La France change de stratégie au Mali

Par Nadji Azzouz

Deux semaines après le coup d’Etat dans le coup d’Etat du colonel Assimi Goïta au Mali, le président Emanuel Macron a décidé de mettre fin, en sa configuration actuelle, de l’opération Barkhane et de transformer, en profondeur, la présence militaire française au Sahel. Il a précisément annoncé « la fin de l’opération Barkhane en tant qu’opération extérieure » mais n’a pas exclu l’engagement de son pays au Sahel. Il s’agit d’un relooking au sein dispositif Barkhane.

Il sera alors question d’un retrait progressif des forces françaises, 5100 soldats déployés jusqu’ici au Sahel, principalement au Mali, contre les groupes terroristes islamistes.

Constatant l’enlisement progressif de Barkhane depuis son engagement il y a sept ans en reconnaissant que « la forme de notre présence, sous forme d’opération extérieure, n’est plus adaptée à la réalité des combats », le président français décide donc de changer de fusil d’épaule en abandonnant Barkhane dans son format actuel, peu efficace et coûteux, pour mieux changer de stratégie au Sahel. Comprendre ainsi que la France ne quittera pas la région, mais veut y rester en partageant de plus en plus le poids militaire de sa présence avec d’autres partenaires régionaux et internationaux. Dans des cadres multilatéraux de préférence.

« Nous amorcerons une transformation profonde de notre présence », a-t-il indique en prônant « un changement de modèle », sans pour autant s’engager sur un calendrier ou une réduction chiffrée des effectifs. Selon des sources françaises spécialisées, ces effectifs pourraient être réduits de moitié d’ici deux ans. À terme, la présence française devrait encore se compter en milliers, estime-t-on. Le locataire de l’Elysée compte aborder la question du Sahel lors du prochain sommet européen du 24 juin. Un sommet du G5 Sahel pourrait également se tenir début juillet.

Lors de la conférence de presse au cours laquelle il a annoncé la fin de Barkhane, le président Macron a expliqué sa décision notamment par des arguments démocratiques liés aux conséquences du changement de leadership politique à Bamako, à deux reprises en neuf mois seulement. Mais en réalité, il y a, à la base, un phénomène d’usure de la stratégie militaire en vigueur avec le lancement de Barkhane en 2014, schéma qui a succédé aux dispositifs précédents Serval et Epervier.

Depuis plusieurs mois, la France cherchait en effet un moyen de sortir du piège étouffant de Barkhane : une guerre sans fin, une gestion inopérante d’un statu quo délétère qui épuise substantiellement les crédits militaires et les soldats. « Force est de constater qu’il y a un phénomène d’usure », a fini par admettre le président Macron en refusant néanmoins de lier sa décision à l’échéance présidentielle de 2022, mais tout en y pensant toutefois. Soucieux de sa réélection au printemps prochain, et pragmatique à souhait, le jeune chef de l’Etat français redoute particulièrement d’être prisonnier d’un scénario à l’afghane.

Le président Macron n’a donc pas annoncé un départ définitif et un désengagement militaire complet de la France du Sahel. Le plan de sortie de crise se veut être ordonné et progressif. La future présence française au Mali s’organiserait autour de deux axes, selon des spécialistes français. Un premier volet poursuivrait la coopération avec les partenaires locaux. La mission EUTM de formation, pilotée par l’Union européenne, en serait dans les prochains mois l’axe central. En dépit du second putsch à Bamako en moins d’un an, l’EUTM, programme de formation de l’Union européenne au Mali, prévoit toujours d’étendre son activité avec la mise en place d’un centre d’entrainement à Sévaré, dans le centre du pays.

L’autre pilier de la coopération privilégierait la lutte antiterroriste. Il serait structuré essentiellement autour de la force d’intervention spéciale Takuba (sabre en tamashek), groupement européen placé sous le commandement français de Barkhane. En mars 2020, cette initiative collégiale reçut le soutien politique initial de l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, l’Estonie, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal, la République tchèque, le Royaume-Uni et Suède, mais peu s’engagèrent à envoyer leurs forces spéciales au Sahel, sauf l’Estonie, la République tchèque et la Suède, premiers pays présents effectivement sur le terrain.

Takuba aurait atteint sa pleine capacité opérationnelle (FOC, pour Full Operational Capability), au début de l’année 2021. Composée de forces spéciales, elle a pour mission de former et d’accompagner au combat contre les groupes terroristes les armées locales. L’armée française demeurera donc « la colonne vertébrale » de Takuba, a dit Emmanuel Macron en évoquant « plusieurs centaines de soldats ».

Si Barkhane se termine, la France, elle, n’a pas encore quitté le Sahel, et ce ne sera pas pour demain, intérêts stratégiques obligent.

Le Jeune Indépendant, 11 mai 2021

Etiquettes : Mali, Sahel, France, Barkhane, Takuba, Afrique de l’Ouest,

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