Tunisie, Kaïs Saïed, crise politique, #Tunisie,
Mohamed Habili
Si un mois après la dissolution du Parlement et le renvoi du gouvernement, le président Kaïs Saïed, s’était contenté de publier un décret dans lequel il reconduisait sine die les mesures prises par lui ce jour-là, à savoir la suspension du Parlement et le renvoi du gouvernement, un autre mois plus tard, il va plus loin dans la même direction. Le deuxième décret, à la différence du premier, ne fait pas en effet que proroger les mêmes mesures exceptionnelles, il institue une phase de transition, où la Constitution en vigueur, celle de 2014, sans être abrogée, est suspendue dans l’ensemble de ses dispositions en contradiction avec lui.
En ce sens, il a valeur de constitution de transition. Au bout du deuxième mois du tournant pris le 25 juillet, au lieu de reculer comme lui demandent ses opposants, en premier lieu Ennahdha, le président Saïed apporte les clarifications nécessaires quant à sa véritable intention, qui est l’instauration d’un nouvel ordre politique.
Si au bout du premier mois, la classe politique pouvait encore croire qu’il n’aurait d’autre choix au bout du compte que de faire marche arrière, de sorte qu’elle pouvait attendre avant d’en venir aux hostilités, en en appelant notamment au peuple, cette phase d’observation se termine maintenant pour elle.
Il lui faut passer à l’action, entrer dans l’épreuve de force, appeler à l’occupation de la rue jusqu’à la chute du président. Le terme de dissolution du Parlement ne figure pas explicitement dans le décret du 22 septembre, mais la disposition consistant à ne plus verser de primes aux députés, et à mettre fin aux privilèges du premier d’entre eux, Rached Ghannouchi, y supplée largement.
A la suspension de ses travaux succède donc sa dissolution, même si le mot est absent. Un deuxième élément plaide d’ailleurs en faveur de cette interprétation : l’annonce faite auparavant par Saïed de l’élaboration d’une nouvelle loi électorale. En tout état de cause, une suspension qui n’a pas de fin dans le temps est une dissolution. Si le mot n’a pas été employé, c’est probablement parce que la Constitution de 2014, avec laquelle Saïed ne veut pas être en contradiction, ne lui accorde pas le droit de dissolution.
Les partis représentés au Parlement, qui attendaient la clarification avant de rien entreprendre contre ce qu’ils avaient qualifié dès le premier jour de coup d’Etat, sont maintenant édifiés. La seule façon qu’il leur reste de revenir à la situation d’avant le 25 Juillet, c’est de faire tomber le président par le recours à la rue. Le leader d’Ennahdha, qui n’est plus président du Parlement, celui-ci ayant été finalement dissous, appelle désormais à la ” lutte pacifique ” en vue de rétablir la ” démocratie et la Constitution “, c’est-à-dire aux manifestations et à leurs aléas.
Un appel qu’il lui était déjà arrivé de faire, mais qu’il avait dû abandonner, soit parce qu’il avait été sans effet, soit parce que lui-même avait donné instruction à ses troupes de l’annuler. Il joue gros ce faisant. Car de deux choses l’une : ou bien la grande foule est au rendez-vous, et les chances de rétablir la situation à l’avantage de son parti ne seront pas négligeables ; ou bien elle ne l’est pas, l’hypothèse d’ailleurs la plus probable, et son parti encourt une sanction prévisible : la dissolution.
Au bout du deuxième mois de la crise, le président s’est décidé à apporter les clarifications relevant de lui. C’est maintenant à la rue de fournir les siennes, d’autant que c’est vers elle que se tournent les regards.
Le Jour d’Algérie, 25/09/2021