La Tunisie, aux abois, appelle le FMI à la rescousse

ACCORD. Ali Kooli, son ministre des Finances, est à Washington pour négocier un nouveau prêt, le quatrième en dix ans. En échange : un vaste plan de réformes.

Les résultats de ce voyage à Washington sont très attendus. Car il ne s’agit pas d’une simple visite diplomatique pour le ministre des Finances. La Tunisie est au milieu du gué. Lourdement endetté, le pays s’est tourné vers le Fonds monétaire international (FMI) pour la quatrième fois en une décennie. L’enjeu est de taille puisqu’il s’agirait de négocier un nouvel accord triennal pour un montant qui reste à négocier. Et le temps presse. « Je peux confirmer que les équipes du Fonds ont rencontré les autorités tunisiennes plus tôt cette semaine et celles-ci ont fait part de leur programme de réformes économiques », a déclaré Gerry Rice, le porte-parole de l’institution, sans toutefois donner de détails sur les concessions potentielles du pays en échange d’un prêt. « Je n’ai pas de calendrier » ou d’échéance de fin de négociations ni de montant du prêt qui est discuté, a-t-il ajouté.

Pour l’heure, les discussions sont d’ordre « technique », a-t-il poursuivi. En d’autres termes, le FMI passe en revue les détails du plan fourni par le gouvernement tunisien.

Un vaste plan de réformes économiques
Selon des documents du gouvernement tunisien dont l’Agence France-Presse a obtenu copie, l’une des mesures phares est de remplacer les subventions des prix des produits de première nécessité par des aides directes aux familles. Le but est d’éliminer ces subventions d’ici à 2024.

Autre élément socialement explosif : la réduction de la masse salariale de la fonction publique qui a gonflé sous l’effet de recrutements dans le secteur de la santé pour lutter contre le Covid-19.

Le gouvernement propose un programme de départs volontaires, des départs à la retraite anticipée ou encore des incitations au travail à temps partiel. Tunis entend « contenir la masse salariale autour de 15 % du PIB en 2022 contre 17,4 % du PIB en 2020 », selon ces documents.

Autre mesure importante : restructurer les entreprises publiques, dont la plupart sont lourdement déficitaires, avec l’objectif d’un retour à l’équilibre d’ici à 2024. Le gouvernement a signé fin mars un accord avec le puissant syndicat UGTT prévoyant notamment de réformer sept entités publiques, dont la compagnie aérienne Tunisair et la Steg (électricité).

Les coûts de restructuration seraient pris en charge par un fonds notamment financé par des cessions d’actifs, selon un conseiller économique du gouvernement, des parts de sociétés dans lesquelles l’État est minoritaire ou des entreprises non stratégiques. « Les discussions ont commencé » et « nous sommes prêts à aider la Tunisie et le peuple tunisien à lutter contre l’impact de la crise, à progresser vers une reprise inclusive et à restaurer des finances viables », a assuré le porte-parole du FMI.

Un contexte explosif
Mais la réforme reste très délicate dans un paysage social dévasté par la pandémie. Des mesures d’austérité adoptées en 2018 avaient déclenché de fortes mobilisations et les appels de la société civile à rééchelonner la dette plutôt que d’emprunter de nouveau se multiplient.

Après des années de morosité économique et de gestion à court terme, la pandémie de Covid-19 a mis le petit pays d’Afrique du Nord à genoux : sa dette extérieure a atteint la barre symbolique des 100 milliards de dinars (environ 30 milliards d’euros), soit 100 % du produit intérieur brut. La Tunisie doit rembourser quelque 4,5 milliards d’euros sur l’année en cours et a ainsi besoin d’une rallonge de 5,7 milliards d’euros pour boucler son budget 2021.

Le FMI table sur une croissance tunisienne de 3,8 % cette année, un rythme insuffisant pour compenser la contraction de 8,9 % du PIB enregistrée en 2020, du jamais-vu. « La pandémie s’ajoute à des déficits publics qui se sont creusés depuis dix ans et à un modèle de développement basé sur une main-d’œuvre bon marché qui s’est essoufflé depuis la fin des années 1990 », a commenté l’expert Hakim Ben Hammouda, un ancien ministre de l’Économie.

« Scénario à la libanaise »
À Washington, le ministre des Finances Ali Kooli doit aussi rencontrer la nouvelle administration américaine, sollicitée pour garantir des emprunts. En 2013, en plein trouble post-révolutionnaire, Tunis avait obtenu 1,7 milliard de dollars sur deux ans, puis 2,8 milliards sur quatre ans en 2016. Selon Abdessalem Abbassi, conseiller économique du chef du gouvernement, un nouvel accord devrait permettre d’obtenir 3,3 milliards d’euros pour 2021, auprès du FMI et d’autres bailleurs et investisseurs.

« Ces tentatives de sauvetage de l’économie nationale sont celles de la dernière chance », a argué le Premier ministre Hichem Mechichi, insistant sur le besoin d’unité pour sortir de la crise alors que la classe politique est complètement fragmentée.

Plusieurs experts, dont Hakim Ben Hammouda, déplorent que les décideurs tunisiens aient, à l’unisson du FMI, fixé comme priorité les objectifs d’orthodoxie budgétaire, sans développer parallèlement de réformes structurelles pour relancer l’économie. Mais il admet l’urgence actuelle : « Il y a un véritable risque de scénario à la libanaise, où l’État ne parvient plus à faire face à ses engagements. »

Le Point Afrique, 08 mai 2021

Etiquettes : Tunisie, crise économique, finances, dettes, endettement, FMI, réformes, privatisation,

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