Liberté : La question de la récupération des biens mal acquis devient récurrente sans qu’on puisse y voir clair, exception faite du bilan présenté par le ministère de la Justice et la décision de créer un fonds devant accueillir l’argent détourné. Quelle lecture pouvez-vous en faire ?
Nasr Eddine Lezzar : Ce fut une promesse de campagne du président Tebboune, mais longtemps après, la question n’est plus évoquée. On a eu droit à des procès tonitruants concentrés sur la sanction pénale, mais aucune évocation de quelconques dividendes pour le Trésor public.
Ce défaut de démarche auquel vous faites référence est-il dû à un problème de faisabilité, c’est-à-dire à l’absence de mécanismes et de techniques juridiques efficaces ?
Il y a d’abord une absence de maîtrise des techniques de recherche des biens illicites ou mal acquis.
Il est impératif d’établir un inventaire des biens et des finances à récupérer et qui se divisent en deux catégories, à savoir les dommages et intérêts auxquels sont condamnés les auteurs des malversations et leurs biens qui font souvent l’objet de confiscation au profit du Trésor public.
Déjà, cet inventaire nécessite la maîtrise des techniques appropriées. Pour les biens situés à l’étranger, l’opération est autrement complexe. On peut les répartir en deux catégories. Il s’agit, d’abord, des avoirs bancaires dont la localisation est problématique. Et, ensuite, du ou des patrimoines immobiliers, commerciaux, les actions et participations dans des sociétés. Les pays d’accueil de l’argent sale sont les pays les plus réticents à la levée du secret bancaire.
En outre, les personnes poursuivies ont dû prendre leurs devants et se sont auto-dépouillées en transférant leurs biens à des prête-noms ou des gestionnaires de fortune. Même les accusés surpris par leur arrestation ont dû procéder aux transferts par le biais de personnes qui gèrent leurs biens sur place et qui sont dotés des pouvoirs les plus larges.
Enfin, de grosses sommes ont déjà été acheminées dans des paradis fiscaux via des canaux et des structures opaques.
Il y a quelques jours le ministre de la Justice a dressé un bilan des biens mal acquis en nature et en numéraire, en dinars et en monnaies fortes, mais aucune information n’a été donnée quant aux éventuelles démarches pour les récupérer.
Une fois l’inventaire ou le bilan des biens établi, est-il possible de récupérer les biens et les actifs à l’étranger?
Une réponse globale est une simplification au détriment de la complexité technique. Des distinctions doivent être faites selon la nature des avoirs ou des biens à récupérer. Pour les actifs financiers, les banques sont rétives lorsqu’il s’agit de restituer des avoirs qui leur apportent des dividendes substantiels.
Elles utiliseront tous les artifices et toutes les techniques pour différer cette restitution autant que possible.
On trouvera toujours une virgule qui manque dans un document donné pour rejeter la requête en la forme. Pour ce qui est des biens immobiliers, les recherches sont plus faciles, car ces biens font l’objet d’une publicité, les informations sur le patrimoine immobilier de toute personne sont à la portée du public. L’information est, donc, accessible sans formalités complexes. Quant aux fonds de commerce et aux biens commerciaux, ceux-ci peuvent aussi être inventoriés sans grande difficulté. La situation se corse, en revanche, pour les actions et parts sociales détenues dans des sociétés anonymes.
Là, l’obtention de l’information est très complexe et ne peut se faire qu’au terme d’une longue procédure. Sur ce point, il y a lieu de mentionner la frilosité des structures de l’État dans le déclenchement des processus de récupération. L’agence judiciaire du Trésor est le dévolutaire naturel de la mission de récupération des biens et des actifs au profit du Trésor public. Mais cette structure technique par excellence n’engage des opérations de récupération que sur injonction.
Pouvez-vous nous citer des cas pratiques de difficultés pour la récupération de biens mal acquis ?
Notre pays a une histoire bien riche en la matière. Les fonds de la Fédération de France en est l’exemple.
L’Algérie a eu le plus grand mal à récupérer les fonds de la Fédération de France du FLN que les dépositaires avaient versés dans un compte inscrit en leur nom personnel dans une banque suisse. Il a fallu que l’État algérien passe par un contentieux de onze ans avec cette banque pour qu’il puisse en récupérer une partie.
Il y a lieu de citer également les biens de l’État algérien en France portant sur des châteaux, des domaines, des immeubles situés essentiellement à Paris.
Propos recueillis par : A. TITOUCHE
Liberté, 18 mai 2021
Etiquettes : Algérie, bien mal acquis, récupération des biens mal acquis, détrounement,
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