La France reste au Sahel malgré le « retrait »

Macron envoie des messages divergents aux électeurs français, aux Africains, aux alliés et aux putschistes.

PARIS – Le président français Emmanuel Macron doit être ravi des gros titres.

« Macron annonce la fin d’une opération militaire majeure en Afrique de l’Ouest » – « Macron annonce la fin de l’opération Barkhane » – « G7 : Macron annonce une ‘transformation profonde’ de la présence militaire française au Sahel ».

Malgré l’annonce faite à la veille du sommet du G7, une réunion des sept principales démocraties industrialisées du monde, la réalité est que la France risque de rester coincée dans les sables de l’Afrique de l’Ouest dans un avenir prévisible.

Mais face à l’aggravation de l’instabilité dans la région et au malaise croissant chez nous, Macron a réussi à donner l’impression d’un changement radical de politique.

En annonçant « la fin de l’opération Barkhane en tant qu’opération extérieure » et une « transformation profonde » de la présence française, Macron a envoyé de multiples messages à ses différents publics : Les électeurs français, les Africains, les États-Unis, les partenaires européens et les gouvernants du Sahel.

Moins d’un an avant sa réélection, M. Macron a indiqué à son public national qu’il commençait à se désengager d’une guerre du désert longue et impossible à gagner, lancée par son prédécesseur en 2013. Il s’est également engagé à poursuivre une lutte plus limitée contre le « terrorisme islamique » et a reproché aux putschistes du Mali et, dans une moindre mesure, du Tchad de ne pas avoir réussi à stabiliser la région.

Pour les électeurs français, dont beaucoup disent aux sondeurs qu’ils ne comprennent plus pourquoi les troupes françaises continuent de mourir au Sahel, cela sonne comme un message bienvenu que « nos garçons rentrent à la maison », même si la présence de 5 100 hommes sera probablement réduite et adaptée plutôt que retirée. Si les forces françaises subissent des pertes d’ici le jour de l’élection, Macron aura au moins en partie évité d’être blâmé et privé ses adversaires d’un angle d’attaque « sans troupes ».

Pour les Africains, qui se sentent humiliés de devoir compter sur leur ancien maître colonial pour leur sécurité ou qui sont furieux que la présence française n’ait pas mis fin au bain de sang, ou les deux, le message de Macron était que la France n’abusera pas de son hospitalité. Si leurs dirigeants ne veulent pas ou ne peuvent pas mettre en place des institutions légitimes et démocratiques et rétablir les services publics dans des régions abandonnées depuis longtemps, Paris ne peut pas le faire à leur place.

« Nous ne pouvons pas continuer à stabiliser des zones qui retombent dans l’anarchie parce que des États décident de ne pas en prendre la responsabilité. C’est impossible, ou alors c’est une tâche sans fin », a déclaré le président.

Aux dirigeants des récents coups d’État militaires au Tchad et au Mali – deux des pays du Sahel où les forces françaises ont combattu les insurgés djihadistes – Macron a lancé un avertissement clair : ils ne peuvent plus compter sur le soutien militaire de Paris s’ils sapent les institutions de leur propre pays et ne servent pas leurs peuples.

« La présence durable de la France dans les opérations (militaires) extérieures ne peut se substituer à un retour de l’État, des services publics, de la stabilité politique et des choix faits par les États souverains », leur a-t-il dit.

Dans le même temps, M. Macron a cherché à rallier le soutien international à la poursuite d’une campagne antiterroriste dans la région, où deux coalitions distinctes de groupes djihadistes – l’une affiliée à Al-Qaïda et l’autre prêtant allégeance à ISIL – ont étendu leur empreinte et créé des structures étatiques parallèles dans des zones cédées depuis longtemps par les forces gouvernementales.

M. Macron a souligné qu’il consulterait les partenaires américains et européens avant de modifier le déploiement militaire français, les a remerciés pour leur soutien continu et a promis de continuer à diriger la Task Force Takuba, qui regroupe des forces spéciales européennes chargées de former et d’accompagner une force conjointe du Groupe des cinq (G5) créée par les États du Sahel pour combattre les djihadistes.

L’action ciblée de la France contre la guérilla, qui s’étend sur une zone plus grande que toute l’Europe, n’est possible que grâce au renseignement satellitaire américain, à la reconnaissance et à la surveillance par drones, au transport aérien stratégique et au ravitaillement en vol.

Les partenaires européens, tels que le Royaume-Uni, le Danemark et la Suède, fournissent des capacités cruciales en matière d’hélicoptères pour l’aéromobilité. D’autres Européens, dont les Allemands et les Britanniques, ont envoyé des troupes à la mission de maintien de la paix des Nations unies au Mali, et des partenaires plus petits, comme l’Estonie et la République tchèque, ont fait preuve d’une solidarité européenne symbolique très importante en engageant des forces spéciales à Takuba.

L’Union européenne assure la formation militaire des forces armées maliennes et de la force conjointe du G5 Sahel, ainsi que le renforcement des capacités des forces de sécurité intérieure du Mali et du Niger. Paris cherche désespérément à les maintenir sur le terrain, même si elle cherche à réduire son propre profil militaire.

Cependant, même si la décision de M. Macron est populaire dans son pays, son message habile comporte plusieurs failles.

Comment pourra-t-il convaincre les nouveaux dirigeants militaires de Bamako ou de N’Djamena de réformer leurs États décrépits, de lutter contre la corruption et l’impunité, ou de passer à un régime civil et démocratique s’ils pensent que les Français sont de toute façon sur le point de partir ? Pourquoi les gouvernements du Mali et du Burkina Faso ne chercheraient-ils pas à conclure des accords de paix avec certains des insurgés djihadistes, défiant les lignes rouges françaises, même si cela signifie accepter de facto des poches de charia dans certaines régions ?

Comment Macron va-t-il persuader les alliés européens réticents et cajolés de participer aux opérations militaires menées par la France au Sahel de maintenir le cap s’ils voient Paris retirer la plupart de ses propres troupes de la zone de danger ?

Pourquoi le président américain Joe Biden, qui a pris la décision inconfortable de retirer les forces américaines d’Afghanistan d’ici le 11 septembre, devrait-il continuer à fournir un soutien militaire aux Français en Afrique de l’Ouest, si Macron lui-même dépeint l’effort de stabilisation comme, essentiellement, une cause perdue ?

Les alliés de la France peuvent être disposés à rester dans la région en raison de leurs propres préoccupations concernant l’endiguement du militantisme islamique, la limitation de sa propagation vers le Golfe de Guinée et l’Atlantique où ils ont des intérêts économiques, et la prévention d’une éventuelle vague de migration irrégulière vers l’Europe.

Mais après qu’un groupe de généraux à la retraite a suscité la controverse cette année en affirmant que l’État français était subverti par le radicalisme islamique et en mettant en garde contre un risque de « guerre civile meurtrière », M. Macron doit également relever le défi de vendre cette nouvelle politique à ses propres militaires.

Loin de pouvoir déclarer que la « mission est accomplie » – aussi illusoire qu’elle ait pu être dans le cas des interventions américaines en Irak et en Afghanistan – le dirigeant français admet presque que l’opération au Sahel, malgré des succès tactiques contre les djihadistes, est un échec.

Cet échec n’est pas comparable à la défaite militaire au Vietnam ou au retrait ignominieux d’Algérie qui a mis fin de manière traumatisante à la domination coloniale française dans les années 1950 et 1960. Mais il s’agit néanmoins d’un revers significatif pour la France dans son propre « arrière-cour », que toute la rhétorique habile de Macron ne peut masquer.

Politico, 12 juin 2021

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