française que l’on assiste à de tels propos de la part d’un chef d’Etat français. Il est vrai que le général De Gaulle, en recevant Abdelaziz Bouteflika, alors jeune ministre de des Affaires étrangères algérien venu le sonder sur la nationalisation des biens vacants abandonnés par les anciens colons, avait évacué le sujet par un «vous ne vous imaginiez tout de même pas que j’allais réparer vos ascenseurs jusqu’à la fin des temps». Bernard Bajolet, l’ancien ambassadeur qui révèle cette anecdote dans un livre consacré à son expérience diplomatique, ne nous renseigne pas sur la réponse de l’ancien chef d’Etat algérien.
Il faut peut-être attendre le règne de Mitterrand pour retrouver une salve aussi provocatrice dans la bouche d’un président français. Le premier président socialiste de la 5e République s’est présenté dans un premier temps comme «tiers-mondiste» convaincu qui voulait l’avènement d’un nouvel ordre mondial, cher aux dirigeants algériens. Il avait même fait cause commune avec le défunt Chadli lors de la rencontre Nord-Sud de Cancún, qui eut lieu au Mexique, du 22 au 23 octobre 1981, elle était destinée à sortir les pays d’Amérique latine du cercle vicieux de l’endettement. Cette nouvelle proximité entre un président français et son homologue algérien, avait peut-être encouragé Mitterrand à oser son fameux «il faut» après l’interruption du processus électoral en 1991. Cette déclaration du premier ministre de l’Intérieur de la guerre d’Algérie avait provoqué une crise sans précédent entre les deux rives. La France était même devenue un sanctuaire pour les terroristes algériens et leurs couvertures politiques.
Des présidents avenants
Depuis beaucoup d’eau a coulé sous les ponts mais les présidents français successifs se sont gardés de heurter frontalement la sensibilité des Algériens, surtout concernant les sujets qui touchent à la mémoire et à l’histoire. Ce n’est pas à l’habile Chirac qu’on va faire la leçon sur la bienveillance diplomatique, à part peut-être son incident avec le président Zeroual au siège des Nations-Unies et encore moins au très «Algérien» François Hollande qu’on va apprendre à garder son sang froid devant la complexité des relations algéro-françaises, assez chargées émotionnellement pour leur rajouter des élucubrations sur l’origine de la nation algérienne. Et c’est justement là que Macron a «excellé».
Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? Cette interrogation de la part de Macron a fait ressurgir les vieux démons colonialistes pour nous sortir des thèses chères aux algérianistes et autres colonisateurs zélés qui ne voyaient en l’Algérie qu’un territoire rempli de populaces sans attache nationale ni histoire pour cristalliser l’imaginaire et le destin commun. Cette digression, venant de la part d’un chef d’Etat d’un pays, avec qui nous avons des relations officiellement bonnes, ne peut s’expliquer seulement par la montée de la fièvre électorale, même s’il est vrai que Macron est débordé actuellement sur son aile droite par le phénomène Zemmour. Elle vient compléter une série, en cours, de sorties médiatiques et de décisions qui dénotent une certaine fébrilité dans la prise de décision chez l’establishment politique français. On a l’impression que le président français s’essouffle dans sa dernière ligne droite n’arrivant plus à donner du tonus à la fin de son mandat. De l’Europe à l’Afrique, des Etats-Unis à la Russie, du Golfe à la Syrie, Emmanuel Macron a mené depuis avril 2017 une diplomatie hyperactive et volontariste, en chantre d’un multilatéralisme dont la France est la locomotive européenne.
La bérézina du Pacifique
Mais le début de l’automne n’a pas été de tout repos pour la diplomatie française. Victime collatérale d’un accord politique entre Canberra, Londres et Washington pour contrer la Chine, la France voit lui échapper un contrat à 56 milliards d’euros avec l’Australie et encaisse un revers diplomatique majeur dans la zone indo-pacifique. Cet événement qui fait voler en éclats le sacro-saint multilatéralisme prôné par la doctrine Macron et de son ministre des Affaires étrangères Le Drian, a donné lieu à une série de déclarations qui sont loin de figurer dans le manuel du parfait diplomate. La France a perdu son sang froid face à ses partenaires historiques, l’Angleterre, l’Australie et surtout les États-Unis qui avaient quelques mois auparavant pris la décision unilatérale de se retirer de l’Afghanistan.
La France s’est aussi enlisée au Sahel. Annonçant d’abord un départ définitif du Mali, Macron s’est retrouvé à échanger des mots aigres-doux avec le premier ministre malien surtout depuis la décision de Bamako de faire appel à des mercenaires russes pour contrer les terroristes islamistes.
Et c’est à ce moment précis que la France a choisi d’en découdre avec une autre région importante : le Maghreb. La France décide de diminuer drastiquement le nombre de visas accordés à trois pays du Maghreb, et ce quels que soient les motifs du voyage. Les visas octroyés à l’Algérie et au Maroc vont être divisés par deux, tandis que ceux délivrés à la Tunisie vont diminuer de 30%. La France dit ainsi répondre à l’immobilisme de ces pays qui refusent de reprendre leurs ressortissants vivant illégalement en France. Cette décision n’a pas laissé les gouvernements maghrébins de marbre. Le ministère des AE algérien a même convoqué l’ambassadeur de France à Alger pour des explications.
Alors pourquoi cette sortie de route ?
Et pour finir, le président français décide de s’attirer l’unanimité des Algériens contre lui après des propos non démentis tenus lors d’un échange avec une vingtaine de jeunes descendants de protagonistes de la Guerre d’Algérie (1954-1962). M. Macron y estime qu’après son indépendance, le pays s’est construit sur « une rente mémorielle », entretenue par le « système politico-militaire ». Et que la nation algérienne n’a jamais existé et serait une création de la colonisation française.
Macron, qui a commencé sa compagne électorale par traiter la colonisation française de crime contre l’humanité, a dévié de sa trajectoire pour succomber sans doute aux sirènes des communicants et autres spin doctors à quelques mois des présidentielles.
Cet automne fatal pour la diplomatie française ouvre plusieurs questions pour la France sur le plan international. Parmi elles, son positionnement dans cette nouvelle «guerre froide» qui se profile dans la zone indo-pacifique et dans le conflit larvé qui oppose les Etats-Unis à la Chine. Sa place en Afrique, sa vieille chasse gardée, ou elle est bousculée par la Russie et par d’autres forces émergeantes comme la Turquie. Et enfin ses relations avec les pays du Maghreb qui veulent s’émanciper définitivement de la tutelle française. Cette volonté est exprimée de plus en plus par les élites maghrébines qui se cherchent d’autres horizons loin de l’œil vigilant de Paris. A tous ces défis, Macron et Le Drian n’ont pas réussi à donner des réponses convaincantes.
R. A.
Algérie aujourd’hui, 05/10/2021