Le magnat des médias Bolloré fait de Radio Europe 1 le haut-parleur des réactionnaires. Des campagnes de désinformation et de dénigrement contre les forces de gauche sont à craindre.
Par Hansgeorg Hermann
Les cinq jours de grève n’ont pas servi à grand-chose. La rédaction de la station de radio française Europe 1, établie de longue date, ne pourra guère empêcher sa mutation en haut-parleur de la droite politique. Quasiment menée à la ruine par son propriétaire Arnaud Lagardère ces dernières années, la station est de plus en plus sous l’influence du milliardaire Vincent Bolloré, principal actionnaire du groupe de médias Lagardère et patron du géant de la communication Vivendi, depuis 2020. Mercredi, la multinationale de Bolloré a pris le contrôle du conseil d’administration de Lagardère avec près de 27 % des actions. Europe 1 sera fusionnée avec la station C-News à partir de septembre. Le résultat, à dix mois de la prochaine élection présidentielle, est un puissant haut-parleur de la frange politique de droite.
Le modèle des nouveaux plans de Bolloré, dans lesquels Arnaud Lagardère ne devrait jouer qu’un rôle secondaire, comme une sorte de directeur de petit-déjeuner, est de toute évidence l’empire du magnat australo-américain des médias Rupert Murdoch et sa chaîne Fox News. Comme cette dernière, C-News et, à l’avenir, probablement la station Europe 1, déjà vidée de certains de ses journalistes indépendants et critiques, devraient présenter des candidats de droite pour mai 2022 ; à ce stade, il est probable que ce soit Marine Le Pen et Xavier Bertrand. Le leader du Rassemblement national (RN) fasciste est depuis longtemps le favori déclaré de Bolloré ; Bertrand, un bourgeois de droite, est un ancien ministre de son vieil ami Nicolas Sarkozy, qui a été la figure la plus importante du paysage politique de Bolloré en tant que président de 2007 à 2012. Pour la gauche politique et ses candidats, C-News en particulier pourrait devenir un muckraker de la désinformation dans la campagne électorale.
Les journalistes d’Europe 1 ont mis fin à leur grève mercredi dernier après un « rapprochement » entre les travailleurs et la direction de la station. Dans un communiqué diffusé par le personnel, on peut lire : « La direction d’Europe 1 est prête à entamer des négociations sur une compensation (financière) pour les rédacteurs qui souhaitent quitter la chaîne parce qu’ils sont en désaccord avec sa future orientation (éditoriale). » Pas de problème pour Bolloré, dont les derniers collaborateurs journalistiques se sont déjà ralliés à un « éditorialiste » notoire de la droite intellectuelle : Éric Zemmour, dont les débordements racistes ainsi que les articles de presse et les tournées télévisées ont déjà été condamnés et sanctionnés plusieurs fois par la justice, est censé fournir l’ambiance et la bonne « réacosphère », l’espace d’expérience d’un public radiophonique largement vulgaire et politiquement enthousiaste.
Dans un communiqué mercredi, la fédération de la Société des Rédacteurs, ainsi que tous les principaux syndicats, diffusent un vague espoir présenté à l’impératif : « Europe 1 restera une station généraliste d’information et de divertissement – ce ne sera pas une radio d’opinion comme C-News. » Les équipes rédactionnelles « ne veulent pas être instrumentalisées ou impliquées dans un quelconque activisme qui divise la société ». Les rédacteurs expriment leur « inquiétude quant à l’influence de Vincent Bolloré ». En contrôlant le groupe Lagardère, il a également « la main sur des publications telles que Paris Match et Le Journal du Dimanche » ainsi que sur un certain nombre d’éditeurs de livres, tels que Hachette, Hatier ou Stock.
L’inquiétude grandit également au sein du personnel de Hachette. La question de savoir quelle voie le troisième groupe d’édition mondial va emprunter sous l’influence de l’actionnaire principal est restée sans réponse jusqu’à présent. Hachette réunit environ 150 éditions souvent célèbres – Calman-Levy, Fayard, Stock, Le Livre de Poche, par exemple – avec un volume d’affaires de 2,37 milliards d’euros l’an dernier. Avec Editis, le groupe Vivendi de Bolloré a déjà en poche le deuxième groupe d’édition du pays après Hachette. En mars de cette année, Arnaud Lagardère, poussé par le « monstre » Bolloré, comme les professionnels des médias ont fini par appeler le cupide Breton, a chassé du tribunal le directeur de publication insubordonné d’Hachette, Arnaud Nourry. Nourry avait osé critiquer la monopolisation du secteur littéraire – l’union d’Hachette et d’Editis – dans le quotidien parisien Le Monde et le journal économique Les Echos.
Afin de maintenir son niveau de vie, Lagardère, toujours joyeux, mais toujours à court d’argent, s’est retrouvé en marge du secteur de l’édition française, autrefois très respectable. Dans le magazine littéraire Livres Hebdo, l’économiste Françoise Benhamou a récemment calculé qu’avec le regroupement des deux groupes d’édition sous le giron de Vivendi, Bolloré et son groupe domineront à l’avenir 71 % du marché du livre non scolaire, 63 % pour les encyclopédies, 54 % pour les guides touristiques et 50 % pour les livres scolaires. Le quotidien de gauche L’Humanité a mis en garde mercredi contre cette « concentration dangereuse » et a demandé : « Que fait réellement l’État ? »
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JungeWelt, 01/07/2021
Etiquettes : Vincent Bolloré, Lagardère, Vivendi, CNews, Marine Le Pen, Xavier Bertrand, Rassemblement national, RN,
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