Le duopole franco-émirati cherche à peser sur la triple région maghrébo-saharo-sahélienne

En nette perte de vitesse dans le jeu de stratégie au Sahel africain, le président français Emmanuel Macron peut compter sur un jeu d’alliance tout à fait nouveau par rapport à la France de la Ve République : la connexion avec Dubaï. Il faut vraiment remonter loin dans l’histoire pour voir une aussi importante alliance entre la France et des Etats arabes et musulmans. Même au temps de l’alliance de François 1er avec la Porte-Sublime, alliance qui avait choqué l’Europe, les données n’étaient pas les mêmes, le souverain français cherchant plus une protection de la part de la puissance ottomane face à son puissant rival, Charles Quint, et non pas à prendre de nouveaux espaces loin de ses terres propres.

Aujourd’hui, la France perd du terrain dans une région figurant traditionnellement dans l’escarcelle des Français. Par une suite d’erreurs stratégiques, la France perd pied au Grand Sahara et panique, l’Afrique s’inscrivant comme étant l’enjeu des prochaines décennies pour les grandes puissances.

N’ayant ni l’habileté de Chirac, ni l’effronterie de Sarkozy, Macron possède l’entregent. N’oublions pas que c’est un banquier, un homme des réseaux d’affaires. Il sait sous-traiter et mêler politique et économie pour atteindre ses objectifs. Aujourd’hui, un des agents d’appui dans le monde arabo-musulman (Proche-Orient et Maghreb-Sahel) s’appelle Mohammed ben Zayed Al Nahyane, prince hériter d’Abu Dhabi.

En principe, MBZ fait attention à ne pas être la marionnette trop voyante des puissances occidentales, mais là, il cumule une double fragilité : il est accusé en France de complicité de crimes de guerre et de graves violations des droits humains dans le cadre de la guerre menée au Yémen et se voit être l’obligé de la France qui est devenue le patron émirati du « P5 +1 » des Nations Unies, visant à surveiller le programme nucléaire iranien ; sur ce dernier volet, Macron offre à MBZ, qui rêve d’appliquer dans les actes la vision contre-révolutionnaire dans le monde arabe, la liberté de manœuvre nécessaire à travers la région.

Totalement inespéré pour prince hériter d’Abu Dhabi, d’autant plus que celui-ci ambitionne de damer le pion à l’Arabie Saoudite, tuteur et rival à la fois, et d’écraser le petit de la région, le Qatar, ce lutin qui veut se faire aussi gros qu’un bœuf, dans cette curieuse « guerre à 3 puissances pétrodollars » entre l’Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis et le Qatar, une guerre insidieusement alimentée par les puissances occidentales pour leur soutirer le maximum d’argent, comme le fait, ouvertement et sans s’en cacher, le président américain Donald Trump.

Dans un intéressant article publié par Sébastien Boussois et Andreas Krieg, sur « Marianne », les deux journalistes français affirment clairement que, « si l’on regarde la profondeur stratégique de ce partenariat entre la France du président Macron et les Émirats arabes unis de MBZ, cet épisode récent est tout sauf un détail désormais dans une alliance bilatérale franco-émiratie qui va bien au-delà des intérêts géostratégiques partagés au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Elle pourrait constituer une sérieuse épine ».

Et de préciser que « au milieu du retrait américain de la région MENA (Moyen-Orient et Afrique du Nord), la France, avec ses rêves éternels de grandeur, a depuis tenté de trouver sa propre voie en développant une politique étrangère et de sécurité orientale indépendante. Dans une Union européenne divisée sur des questions internes et un manque de créativité et d’initiative à Bruxelles sur la façon de faire face à une région MENA en désintégration rapide aux portes de l’Europe, Emmanuel Macron n’a pas fait non plus d’efforts significatifs pour impliquer Londres ou Berlin et trouver un terrain d’entente pour gérer les terribles retombées postrévolutionnaires dans le monde arabe. Au contraire, le président Macron a fait le choix de nouer des relations avec un homme fort, Mohammed ben Zayed, pour refaçonner conjointement l’Afrique du Nord, sa zone d’influence traditionnelle, selon des conceptions relativement néocolonialistes. Et ce dans le but de ramener les pendules à une ère prérévolutionnaire de « stabilité autoritaire », chère aux Emirats, d’avant le printemps arabe ».

Ainsi, il serait tout à fait futile, du reste, de parler de cette alliance de Macron avec les Emirats, ou avec un autre des pays de la « guerre des 3 puissances pétrodollars », sans constater les applications qui se font sur le terrain : en Libye et au Mali, surtout, la politique de la sous-traitance éclaire d’un jour nouveau les nouvelles stratégies autour du périmètre de sécurité de l’Algérie. La récente libération des otages détenus par « Nosrat al islam », le curieux troc otages-terroristes opéré au préjudice des pays de la région, ainsi que le statuquo de la crise en Libye en sont les exemples-type. La « guerre des 3 », Etats pétrodollars qui rêvent d’être les nouveaux régents du monde arabo-musulmans, se fait malheureusement loin de leurs terres, au Maghreb et au Sahel.

La politique économique des Emirats arabes unis est leur passe-partout dans les régions visées, en y injectant des sommes d’argent faramineuses qui font plier les Etats maghrébins et sahéliens, fragilisés par une récession économique chronique, et qui risque fort bien de perdurer. Ainsi, l’Énergie et Télécommunications, les infrastructures, le génie civil, l’urbanisme, l’immobilier, le marché de l’assurance, les transports maritimes, les transports aériens et infrastructures aéroportuaires, les transports urbains et le transport ferroviaire sont les clés de la réussite de Dubaï dans les régions convoitées.

C’est une guerre unique dans les annales de l’histoire moderne parce qu’elle recèle, en son sein, une vraie autre guerre, plus sérieuse et plus destructrice, celle des Etats Unis et de la France, d’un côté, contre la Russie et surtout la Chine, de l’autre. Terrain de jeu : l’Afrique. Qu’elle qu’en sera l’issue, gardez-le bien en mémoire, puisque les exemples ne manquent pas dans l’histoire récente, le « magasin Afrique » sera gravement endommagé par les « dégâts collatéraux » occasionnés.

L’ExpressDZ, 26 oct 2020

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