Algérie: Qui va combattre les voleurs et les corrompus ?

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par Maâmar Farah

Cette dernière Halte estivale de la saison reproduit une chronique datant de 2008. Elle a été écrite après les scandales Khelifa et Chakib Khelil mais avant l’époque dorée de la corruption qui touchera tous les secteurs quand, suite à la paralysie de Bouteflika, le pouvoir présidentiel sera monopolisé par une caste illégale et prédatrice. Ce cri du cœur n’aura servi à rien…

Ce pays a un grave problème à régler avec la morale. Nous ne pouvons pas parler de développement durable, de mutations socioéconomiques patentes, de démocratie et de liberté tant que nous traînerons, comme de lourds boulets rattachés à notre conscience collective, ces graves affaires de corruption qui défrayent la chronique et découragent tout effort honnête.

La corruption est devenue un acte normalisé et un secteur d’activité florissant, structuré et institutionnalisé. Le marketing a ses règles que la morale ne connaît pas. Les fameux 10% et les transferts vers des comptes bloqués en Suisse sont des affaires ordinaires. Que cet argent se retrouve au Panama ou à Tataouine-les-Bains n’est pas le problème ! Il serait peut-être temps que les nouveaux services secrets s’occupent de ces millionnaires en euros qui n’ont ni gagné au loto français, ni hérité une parente en Ecosse. On sait ce qu’il est advenu de certaines enquêtes menées par le DRS ancienne version. Le nouveau devrait nous montrer de quoi il est capable dans ce domaine, à moins qu’il n’ait plus aucun rôle à jouer dans la répression du crime économique ; ce qui serait une catastrophe !

L’ancienne-nouvelle mode chez les corrompus et les voleurs est d’acheter des biens immobiliers dans les quartiers huppés des capitales européennes. Il serait temps de leur demander de s’expliquer sur l’origine de telles fortunes, car ces messieurs ont piqué tellement de dinars que cela «ne remplit plus leurs yeux», comme on dit en langage populaire. Passe encore sur les études de leur progéniture, payées sur les caisses de l’État et les soins à l’étranger, dans les cliniques réputées, pour de petits bobos qui peuvent être traités ici, par des médecins algériens qui n’ont rien à envier à leurs homologues étrangers. À ce propos, je reste toujours perplexe devant l’hypocrisie de beaucoup de nos hauts fonctionnaires qui expriment en public leur satisfaction à propos des «acquis du secteur de la santé algérien», mais qui préfèrent se confier à des toubibs étrangers ! Drôle de logique d’une partie de la direction du pays et même de l’opposition qui trahit la confiance placée en elle par le peuple.

Cette digression m’amène à parler aussi de la dilapidation de l’argent public qui est utilisé pour se pavaner dans le luxe, car cette caste, souvent issue de milieux jadis écrasés par la misère et le dénuement, veut rattraper le temps perdu et se venger sur le sort ! Arrivistes à souhait, ces gens-là font tout pour effacer de leur mémoire les privations du passé. Un simple calcul sur la base de leur fiche de paie indique clairement qu’ils ne pourront jamais amasser le dixième de ces sommes faramineuses au cours de toute une vie de labeur. Enfin, labeur, voilà un terme inapproprié pour ces blagueurs en costume cravate qui nous racontent des histoires pour nous endormir.

Boumediène vivait dans un trois-pièces et n’avait pas plus de 600 dinars en banque à sa mort. Son ultime voyage à Moscou, imposé par ses médecins, aura été de courte durée et il est revenu pour être traité à l’hôpital Mustapha-Pacha où il est mort d’ailleurs. Et même si des sommités mondiales sont venues à Alger pour étudier son cas, même si des équipements ont été commandés en dernière minute pour traiter sa maladie, l’homme a su donner à son ultime bataille, celle qu’il a menée courageusement contre la maladie, l’image d’un Algérien soigné en Algérie dans un établissement hospitalier populaire qui est aussi le symbole de ce que la santé publique algérienne avait de meilleur ! Sa mort à l’étranger aurait donné au peuple le sentiment qu’il y a une médecine à deux niveaux, l’une pour la caste au pouvoir et les riches et l’autre pour monsieur Tout-le-monde.

Quelle confiance accorder à des gens qui n’ont pas… confiance dans les hôpitaux de leur pays ? Quel crédit donner à leur discours sur l’amélioration des conditions de vie, de l’école et de la sécurité quand ils préfèrent les produits occidentaux de luxe pour se nourrir et s’habiller, envoient leurs gosses étudier à l’étranger et prennent une armée de barbouzes pour se protéger dans leurs déplacements ?

Elle est belle l’Algérie. Hier, à l’heure du socialisme, ils nous menaient en bateau en faisant de belles phrases sur l’engagement révolutionnaire, la justice sociale et l’égalité des chances. Dès qu’ils achevaient leurs discours, ils montaient dans des limousines et s’en allaient vers leur vie de nababs. Nous étions les dindons de la farce. Nous les avons tellement crus que nous avons été nombreux à faire don de nos terres à la Révolution agraire. Mais, nous ne regrettons rien ! Nous avons mené avec courage, énergie et dévouement la grande bataille pour le socialisme et quand ils sont venus nous dire que ce système n’arrange plus les affaires de l’Algérie, nous les avons encore crus. En fait, ils avaient tellement amassé d’argent qu’il leur fallait l’investir dans des créneaux porteurs ici même. Ils décident le matin et investissent le soir. Prête-noms, filles et fils gâtés ramenés d’Amérique ou d’Europe : vite, vite, il faut faire le max d’affaires avant qu’un semblant de transparence ne vienne tout gâcher ! Le peuple n’a rien vu venir de cette «reconversion». Les apparatchiks, si ! Débrouillards invétérés, ils se retrouvent toujours aux meilleures loges ! Dans le socialisme ou le capitalisme ! Et même dans le trabendisme, système qu’ils ont créé sur mesure pour leurs vastes ambitions mercantiles. Ou encore dans leur dernière trouvaille : l’islamisme… Et puis, il y eut l’affaire Khalifa, la goutte qui a fait déborder le vase, l’énorme scandale qui a éclaboussé presque tout le monde. Depuis le procès sans relief qui a permis de régler leurs comptes aux sous-fifres, en épargnant les éternels «intouchables», nous savons que la justice ne pourra rien contre ces monstres tant qu’elle sera maintenue dans la dépendance du pouvoir politique et le jeu des clans.

Car la clé de voûte de ce système de la corruption est le secteur de la justice. Quand on met fin aux fonctions du procureur courageux qui a poursuivi Chakib Khelil, on se demande si le mot justice a encore un sens dans ce pays ! Si l’on veut réellement combattre la corruption dans la justice, on peut le faire facilement ! Une manière efficace de lutter contre cette corruption est de rapprocher les justiciables de la justice en les poussant à dénoncer toutes les carences et les déviations (…)

La corruption peut demain prospérer et atteindre des niveaux insoupçonnables si l’on n’y met pas un terme aujourd’hui. Les affaires qui secouent le monde politique sont si nombreuses qu’il n’est plus possible de les occulter ou d’en réduire l’impact. C’est une réalité connue de tous et les organisations mondiales non gouvernementales qui ont classé notre pays dans des positions peu honorables le savent mieux que d’autres. Allons-nous encourager les voleurs et les corrompus ou, au contraire, nous réveiller brutalement d’un long cauchemar pour que vérité et justice soient confortées dans un pays où l’une et l’autre ont subi les pires outrages ?

Au moment où les masses populaires peinent sous le fardeau d’une vie devenue impossible, au moment où le pouvoir d’achat croule sous le coup des augmentations successives du coût de la vie, sans que les salaires y apportent les correctifs nécessaires, au moment où tout un pays se fige dans une position d’abandon total, les quelques actions de replâtrage social, bien en deçà des besoins réels des populations, ne semblent pas en mesure de redonner cet espoir dont nous avons tant besoin ! Au contraire, la corruption et les injustices qu’elle provoque finissent par décourager les plus braves. Les cadres qui bâtissent, par le travail et la probité, l’avenir du pays, tous les intègres, les profs des lycées et des universités qui connaissent des fins de mois difficiles, les magistrats propres et tous les directeurs qui ont su échapper au complot du dinar, tous ceux-là sont au bord de la ruine morale.

Le mal continuera-t-il de malmener le bien dans ce pays qui attend, depuis des lustres, de retrouver le chemin de la Justice ? La vraie, pas celle qui se cache dans les Palais…
M. F.

Chronique publiée sous ce titre le 13 mars 2008.

Le Soir d’Algérie, 16/09/2021

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