Algérie / MDN : force doit rester à la loi

ZERROUK Ahmed*

L’agence Algérie Presse Service, dans une dépêche datée du 25 avril 2021, a repris in extenso un communiqué du ministère de la défense nationale, relatif au démantèlement par les services sécuritaires relevant dudit ministère « d’une cellule criminelle composée de partisans du mouvement séparatiste « MAK », impliqués dans la planification d’attentats et d’actes criminels lors des marches et des rassemblements populaires dans plusieurs régions du pays, en sus de la saisie d’armes de guerre et d’explosifs destinés à l’exécution de ses plans criminels ».

Il est précisé, également, que « les aveux d’un ex-membre du mouvement subversif « MAK » ont révélé l’existence d’un plan criminel perfide visant à perpétrer ces attentats pour exploiter, ensuite, les images dans leurs campagnes subversives et implorer l’intervention étrangère dans les affaires intérieures du pays ».

Ledit communiqué ajoute que : « ce plan a levé le voile sur l’implication de plusieurs membres du mouvement séparatiste « MAK » ayant bénéficié d’entrainements au combat à l’étranger avec le financement et le soutien de pays étrangers ».

On ne peut que féliciter les membres des services sécuritaires relevant du ministère de la défense nationale sur l’extrême vigilance et la veille sécuritaire dont ils font preuve, sans omettre de souligner la célérité de l’action d’investigation, fort louable et qui démontre le professionnalisme, l’expérience et la haute compétence des membres desdits services.

Cependant, une remarque s’impose, elle a trait à la non-conformité du contenu de ce communiqué à la loi, notamment les dispositions de l’article 11/3ème alinéa de l’ordonnance 66-155 du 8 juin 1966, modifiée et complétée, portant Code de Procédure Pénale, qui ne souffrent d’aucune ambigüité pouvant donner lieu à une quelconque interprétation ou divergence.

Dans ce cadre, il parait utile de préciser que la procédure pénale règlemente le procès pénal. Elle détermine l’organisation et la compétence des différentes juridictions appelées à trancher les procès répressifs. Elle fixe également les règles qui doivent être suivies et les formes qui doivent être respectées pour la recherche, la constatation et la poursuite des infractions, pour l’établissement des preuves (enquêtes de flagrance ou préliminaires et instruction préparatoire) et le jugement du mis en cause à l’audience. Elle réglemente enfin l’autorité et les effets des jugements répressifs et les voies de recours susceptibles d’être exercées contre ces jugements.

Cette précision faite, il est à relever que seul le représentant du ministère public, en l’occurrence le procureur général ou le procureur de la République – articles 34 et 35 du Code de Procédure Pénale-, ou l’officier de police judicaire, sur autorisation écrite du procureur de la République peut rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause.

Et, une précision importante est donnée par le quatrième et dernier alinéa de cet article 11 du Code de Procédure Pénale : « En toutes circonstances, il est tenu compte de la présomption d’innocence et de l’inviolabilité de la vie privée ».

Aussi, la question que l’on peut légitimement se poser est la suivante : sur quel fondement légal et non politique ou de positionnement d’influence, car on est sur le terrain de la loi, dans le cadre de procédure pénale, le ministère de la défense nationale a rédigé et diffusé un tel communiqué.

Le ministère de la défense nationale est une administration publique et n’a nulle compétence, en tant que telle, dans le domaine des attributions, dévolues par la loi, aux seuls magistrats du ministère public et aux officiers de la police judicaire, dont les officiers et les sous-officiers des services militaires de sécurité ; c’est, en fait, l’appellation consacrée par le Code de Procédure Pénale et non les services sécuritaires relevant du ministère de la défense nationale.

En outre, ledit communiqué est en complète contradiction avec le principe du secret de l’enquête. Comment une administration publique qui n’a aucune compétence en matière judicaire peut-elle être au courant des éléments de la procédure ouverte contre les personnes mises en causes dans les graves faits relatés dans ledit communiqué, qui relève de la justice civile et non militaire.

Certes, le ministre de la défense nationale est investi de pouvoirs judiciaires limitativement déterminés par l’ordonnance 71-28 du 22 avril 1971 portant Code de Justice Militaire (CJM), modifiée et complétée, qui n’ont aucune incidence sur les dispositions de l’article 11 du Code de Procédure Pénale.

Il s’agit de la désignation des assesseurs militaires, conjointement avec le ministre de la justice (article 6 et 9 du CJM), de la décision d’attribution de compétence –privilège de juridiction- (article 30/3ème du CJM alinéa), de la prescription d’instructions écrites aux officiers de police judicaire militaire pour procéder, même de nuit, à des perquisitions et saisies dans les enceintes militaires (article 53 du CJM), du droit de mettre en mouvement l’action publique (article 68 du CJM), de la délivrance d’un ordre de poursuites (articles 71, 72 et 73 du CJM), de l’information du ministre de la justice sur toute condamnation à la peine de mort devenue définitive ( article 221/1er alinéa du CJM), de la décision de suspension de l’exécution d’un jugement devenu définitif (article 225 du CJM) et de la décision de libération conditionnelle (article 229 du CJM).

De plus, les faits relatés dans ledit communiqué n’entrent pas dans le domaine de compétence des juridictions militaires fixépar les articles 25, 26, 28 à 30 et 32 du Code de Justice Militaire.

Ce pourquoi, on ne peut s’expliquer, au plan légal, le contenu de ce communiqué. Le ministère de la défense nationale s’est immiscé, de la sorte, sans droit dans des attributions dévolues par l’article 11/ 3ème alinéa au représentant du ministère public ou à l’officier de police judiciaire, sur autorisation écrite du procureur de la République.

De plus, le contenu de ce communiqué viole les dispositions de l’article 11/1er et 2ème alinéas du CPP qui prévoient que la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète et toute personne qui concourt à cette procédure, est tenue au secret professionnel. Même le Code de Justice Militaire a repris ces deux (2) alinéas dans son article 41.

Aussi, on ne peut s’expliquer cette violation des dispositions pertinentes du Code de Procédure Pénale que par une erreur des services du Secrétariat Général du ministère de la défense nationale, alors que la Direction de la Justice Militaire recèle des magistrats chevronnés et fin connaisseurs de la procédure pénale qui auraient attiré l’attention, au cas où ils auraient été consultés.

Et, ce d’autant plus que les officiers de police judiciaire dans l’exercice de leurs attributions légales de recherche et de constatation des infractions ne rendent compte qu’au ministère public ou au magistrat mandant, lorsque une information judicaire est ouverte.

Aucune autorité administrative, quelque soit son rang ou sa position, ne peut être destinataire ou informé de la procédure engagée, et, en conséquence, des procès verbaux établis. C’est la loi et force doit rester à la loi.

Pour clore cette analyse juridique, l’Algérie nouvelle, la République nouvelle devrait être une réalité, la primauté de la loi, le respect de la loi, la conformité à la loi, et à la seule loi doivent être une réalité et une pratique quotidiennes de l’ensemble des institutions de l’Etat, sans aucune exception.

Edifier un Etat républicain et démocratique qui est basé sur les règles de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs, de l’alternance démocratique par la voie d’élections périodiques, libres, transparentes et crédibles, de la bonne gouvernance, de la primauté de la loi, de l’indépendance de la justice, de la garantie des droits et des libertés individuels et collectifs et du respect strict des attributions des uns et des autres ; est une noble démarche qui requiert du détenteur de la volonté populaire, le Président de la République, de la ténacité, de l’intransigeance et de l’usage de la sanction, positive ou négative. La loi est au-dessus de tous et il ne peut y être autrement dans un Etat de droit, un Etat républicain et démocratique.

Le peuple aspire à vivre « dans le cadre d’un Etat de droit républicain et démocratique » et «entend consacrer plus solennellement que jamais la primauté de la loi ».

La primauté de la loi doit cesser d’être un slogan creux et sans consistance. L’Algérie nouvelle se doit d’être un Etat de droit où la loi prime. Toutes les institutions doivent s’y plier et s’y conformer. Dans le cas contraire, l’Algérie nouvelle serait l’Algérie d’avant.

Etre ou ne pas être, telle est la question. Time will tell.

*ZERROUK Ahmed, ex-magistrat militaire

Algérie1, 06 mai 2021

Etiquettes : Algérie, MDN, célulle terroriste, MAK, Kabylie, séparatisme, conspiration, la loi, constitution,

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