Ces cinq jours ont été mouvementés pour la diplomatie des deux côtés de l’Atlantique. Un sommet du G7 (11-13 juin) à Londres, suivi d’un sommet de l’OTAN (14 juin) à Bruxelles, d’une réunion entre les États-Unis et l’Union européenne (15 juin) et d’une rencontre à Genève entre le président russe Vladimir Poutine et son homologue américain Joe Biden (16 juin). Ce dernier a pressé la dernière goutte de sa première visite officielle en Europe, mais il reste à voir si les forums multilatéraux sont toujours pertinents après quatre ans de mauvais traitements par Donald Trump.
Quelle est l’utilité des sommets tels que le G7, le G20 et l’OTAN ?
RUTH FERRERO-TURRIÓN | Professeur de sciences politiques à l’Université Complutense de Madrid. @RFT2
Les sommets informels de grands leaders mondiaux ne sont pas nouveaux. Les XIXe et XXe siècles sont des scénarios dans lesquels les accords entre les vainqueurs des conflits ont déterminé le cours politique, social et économique de la planète dans ce que l’on a appelé le régime des grandes puissances. Au cours des dernières années de la guerre froide, le G7/8 est apparu comme un instrument de gouvernance mondiale pour faire face aux crises économiques successives depuis 1970. Le critère d’adhésion était le poids économique. Les États qui font partie de ce groupe ont jusqu’à présent dépassé 50 % de la richesse nette mondiale.
La vie de ces sommets, leur essor et leur déclin, est directement liée au développement de la mondialisation néolibérale, d’abord timidement contestée par les pays du Sud, puis par les pays émergents qui cherchent leur espace dans la gouvernance mondiale. Dans un contexte de changement géopolitique où la Chine cherche sa place, avec une augmentation des tendances démondialisatrices et des impulsions nationalistes, ainsi que des leaderships de plus en plus personnalistes, ni le G7 ni le G20 ne semblent posséder un leadership politique suffisant pour continuer à fixer un agenda qui est de moins en moins multilatéral et de plus en plus fragmenté.
RICHARD GOWAN | Directeur du programme ONU à Crisis Group. @RichardGowan1
Aujourd’hui, les sommets des grandes puissances sont souvent plus symboliques que substantiels. Le G7 a commencé comme un lieu informel où les dirigeants occidentaux pouvaient s’entretenir en privé dans les années 1970. Maintenant, c’est un cirque médiatique. En Cornouailles, les journalistes ont rapporté la prétendue dispute d’Emmanuel Macron avec Boris Johnson au sujet de l’Irlande du Nord presque aussitôt qu’elle s’est produite. Il est difficile de croire que les dirigeants tiendront réellement des discussions approfondies dans de telles circonstances. Cela dit, les diplomates s’accordent à dire que les sommets du G20 sont encore plus formels et scénarisés que les réunions du G7.
Mais le symbolisme compte aussi. L’objectif du sommet de Cornouailles était de montrer que les États-Unis et leurs plus grands alliés étaient à nouveau amis après les années Trump. Et cela a réussi. Les images de Biden socialisant facilement avec Macron, Johnson et d’autres ont été une bonne publicité.
La grande question est de savoir si tout ce théâtre a un réel impact politique. En Cornouailles, par exemple, les dirigeants du G7 ont souligné leur inquiétude face aux risques de guerre dans la région du Tigré, en Éthiopie, menant à la famine. Mais les États-Unis et leurs alliés ont du mal à obtenir du Conseil de sécurité qu’il tienne ne serait-ce qu’une seule réunion publique sur le conflit – la Chine, la Russie et les États africains sont sceptiques – et l’ONU manque cruellement de fonds pour venir en aide aux victimes de la famine. Il reste à voir si les membres du G7 vont maintenant utiliser leurs ressources politiques et financières combinées pour obtenir un cessez-le-feu et faire parvenir l’aide aux personnes dans le besoin. S’ils n’y parviennent pas, le G7 aura l’air d’un bon salon de discussion, mais rien de plus.
POL MORILLAS : Directeur du Cidob (Centre des affaires internationales de Barcelone). @polmorillas
Lors d’une récente session du Forum de Bruxelles, la conférence du German Marshall Fund (à distance cette année), deux experts ont confronté leurs idées sur la question de savoir si les mécanismes informels sont la solution au blocage des structures formelles de gouvernance mondiale. La confrontation géopolitique entre les grandes puissances, la primauté des intérêts nationaux dans la résolution des défis mondiaux, ou encore la divergence croissante des politiques et des valeurs entre les pays ont fait que des institutions telles que le Conseil de sécurité des Nations unies, l’Organisation mondiale de la santé ou l’Organisation mondiale du commerce sont soumises à un blocage constant.
L’architecture mondiale se trouve dépourvue de la volonté politique d’avancer sur des défis communs tels que le coronavirus, le changement climatique, les menaces hybrides, la cybersécurité ou la réforme des institutions mondiales elles-mêmes. Lorsque les structures formelles échouent, les structures informelles prennent le relais. Et c’est là que les récents sommets tels que le G7 ou le sommet bilatéral entre les États-Unis et l’Union européenne reprennent de l’importance. Ils servent de prélude à la détermination de la volonté politique des dirigeants (ou de leur absence) et, dans le meilleur des cas, à l’élaboration d’un consensus qui est ensuite transféré conjointement à des organes plus formels. Pensez au consensus (jusqu’à récemment impensable) sur un impôt mondial sur les sociétés ou au rapprochement entre les États-Unis et l’UE concernant la relation avec la Russie ou la Chine, après l’impasse de Donald Trump.
Si les questions centrales de l’agenda mondial devaient être confinées au débat dans les organes officiels et les institutions internationales, les divergences entre les États aboutiraient à une impasse quasi permanente. Les sommets au plus haut niveau des pays partageant les mêmes idées peuvent contribuer à faire avancer certains agendas mondiaux, même si, pour des questions telles que le changement climatique, il restera nécessaire d’élargir ces consensus à des puissances moins proches en termes de valeurs et d’intérêts, comme la Chine ou la Russie.
MIGUEL OTERO | Chercheur principal au Real Instituto Elcano et professeur à l’IE School of Global and Public Affairs. @miotei
Les sommets du G7, du G20 et de l’OTAN restent importants pour deux raisons en particulier. Le premier est le travail précédent effectué par les Sherpas : un travail plus technique, couvrant de multiples aspects, pour parvenir à des accords, des visions et des stratégies partagées. C’est un travail très important des plombiers. Il est dans l’ombre et se déroule tout au long de l’année, mais il existe un processus de socialisation important : parvenir à un consensus ou trouver des moyens de refléter les dissensions lorsqu’il y en a, ce qui est généralement le cas dans un G20. L’exercice de socialisation se fait également au niveau des dirigeants : qu’ils se rencontrent et maintiennent le dialogue, malgré leurs différences – surtout dans le climat actuel de rivalité géopolitique – est très important.
Pour le G7, le but des sommets est de faire « équipe » pour maintenir une alliance entre des personnes partageant les mêmes idées (maintenant que la Russie ne fait pas partie du groupe). Au G20, il y a plus de désaccords et il s’agit de maintenir le dialogue, malgré les différences. Au sein de l’OTAN, il s’agit de mener un dialogue plus stratégique sur les questions » dures » de politique étrangère : sécurité, défense, identification des défis, des dangers et des menaces. Pour l’Europe, il est utile de noter que non seulement les États-Unis doivent avoir une vision stratégique, mais aussi l’UE.
ANA PALACIO : Ministre des Affaires étrangères entre 2002 et 2004. Avocat international spécialisé en droit européen, droit international public et arbitrage. @anapalacio
Dans notre monde d’immédiateté et de manque d’attention, de raccourcis, de précipitation, un sommet est avant tout perçu comme un sommet de plus. Une photo : pose formelle, avec des poteaux marqués au sol d’un groupe de dirigeants. Peut-être une déclaration qui sera lue par quelques érudits, scrutant le foie de chaque mot, de chaque expression. Le public s’intéressera avant tout à la déclaration, à la conférence de presse de telle ou telle personne, qui profitera de l’occasion pour en tirer le meilleur parti.
Cela dit, sont-ils équivalents ? Ils ne le sont pas. Sauf à rester dans l’écume des réalités très différentes qu’ils contiennent.
Le G7 et le G20 ont en commun – et ils se distinguent de l’OTAN – d’être, oui, informels, dans la mesure où ils ne sont pas nés d’un accord de droit primaire et ne disposent pas de la structure institutionnelle pour les soutenir. C’est la fin de l’équivalence. Le G20 est purement le fruit de la confluence des inefficacités perçues de l’architecture multilatérale fondée sur des règles et des institutions, l’échafaudage des relations internationales mondiales, et de la tendance actuelle à la diversité et à l’inclusion, à l’informalité également. Il a connu un moment transcendant dans le sillage de l’hécatombe économique de 2008.
Le G7 est né après la crise pétrolière des années soixante-dix du siècle dernier, avec laquelle le monde a commencé à changer, pour l’accord des six principales économies de la planète, alors les États-Unis, le Japon, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France et l’Italie (bientôt rejoints par le Canada). Aujourd’hui, avec la perte de l’hégémonie économique, il est logique de la réinventer comme le noyau moteur de la société ouverte, les fondements de la démocratie libérale.
Contrairement à l’informalité qui caractérise les deux précédents, le « sommet » de l’OTAN est établi par le traité fondateur de l’Atlantique Nord. Il s’agit de l’organe suprême de l’institution qu’il crée : « Les parties établissent un Conseil, au sein duquel chacune d’entre elles est représentée, pour examiner les questions relatives à l’application du présent traité ».
VICENTE PALACIO : Directeur de l’Observatoire de la politique étrangère de la Fundación Alternativas. @VPalacio22
L’utilité de ces sommets et forums a été remise en question ces derniers temps. Avec le retour au multilatéralisme de l’administration Biden-Harris, ils gagnent à nouveau en importance. Ils reflètent un nouveau climat de coopération, heureusement très différent de celui auquel Trump nous avait habitués. Des sommets comme le G7 ont été critiqués, à juste titre, pour ne pas être en mesure de représenter tous les acteurs mondiaux. Le G20 pourrait, en théorie, être plus représentatif et plus pertinent. Le problème est qu’elle n’a pas produit de réalisations ou de résultats clairs lors de ses derniers sommets. Après la crise financière de 2008, aucune initiative majeure n’a été mise sur la table.
Lors des sommets du G7 et de l’OTAN, nous avons pu observer des aspects positifs, tels que le retour au multilatéralisme de la part des États-Unis et un accueil favorable de la part de leurs alliés européens. Mais l’insuffisance de ces sommets se manifeste aussi de deux manières. Tout d’abord, le manque de concrétude des résultats, malgré l’ambition déclarative. Le G7 ne fournira pas suffisamment de doses de vaccins pour assurer une vaccination universelle. Un milliard de vaccins est clairement insuffisant, comme l’a critiqué l’ancien Premier ministre britannique Gordon Brown. Il n’y a pas eu non plus de progrès sur la suspension temporaire des brevets pour les vaccins, sur le déploiement de fonds suffisants pour le redressement des pays à faible revenu, ou dans le domaine de la lutte contre le changement climatique. Le G7 n’a pas réussi à mettre sur la table des chiffres suffisamment forts pour faire face à la gravité de ces crises, ce qui nous montre un deuxième problème : il s’agit encore d’un club exclusif, où les grandes puissances indispensables à toute gouvernance mondiale, comme la Russie ou la Chine, ne sont pas représentées.
Le sommet de l’OTAN a constitué un pas en avant, grâce à l’annonce du nouveau concept stratégique de l’Alliance. Mais il y a beaucoup d’inconnues dans l’air, et il est douteux que se concentrer sur la Chine soit un objectif partagé par des membres de l’OTAN comme l’Allemagne, la France ou même l’Espagne. Le positionnement frontal de l’OTAN contre la Russie et la Chine rend difficile l’élaboration d’une doctrine d’autonomie stratégique européenne, indépendante des intérêts américains. Il n’est pas certain que l’OTAN – une organisation qu’Emmanuel Macron décrivait comme étant en déclin il y a seulement deux ans – puisse résoudre ce genre de problèmes.
En définitive, les problèmes de ces forums sont liés à leur propre organisation ou représentativité. Ils rassemblent des pays des démocraties dites libérales, mais il leur manque une stratégie claire pour jeter des ponts et impliquer d’autres grandes puissances dans les questions de gouvernance mondiale -financière, de sécurité, etc.-. Espérons que des progrès concrets seront réalisés sur des solutions qui dépassent les pays riches et incluent d’autres puissances ayant un poids géopolitique et des régions plus défavorisées.
Politica exterior, 17 juin 2021
Etiquettes : sommets internationaux, G7, G20, OTAN,
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