Les images qui nous parviennent ces jours-ci de Ceuta sont le reflet le plus clair et le plus précis du traitement réservé par le régime marocain à ses citoyens.
Najat el Hachmi, écrivaine espano-rifaine, prix Nadal 2021
À la mer, à la misère, au désespoir et au vide. Les images qui nous parviennent ces jours-ci de Ceuta sont le reflet le plus clair et le plus précis de la façon dont le régime marocain traite ses ressortissants.. Cela ne date pas d’hier ni d’aujourd’hui, c’est ce qu’il a toujours fait depuis des décennies et c’est pourquoi la diaspora marocaine est l’une des plus nombreuses, avec des familles éparpillées sur tout le continent européen, entretenant tant bien que mal des réseaux d’affection internationaux. L’émigration a longtemps été la seule issue, mais nous ne sommes pas partis parce que nous voulions voir le monde, faire du tourisme, par esprit d’aventure ou par vocation d’exploration. Nous ne sommes pas partis, en fait, nous avons été expulsés de nos terres parce que ceux qui nous gouvernent les ont transformées en déserts arides où il est impossible de se projeter avoir un avenir, avoir une vie digne.
Une approche de la situation par les sentiments et jouant sur les émotions simples est une autre forme d’infantilisation. Transformer la douleur des autres en spectacle gratuit et divertissant un public qui s’ennuie pendant un certain temps. Pauvres petits Maures et Noirs frissonnant dans l’eau. Comme si la pauvreté était le résultat d’une catastrophe naturelle et le manque de ressources, un destin fatal dû à la géographie et non au politique. L’analyse socio-économique semble être un autre privilège réservé aux citoyens de cette partie du monde. Nous sommes pauvres par nature et nous devons être traités avec un paternalisme avilissant.
Personne ne pointe du doigt le scandale en soi : que des familles entières font reposer leur projet migratoire sur les épaules de leurs enfants, que le Maroc maltraite systématiquement ses mineurs en les expulsant à l’étranger au lieu de les protéger, de les nourrir et de les éduquer.
Eh bien, cela ne relève pas de la fatalité, ni la génétique, ni de la géographie, c’est qu’il s’agit d’un régime dont les élites prédatrices et carnivores dévorent leur propre peuple, dirigé par un monarque qui vit dans une opulence médiévale et étouffe avec une dureté sauvage toute velléité de rébellion. Le seul projet de l’État est de pousser son peuple à l’étranger, puis de s’approprier leurs envois de fonds, leurs réalisations et leurs succès. Mais ceux qui nous ont refusé notre pain, notre éducation et notre existence même ne peuvent rien revendiquer. Nous sommes citoyens de la terre qui nous porte et qui nous nourrit et qui nous permet de respirer, pas du pays qui nous noie, que ce soit dans les eaux glacées de la frontière ou sous le soleil brûlant d’un despotisme peu éclairé qui nous abandonne à notre sort. Ça, dans les meilleurs des cas.
Source : elpais.com, 21 mai 2021
Etiquettes : Maroc, Espagne, Ceuta, migration,
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