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La normalisation des relations entre le Maroc et Israël est venue envenimer une relation traditionnellement houleuse. Entre les deux voisins, la tension est à son paroxysme.
Le ton est monté crescendo, tout l’été. Jusqu’au point de rupture. Le 24 août, Alger décidait de rompre ses relations diplomatiques avec Rabat, en invoquant « les actes hostiles incessants perpétrés par le Maroc ». « Les services de sécurité et la propagande marocains mènent une guerre ignoble contre l’Algérie, son peuple et ses dirigeants », accusait alors le chef de la diplomatie algérienne, Ramtane Lamamra. Son homologue marocain, Nasser Bourita, déplorait aussitôt une décision « complètement injustifiée, mais attendue », traduisant selon lui une « logique d’escalade » sous-tendue par des « prétextes fallacieux, voire absurdes ».
Entre les deux voisins, depuis les indépendances, les relations sont houleuses ; les embellies, fugaces. Le legs empoisonné de la colonisation n’est pas étranger à ces rivalités enkystées : le traité de Lalla Maghnia fixant, en 1845, la frontière entre le Maroc et l’Algérie sous domination française, dans la zone tellienne, stipule ainsi qu’ « un territoire sans eau est inhabitable et sa délimitation est superflue ». Après la colonisation du Maroc, en 1912, la France n’entend pas figer de frontière entre des territoires placés tous deux sous son administration : les tracés, mouvants, bifurquent d’une carte à l’autre.
La guerre des Sables a installé un climat de défiance
Quand éclate l’insurrection de 1954, le combat de libération du peuple algérien précipite l’émancipation des deux protectorats voisins ; Marocains et Tunisiens offrent au FLN de précieuses bases arrière et leur appui matériel et politique ; la langue et la culture communes, les liens tribaux et familiaux se jouent des frontières tracées à Paris. Mais la découverte de gisements pétroliers et miniers attise les convoitises. Elle encourage les manœuvres de la métropole pour perpétuer son emprise sur le désert : la loi du 10 janvier 1957 donne corps, au moins sur le papier, à l’Organisation commune des régions sahariennes, une collectivité territoriale dédiée à « la mise en valeur, l’expansion économique et la promotion sociale des zones sahariennes de la République française ».
Au lendemain de l’indépendance algérienne, alors que les nationalistes de l’Istiqlal exaltent le mythe d’un Grand Maroc incluant la Mauritanie, le Sahara espagnol, un tiers du désert algérien et le nord-est du Mali, Rabat revendique la souveraineté sur les régions de Tindouf et Colomb-Béchar. Ce contentieux territorial donnera lieu à une brève, mais meurtrière confrontation armée en octobre 1963. De part et d’autre, des travailleurs, des familles entières sont expulsés. La guerre des Sables installe entre les deux pays un climat de défiance qui ne se dissipera jamais vraiment ; elle creuse aussi, au nord du continent, les premières tranchées de la guerre froide. Soutenue par Cuba et par l’Égypte de Gamal Abdel Nasser, l’Algérie indépendante embrasse les idéaux tiers-mondistes, se range du côté des non-alignés ; depuis son exil, l’opposant marocain Mehdi Ben Barka, l’un des initiateurs de la Tricontinentale, dénonce une « guerre d’agression » et la « trahison » de la monarchie chérifienne ; Rabat se rallie à l’Occident anticommuniste.
Une même aversion pour la démocratie
Les deux régimes en gestation partagent pourtant la même aversion pour la démocratie. Après le coup d’État militaire de 1965, le colonel Houari Boumediene tient l’Algérie d’une main de fer ; à Rabat, Hassan II consolide un pouvoir absolu, persécute ses opposants, tisse la toile d’un implacable système de prédation. Le chauvinisme tient lieu de ciment pour ces fragiles États-nations postcoloniaux. Les relations finissent par sombrer dans une franche inimitié avec la Marche verte par laquelle le roi du Maroc s’empare, le 6 novembre 1975, du Sahara occidental, au moment même où les Espagnols quittent la colonie. L’Algérie, qui voit se fermer à elle un accès stratégique à la façade atlantique, prend fait et cause pour les indépendantistes du Front Polisario.
Un conflit intrumentalisé par les grandes puissances
La rupture des relations diplomatiques, à l’initiative du Maroc, inaugure alors un nouveau cycle d’hostilités. Instrumentalisé par les grandes puissances, au premier rang desquelles la France, ce conflit de décolonisation n’en finit plus de s’enliser, en dépit des résolutions onusiennes affirmant le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination. Il envenime encore aujourd’hui les relations entre Alger et Rabat, faisant entrave à toute marche vers une indispensable intégration régionale. Entre les deux pays, la frontière terrestre reste fermée depuis 1994 – et depuis le 23 septembre, l’espace aérien algérien est interdit aux avions marocains. La crispation domine ; le fracas des mots fait régulièrement planer la menace d’une confrontation ouverte et la course aux armements fait les bons comptes des fournisseurs russe, chinois, français, allemand, états-unien, israélien.
Dans ces relations belliqueuses, un dangereux cap a encore été franchi le 10 décembre 2020, avec la reconnaissance par l’administration Trump, au mépris du droit international, de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, en contrepartie d’une normalisation des relations diplomatiques entre Rabat et Tel-Aviv. Une ligne rouge pour Alger, traditionnel soutien de la cause palestinienne. Dans la foulée, les révélations de la plateforme Forbidden Stories, associée à un consortium de 17 médias internationaux, sur le scandale mondial d’espionnage via le logiciel israélien Pegasus ont soulevé, côté algérien, l’indignation. Selon le quotidien français le Monde et le site d’information francophone Tout sur l’Algérie (TSA), des milliers de numéros de téléphones algériens – dont ceux de hauts responsables politiques et militaires – figuraient parmi les cibles potentielles sélectionnées par un service de sécurité de l’État marocain. Au même moment, dans une note officielle, la représentation diplomatique marocaine à l’ONU apportait son soutien à un mouvement séparatiste kabyle. « Provocation irresponsable », selon Alger qui, en guise de mesure de rétorsion, menace, en pleine flambée des cours mondiaux de l’énergie, de dérouter ses approvisionnements gaziers à destination de l’Espagne vers le gazoduc Medgaz, au détriment du gazoduc GME transitant par le Maroc.
Mais c’est surtout les propos du chef de la diplomatie israélienne, Yaïr Lapid, lors d’une visite officielle le 12 août à Casablanca, qui ont conduit à la rupture formelle. Celui-ci avait manifesté ses « inquiétudes au sujet du rôle joué par l’Algérie dans la région, son rapprochement avec l’Iran et la campagne qu’elle a menée contre l’admission d’Israël en tant que membre observateur de l’Union africaine ». « Des accusations insensées et des menaces à peine voilées », estime son homologue algérien Ramtane Lamamra. Rien ne va plus entre les deux « pays frères », pris au piège d’une équation stratégique qui se calcule bien loin de leurs peuples.
Rosa Moussaoui
Humanité, 30/09/2021
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