Législatives du 12 juin 2021
Les leçons d’un scrutin
L’Algérie dépendra encore longtemps des hydrocarbures, du fait qu’elle n’a pas entamé réellement les réformes structurelles.
Abderrahmane MEBTOUL
Le constat est amer en ce mois de juillet 2021, L’Algérie depuis l’indépendance politique est une économie fondamentalement rentière, le système financier, enjeu énorme de pouvoir, étant étroitement connecté à la production de la rente. Toute augmentation ou baisse du cours des hydrocarbures avec les dérivés (98/97% des recettes en devises) ont eu des incidences à la fois économiques et politiques comme en témoignent les impacts politiques de la crise de la baisse du cours entre 1986-1990.
Sans sécurité, existant un lien dialectique sécurité – développement et un retour à la confiance Etat – citoyens, nécessitant des intermédiations politiques, économiques et sociaux crédibles, il ne faut pas s’attendre à des miracles. Bien qu’il y ait lieu de ne pas comparer ces résultats avec ceux des anciennes élections du fait qu’ils ne sont pas significatifs ayant reposé sur des quotas et le bourrage des urnes, la leçon à tirer est qu’il reste un long chemin à parcourir pour redonner confiance afin de rapprocher l’Etat du citoyen, tout en rappelant que les pays développés ont mis des siècles à asseoir la démocratie et qu’avec la nouvelle révolution des télécommunications qui influent sur les comportements il y a de plus en plus méfiance des citoyens vis-à-vis du politique.
Militantisme
Le faible taux des résultats au nombre de voix des partis et des indépendants élus résulte des crises internes qui les secouent périodiquement, du discrédit qui frappe la majorité d’entre eux, de la défiance nourrie à leur égard et à l’endroit du militantisme partisan, se pose cette question si les formations politiques- pouvoir et opposition sont dans la capacité aujourd’hui de faire un travail de mobilisation et d’encadrement efficient, évitant un affrontement direct citoyens- forces de sécurité et donc de contribuer significativement à la socialisation politique et donc d’apporter une contribution efficace à l’oeuvre de redressement national, assistant souvent à leur déconnexion par rapport à la vitalité de la société toujours en mouvement, d’où l’urgence de leur restructuration. Quant à la société civile, force est de constater, qu’elle est éclatée y compris certaines confréries religieuses qui, avec la désintégration sociale et une jeunesse parabolée ont de moins en moins d’impacts contrairement à une vision du passé.
Confusion
C’est que la confusion qui prévaut actuellement dans le mouvement associatif national rend urgente l’élaboration d’une stratégie visant à sa prise en charge et à sa mobilisation. Sa diversité, les courants politico-idéologiques qui la traversent et sa relation complexe à la société et à l’Etat ajoutent à cette confusion avec une société civile informelle, inorganisée, atomisée qui est de loin la plus active et la plus importante, formant un maillage dense, mais du fait de tendances idéologiques contradictoires incapables de s’entendre sur un programme de gouvernement cohérent.
L’intégration intelligente de la sphère informelle, non par des mesures bureaucratiques autoritaires, mais par l’implication de la société elle-même, est indispensable pour sa dynamisation. Car lorsqu’un Etat veut imposer ses propres règles déconnectées des pratiques sociales, la société enfante ses propres règles qui lui permettent de fonctionner. Mais ce discrédit de la classe politique traditionnelle n’est pas propre à l’Algérie où le monde est devenu une maison de verre avec la révolution du système de communication.
Le mythe de la rente
Sur le plan économique, l’Algérie dépendra encore longtemps, du fait qu’avec ce mythe de la rente des hydrocarbures, elle n’a pas entamé réellement les réformes structurelles dont le cours le 3 juillet 2021 est de 76,06 dollars le Brent,75,04 dollars le Wit et le gaz naturel à 3,700 le Mbtu, en nette augmentation en raison des perspectives, sous réserve de la maitrise de l’épidémie du coronavirus, d’un retour à la croissance de l’économie mondiale. Aussi, la future politique énergétique de l’Algérie doit miser sur l’efficacité énergétique, revoir la politique des subventions généralisées, notamment des carburants et dynamiser la production en baisse, en volume physique, les recettes de Sonatrach n’étant pas tributaires d’une bonne gestion interne, mais de l’évolution du cours du niveau international qui échappe à la décision interne. Selon le rapport de l’Opep de mai 2021 la production ne dépasse pas 860.000 barils/j, contre 1,2,à 1,3 million de barils/j entre 2007/2008, idem pour le gaz où les exportations sont passées pour la même période de 65 milliards de mètres cubes gazeux, à environ 55 en 2018 et 40/41 en 2020 selon un ex-ministre de l’Energie.
Cela rend urgent un nouveau management de Sonatrach et la publication tant du Code d’investissement que des décrets d’application de la loi des hydrocarbures pour attirer les investisseurs si l’Algérie veut profiter de cette hausse des prix,, dont le retard et le manque de visibilité dans la politique économique deviennent intolérables ayant assisté à un net recul des IDE en Algérie entre 2018-2020. Pour l’énergie, pour le moyen et long terme, il y a urgence d’avoir une vision stratégique de la transition énergétique (Mix énergétique), de revoir le modèle de consommation énergétique et développer les énergies renouvelables l’hydrogène afin de s’adapter aux mutations énergétiques mondiales entre 2025/2030 qui modifieront le nouveau pouvoir énergétique mondial.
La structure des exportations en 2020, montre la dominance des hydrocarbures traditionnels dont le volume est en déclin, et que les données de 2,2 milliards de dollars d’exportations hors hydrocarbures, 70% sont des semi-produits et des dérivés d’hydrocarbures, étant utopique, surtout avec la paralysie de l’appareil de production et de la majorité de segments non concurrentiels, d’annoncer, une exportation de 4/5 milliards de dollars hors hydrocarbures pour l’année 2021 et pour avoir la balance devises nette, pour l’Algérie, il faudra retirer les matières importées en devises. Comme effet du manque de vision, le taux de croissance du produit intérieur brut qui détermine le taux d’emploi, est en nette diminution, estimée en 2020 à 160 milliards de dollars et selon le FMI de 153 milliards de dollars pour 2021. Cela s’explique par la léthargie de l’appareil de production impacté tant par sa structure passée que par l’épidémie du coronavirus, (selon le patronat, une perte d’emplois d’environ 500000 uniquement dans le Btph) et le tissu économique fonctionnant à peine à 50% de ses capacités.
Les réserves de change
Je ne saurai trop insister sur l’urgence de synchroniser la sphère réelle et la sphère financière, la dynamique économique et la dynamique sociale, la vision purement monétariste, la planche à billets (sans contreparties productives), l’Algérie souffrant de rigidités structurelles, la théorie néo-keynésienne étant inapplicable et du manque de devises et non pas de dinars, sous prétexte d’éviter l’endettement extérieur qui peut être positif s’il est ciblé et créateur de valeur ajoutée, et la dévaluation du dinar pour combler artificiellement le déficit budgétaire, politique qui conduira inéluctablement au scénario vénézuélien avec une faillite de l’économie marquée par une hyperinflation et de vives tensions sociales avec un impact sécuritaire. Les réserves de change qui tiennent à 70% la cotation du dinar, sont passées de 194 milliards de dollars fin 2013,à 62 fin 2020, 42 fin 2021 et qu’en sera-t-il fin 2021 avec toutes les restrictions qui ont paralysé tout l’appareil de production en 2020. Sur le plan macro- social, les caisses de retraite selon le ministère du Travail, en date du 8 avril 2021 le déficit financier de la CNR pourrait atteindre 690 milliards de dinars en 2021, le nombre de retraités dépassant les 3,3 millions, la CNR enregistrant un taux de cotisation, estimé à 2,2 travailleurs pour chaque retraité alors que pour un équilibre, le taux de cotisation devrait atteindre cinq travailleurs pour un retraité.
Encore que les transferts sociaux et subventions généralisées, qui représenteront 23,7% du budget général de l’Etat et 9,4% du PIB pour l’exercice 2021 sont intenables dans le temps.Il faudra créer entre 350 000/400 000 emplois par an entre 2021-2025 qui s’ajoute au taux de chômage actuel afin d’atténuer les tensions sociales et pour le FMI, le taux de chômage incluant la sphère informelle et les emplois-rente, devrait atteindre 14,5% en 2021, et 14,9% en 2022, contre 14,2% en 2020, ce taux dépassant les 20/30% pour les catégories 20/30 ans et paradoxalement les diplômés. Pour l’Algérie, le population active dépasse 12,5 millions sur une population totale résidente, 44,7 millions d’habitants au 1er janvier 2021 avec une sphère informelle représentant selon le FMI environ 33% de la superficie économique, mais plus de 50% hors hydrocarbures, contrôlant une masse monétaire hors banques, selon les informations données par le président de la République, entre 6000 et 10000 milliards de dinars 30-45% du PIB, différence montrant l’effritement du système d’information, soit au cours de 130 dinars un dollar entre 46,15 et 76,90 milliards de dollars.
Les entrées en devises entre 2000-2019 ont été supérieures à 1000 milliards de dollars pour une sortie de biens et services d’environ 935 milliards de dollars, le solde étant les réserves de change fin 2019 pour un taux de croissance dérisoire entre 2/3% alors qu’il aurait dû dépasser les 9/10%: mauvaise gestion ou surfacturation. Si on applique seulement un taux de surfacturation de 15%, les sorites illégales de devises sont supérieures à 140 milliards de dollars et ce avec la complicité d’opérateurs étrangers.
En résumé, c’est dans ce nouveau contexte que l’Algérie célèbre le 5 Juillet 2021 la fête de l’Indépendance. Il serait, en cas du retour au FMI courant 2022, tant pour le pouvoir, l’opposition de parler d’indépendance sécuritaire, politique qu’économique. Avec des incidences géostratégiques négatives de déstabilisation de la région méditerranéenne et africaine que ne souhaitent, ni les USA, ni l’Europe, ni d’ailleurs aucun Algérien patriote, comme je l’ai souligné dans deux interviews entre 2017-2018 à AfricaPresseParis, l’autre à l’American Herald Tribune «Dr. Abderrahmane Mebtoul: «Algeria Still Faces Significant Challenges».
L’efficacité des institutions, sous réserve d’une planification stratégique qui devra s’articuler autour de grands ministères homogènes et de 5/6 grands pôles régionaux économiques, pour faire face à la crise économique et redonner confiance aux citoyens. Comme je l’ai souligné lors de deux récentes interviews au niveau national le 27 juin 2021 à une télévision algérienne, le 1er juillet 2021 à Chorouk et au niveau international le 30/06/2021 à Maghreb Voices (USA), du fait de vives tensions économiques et sociales, le défi du futur gouvernement est avant tout économique afin d’asseoir la transition d’une économie de rente à une économie hors hydrocarbures dans le cadre des valeurs internationales, impliquant de profondes réformes structurelles, douloureuses à court terme, nécessitaient une forte cohésion sociale, mais porteuses d’avenir à moyen et long terme.
Professeur des universités, expert international, docteur d’Etat 1974 ademmebtoul@gmail.com
L’Expression, 05/07/2021
Etiquettes : Algérie, Fête de l’Indépendance, dépendance des hydrocarbures, réformes structurelles, économie rentière, système financier,
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