Mohamed Habili
Il ne suffit pas d’entrer en guerre, il faudrait encore savoir comment et à quel moment en sortir, de façon à en paraître le vainqueur, d’autant plus si la victoire ne se décide pour aucun des deux camps. La guerre de 2014 entre le Hamas et Israël avait duré près de deux mois, et fait bien plus de morts et de blessés – pour la plupart bien sûr parmi les Palestiniens, autrement Israël ne serait pas rassuré sur son avenir – que celle qui est en cours, mais qui, il est vrai, n’a pas encore bouclé sa deuxième semaine. On pourrait penser au vu de cette différence en termes de bilan et de durée que celle d’aujourd’hui a encore de la marge devant elle, que n’étant qu’à ses débuts, elle a encore forcément du temps avant de devoir attribuer la victoire. Et l’on se tromperait, n’ayant pas suffisamment tenu compte du fait que les deux guerres n’interviennent pas dans un contexte qui lui serait resté le même. Un jour des affrontements actuels compte pour plusieurs de ceux de 2014. Cela tient à quelque chose qui ne doit rien aux Israéliens ni aux Palestiniens, mais en revanche tout aux évolutions politiques survenues aux Etats-Unis, la première puissance militaire au monde, sans l’aide inconditionnelle de laquelle Israël aurait soit déjà cessé d’exister soit en grand danger de disparaître.
De 2014 à aujourd’hui, les Etats-Unis ont connu une sorte de révolution, même si leur paysage politique semble être resté le même. Il y a toujours en effet d’un côté les républicains et de l’autre les démocrates pour à la fois alterner au pouvoir et se le partager. Mais ce ne sont pas exactement les mêmes formations que par le passé. Elles ont changé, ou plus exactement elles se sont davantage polarisées, s’éloignant le plus possible l’une de l’autre sans devoir pour autant basculer dans la guerre civile. Le premier effet en est qu’au sein des démocrates les pro-palestiniens, et il en existe de toute origine, de descendance arabe et juive notamment, qui se sentent suffisamment forts pour interpeller le président Biden sur sa politique de soutien traditionnel à Israël, que celui-ci soit dans son droit ou dans son tort.
Cela n’était pas possible en 2014, alors même que le président de l’époque, Barack Obama, n’était pas dans les meilleurs termes avec le gouvernement israélien, qui lui par contre est toujours dirigé par le même Benyamin Netanyahou. Le grand changement, en vertu duquel les moins de deux semaines des affrontements actuels paraissent déjà démesurément longs, est donc américain. C’est le retour au pouvoir des démocrates, après la parenthèse Trump, mais de démocrates dans les rangs desquels le ton est donné par la gauche, chose qui ne leur est pas arrivée depuis des décennies.
Dans ce contexte, les camps en guerre se doutent bien qu’ils doivent remporter la victoire, ou seulement la revendiquer de façon plus ou moins crédible, dans les deux ou trois jours qui viennent, guère plus. Israël, lui en particulier, serait obligé de consentir à l’arrêt des hostilités sous la pression américaine sans avoir pour cela à crier victoire. On sait quel visage, quel goût, quelle incarnation, il veut qu’elle ait pour lui cette fois-ci. Par deux fois au cours de ces derniers jours l’homme qu’elle veut tant assassiner lui a échappé, et de peu à ce qu’il semble. C’est Mohammed Deif, le chef de la branche armée du Hamas, Izz al-Din al-Quassam, qu’elle a tant de fois raté qu’il est surnommé «le chat aux neuf vies». Israël serait capable d’annoncer unilatéralement un cessez-le-feu s’il pouvait venir à bout de lui. Et pour cause, sa victoire ne serait pas dans ce cas contestable.
Le Jour d’Algérie, 19 mai 2021
Etiquettes : Palestine, Israël, Hamas, Ghaza,
Be the first to comment