Le gouvernement a donc décidé d’en découdre avec le Hirak et mettre un terme de manière musclée au mouvement populaire pacifique défraie la chronique, depuis plus de deux ans, en Algérie et dans le monde. L’action menée par les forces de sécurité soulève cependant plusieurs interrogations.
Le gouvernement a choisi le deuxième jour de l’Aïd El Fitr pour avorter la marche hebdomadaire qui devait animer le centre-ville comme elle l’a fait durant 116 vendredis. L’action n’avait rien de symbolique mais avait pour objectif de déblayer le passage devant la campagne électorale qui doit débuter ce lundi en prévision des législatives du 12 juin prochain.
Le ministère de l’Intérieur a ainsi mis à exécution son avertissement publié récemment dans lequel il exprimait en filigrane sa volonté de mettre un terme à la liberté dont jouissaient les manifestants depuis le 22 février 2019. Désormais, a-t-il imposé, le Hirak doit déléguer une direction pour déposer une demande d’autorisation en bonne et due forme. Celle-ci doit comporter l’itinéraire que doivent emprunter les marcheurs et les slogans qu’ils comptent scander avant d’investir la rue.
Une telle exigence est évidemment impossible à remplir du moment qu’elle remet en cause un des principes cardinaux du Hirak : sa non représentativité par des groupes ou même des individus. C’est donc l’impasse qui ne laisse place à aucune forme de dialogue hormis celle de la colère d’un côté et la gestion sécuritaire de l’autre.
Les mines des hirakistes étaient d’ailleurs défaites après l’échec de leur rendez-vous hebdomadaire au centre-ville. A Bab El Oued, certains d’entre eux regrettaient d’être tombés dans le piège hermétique dressé par la police faute d’anticipation. L’un d’eux, un sexagénaire visiblement rompu à la protestation, estime qu’il fallait « changer de stratégie ». Selon lui, la procession « aurait dû démarrer de la place des Martyrs au lieu de Bab El Oued ». Ainsi, a-t-il expliqué, les marcheurs n’auraient pas été « coincés comme des rats » dans les ruelles du célèbre quartier populaire d’Alger.
A Didouche Mourad, des militants et des activistes de la première heure étaient eux aussi dans la perplexité. Ils n’avaient pas compris pourquoi les renforts de manifestants qui venaient habituellement de l’ouest et de l’est de la ville tardaient à se montrer. Et lorsqu’ils ont pris connaissance de l’ampleur du dispositif policier qui les en a empêchés, leur visage s’est fermé tandis que certains parmi eux lâchaient des expressions de dépit entre les dents.
Maintenant que les autorités ont considéré que le Hirak devient un danger pour la stabilité du pays et qu’il faudrait arrêter sa nuisance, quelles sont les conséquences d’une telle décision ?
Pour un jeune de Bab El Oued « ils sont en train de pousser les jeunes à utiliser les pierres et les cocktails molotov comme au 5 octobre 1988 ». Cet avis fait craindre le pire à un quinquagénaire qui en a vu des vertes et des pas mûres : « rien ne serait plus préjudiciable au Hirak que d’abandonner la voie pacifique. Des esprits machiavéliques et mal intentionnés veulent pousser la population à la violence pour légitimer la répression ». Un intello qui a requis l’anonymat a, pour sa part, fustigé le mouvement populaire comme l’instrument d’intérêt étranger. « Ce n’est pas le peuple qui défile mais des jouets aux mains d’intérêts étrangers. Il faut regarder ce qui se passe sur le plan géopolitique pour se rendre compte des dangers qui guettent ce pays ».
Une autre personne qui se dit favorable au rétablissement de l’autorité de l’Etat était inquiète de la tournure qu’ont prise les événements de cette fin de semaine. « Ils vont nous faire entrer dans un mur, soupire-t-il. L’usage de la force n’est pas une solution. Il y a mille et un moyens pour pousser les gens à s’assagir ».
Pendant ce temps, les partis politiques inscrits dans la course au prochain parlement gardent un silence de cimetière. Ils n’ont pris position ni pour l’action du pouvoir ni pour l’indignation des hirakistes. Le FLN, le RND, le MSP, l’Islah, pour les grandes formations, le TAJ et les autres petites organisations, sont plutôt occupées par leur emplacement sur l’échiquier politique en phase de construction.
Seuls les partis qui ont boycotté le prochain scrutin, à l’image du Parti des travailleurs et du Front des forces socialistes, ont exprimé leur inquiétude face aux nouveaux développements.
Mohamed Badaoui
La Nation, 16 mai 2021
Etiquettes : Algérie, Hirak, élections législatives, partis politiques,
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