Par Jean-François Debargue
Hamdi est mort ce 4 mai 2021 au camp de réfugiés d’El Ayoun, près de Tindouf. Combattant sahraoui entre 1976 et 1991, je ne l’ai connu qu’habillé en treillis militaire, parfois en Gandoura. Dans les deux cas, il portait fièrement son identité sahraouie et cela valait tous les grades qu’il n’arborait pas.
Les militaires sahraouis n’ont en effet aucun signe de distinction au cas où ils seraient faits prisonniers. Seul signe distinctif parmi d’autres blessures, Hamdi avait perdu un œil. Militaire, député, soutien de sa fratrie, Hamdi était sur tous les fronts, celui du courage, de l’espoir, de l’altruisme…
Lorsqu’il n’était pas dans une des régions militaires sahraouies des territoires libérés tout au long du mur de la honte, il arrivait avant le lever du jour avec une bouteille d’un litre de lait de chamelle qu’il allait traire à 5 heures. Il s’installait auprès de sa sœur Nuena, passionaria de la cause sahraouie, qui lui offrait le thé alors que nous émergions à peine de nos couvertures à même le sol.
La chamelle était née de l’idée de Hamdi. Il en avait parlé quelques années auparavant à ses deux sœurs et à deux de ses frères. Chaque famille avait alors économisé pendant de longs mois jusqu’à ce que la chamelle de Hamdi lui permettre de traire 3 à 5 litres par jour qu’il distribuait aux familles de ses frères et sœurs. Ce petit litre de lait était aussitôt ajouté de sucre et coupé avec de l’eau pour permettre de subvenir aux besoins quotidiens de la famille et des invités de passage.
Le « zrig » ainsi obtenu, même rallongé plusieurs fois, reste plus désaltérant que l’eau seule. Il permet aussi parfois aux familles sahraouies de se priver « raisonnablement » de quelques repas lorsqu’il leur faut rembourser les achats inhabituels que l’hospitalité de membres de délégation en visite dans les camps exige, et que ces derniers ignorent le plus souvent.
Quand un peuple est privé de sa terre, ses racines plongent alors dans sa culture. Chaque matin, le lait de la chamelle de Hamdi était un peu de cette sève permettant à l’espoir d’être nourri et de subsister la journée.
Pendant trois jours, de mardi à vendredi, en ce temps de Ramadhan particulièrement rude dans les camps, les Sahraouis se sont traditionnellement succédé auprès de la famille de Hamdi pour lui rendre hommage.
Sur la Hamada de Tindouf, tout autour des cinq principaux camps de réfugiés, les cimetières en périphéries n’en finissent pas de s’étendre et de lancer vers le ciel leurs prières de pierres pointues comme des pointes de flèches perçant avec peine la surface du désert.
Comment appelle-t-on un génocide lent ? Une disparition organisée dans un oubli onusien programmé ?
Hamdi est parti pour une dernière méharée.
J’ai aujourd’hui dans la bouche un goût de zrig coupé de larmes.
24hDZ, 09 mai 2021
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