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«Si venait me trouver celui qui veut connaître la voie de la Vérité, pourvu qu’il comprenne ma langue d’une façon parfaite, je le conduirais sans peine jusqu’à la voie de la Vérité, non en le poussant à adopter mes idées, mais en faisant simplement apparaître la vérité à ses yeux, de telle sorte qu’il ne puisse pas ne pas la reconnaître.».
En 1855, l’Emir Abdelkader quitte Amboise pour Damas. De Turquie, il adresse une «Lettre aux Français», un peuple encore rural, mais qui entame son long chemin vers l’industrialisation. Une société «entre deux mondes». Le télescopage de cette France du xxie siècle, qui prend conscience de son essoufflement face aux nouvelles logiques, et celle du XIXe siècle est saisissant. L’ancienne se préparait à un monde plein de promesses, tandis que l’actuelle se replie sur elle-même en grognant son dépit. Des «marchés du siècle» qui lui échappent, un fossé de plus en plus grand entre les ci-devant et la société du factice, une population égarée qui fonce tête baissée vers les idées qui enterrent définitivement la Déclaration des Droits de l’Homme et des citoyens énoncés 60 ans avant la lettre de l’Emir et qu’aujourd’hui, dans une course éperdue, une classe politique désemparée essaie de courtiser avec un «racisme décomplexé».
Combien de générations en France et ailleurs ont vécu sur cette rente symbolique d’une déclaration des droits humains, alors qu’à peine 10 ans plus tard, (20 mai 1802) la France des Droits rétablissait l’esclavage. La logique de tous les jours ne doit pas se laisser intimider lorsqu’elle visite les siècles, disait Brecht. Il est né un peu plus d’un siècle après cette déclaration qui a justifié une vision atlantiste des relations internationales et au nom de laquelle un ancien président français, qui risque de purger, bracelet à la cheville, une peine privative de liberté, a bombardé, tué et assassiné. Un autre ancien président avait, dans un total mépris, affublé ses citoyens du sobriquet de «sans-dents». Ces sans-dents que les hommes politiques, plat de lentilles à la main, tentent de capter comme tout «bon chrétien».
Laics ? Modernes ? Universels ? Rayonnant sur le monde des idées ? Pitoyablement prévisibles ! A chaque élection, ils se découvrent des racines judéo-chrétiennes et vont, kippa sur la tête, prier face au Mur des lamentations en s’en prenant à la population qui ne vote pas.
On est fatigué à chaque fois de vous rappeler, comme on le fait pour un élève qui ne montre aucune prédisposition aux études, les noms de vos Français qui, à la tête de bataillons et de milices, ont commis les crimes que même l’Histoire n’arrive pas à atténuer.
Oui, l’Histoire. Elle est là. Chaque date, chaque nom de rue ou de village, dans le parler comme dans le langage savant, ravive les éléments qui viennent, à chaque fois, frapper sur cette petite tête qui croit faire diversion. Il ne s’agit pas de haine de la France mais d’une vérité. C’est vous qui voulez réécrire l’histoire, travestir les faits. Comment peut-on aujourd’hui oser minimiser ou occulter «l’héroïsme» de votre Cavaignac et autres Massu ?
Aujourd’hui, on se recueille à la mémoire des martyrs d’Issine, des civils que vos avions ont assassinés en octobre 1957. Des Libyens ont payé de leur vie la nature du colonialisme que vous voulez effacer.
Dans quelques mois, on sera aussi aux côtés des Tunisiens que vos mêmes avions ont tués à Sakiet Sidi Youcef. Mais, comme vous le conseille notre Emir, ouvrez votre esprit. Vous comprendrez alors qu’on ne vit pas que dans les manuels d’histoire. Une Algérie nouvelle émerge. Elle a écrit une page incroyable à Constantine face à un virus comme elle (ré) écrit avec les lettres de noblesse, les appels pour un monde apaisé, solidaire, humain. N’avez-vous pas entendu Lamamra à la tribune des Nations-Unies? Vos histoires, votre histoire, même quand vous nous la destinez, relèvent de la supercherie franco-française.
Comme pour toutes les «longues histoires», acceptez cette règle. Les civilisations naissent et s’effondrent. Relisez, avant qu’il ne soit trop tard, la Lettre que vous a adressée l’Emir Abdelkader.
Par Mohamed Koursi
El Moudjahid, 03/10/2021