L’Espagne et le Maroc entrent dans leur plus grande crise depuis 2002 en raison de la vague migratoire

Javier Otazu

Rabat, 18 mai (EFE) – L’Espagne et le Maroc sont entrés aujourd’hui dans leur plus grande crise diplomatique des vingt dernières années, avec l’appel à des consultations par Rabat de son ambassadrice à Madrid, Karima Benyaich, et ce après l’entrée à Ceuta de près de 8 000 migrants irréguliers arrivés du Maroc en un peu plus de 24 heures.

Des sources diplomatiques marocaines ont confirmé à Efe cet appel à consultations sans donner plus de détails, on ne sait donc pas s’il aura une échéance précise ou si la date de son retour à Madrid reste ouverte.

Mme Benyaich avait été convoquée peu avant au siège du ministère des affaires étrangères à Madrid, où la ministre Arancha González-Laya a exprimé son « rejet » et son « dégoût » face à l’entrée massive de migrants à Ceuta et lui a rappelé que le contrôle des frontières « a été et doit continuer à être » une question de coresponsabilité entre les deux pays.

Aucune source au Maroc n’a donné d’explications depuis hier sur l’avalanche de migrants à Ceuta, sans précédent dans l’histoire de l’Espagne, et Efe a tenté en vain depuis hier de contacter trois ministres pour qu’ils donnent leur version des faits, et l’agence officielle MAP n’a pas fait la moindre allusion à ce qui s’est passé à Ceuta.

La vague migratoire intervient au milieu du mécontentement et de la colère des Marocains concernant l’entrée et l’hospitalisation en Espagne du secrétaire général du Front Polisario, Brahim Ghali, hospitalisé pendant des semaines pour un coronavirus dans un hôpital de Logroño.

Le malaise du Maroc est allé « crescendo » face aux « raisons humanitaires » invoquées par l’Espagne pour accepter la présence de Ghali : il y a d’abord eu une convocation de l’ambassadeur, puis deux communiqués inhabituellement durs avec l’Espagne, le dernier le 8 mai avertissant Madrid qu’elle ne doit pas « minimiser » les conséquences d’avoir reçu Ghali.

Dans une interview accordée à Efe à peu près au même moment, le ministre des affaires étrangères Naser Burita a rappelé à l’Espagne que les relations bilatérales ne peuvent pas être « à la carte », optimales dans des domaines tels que l’émigration et le terrorisme et opaques sur la question du Sahara. « L’Espagne veut-elle sacrifier ses relations avec le Maroc pour l’affaire du Ghali ? », a demandé M. Burita.

Le Maroc a également insisté ces dernières semaines pour que la justice espagnole donne suite aux plaintes déposées contre Ghali pour « génocide » et « torture », en plus d’une autre affaire de viol présumé, mais aujourd’hui, le juge Santiago Pedraz, chargé de l’affaire, a refusé d’imposer des mesures conservatoires à son encontre, afin qu’il puisse quitter le pays.

Une telle situation de tension entre Rabat et Madrid n’a pas été vécue depuis 2007, lorsque le Maroc a convoqué son ambassadeur d’alors en Espagne, Omar Azziman, pour des consultations en signe de protestation contre l’annonce de la visite du roi et de la reine d’Espagne à Ceuta et Melilla, mais cette crise n’a pas duré longtemps et il faut remonter à la fameuse « crise de l’île de Perejil » en 2002 pour retrouver une atmosphère aussi tendue.

Il n’est pas certain que la visite exceptionnelle du président Pedro Sánchez dans la ville de Ceuta, qui sera suivie d’une autre à Melilla, crée également un certain malaise à Rabat, qui a maintenu les frontières terrestres avec les deux villes fermées depuis mars 2020 et sans perspective de réouverture.

Mardi après-midi, des centaines de personnes, principalement des Marocains, se pressaient encore devant la barrière de Castillejos avec l’intention de rejoindre Ceuta, comme l’ont fait les heures précédentes 8 000 autres personnes qui ont réussi à passer sans aucune difficulté, bien que la moitié ait déjà été renvoyée au Maroc.

Selon Efe, l’attitude de la police marocaine (soutenue par des forces auxiliaires) change : parfois, elle laisse passer les migrants et franchit la clôture métallique, par le bas ou par le haut, tandis que d’autres tentent de les empêcher d’approcher, mais sont vaincus par la foule.

Swissinfo, 18 mai 2021

Etiquettes : Espagne, Maroc, Sahara Occidental, Front Polisario, Brahim Ghali,

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