Algérie/ L’informel comme soupape (Edito d’El Watan)

Sauf s’agissant de contrôler des activités où il considère qu’il y a enjeu politique, l’Etat s’est retiré de l’espace public. Commerce informel, stationnement et parkings anarchiques, squat des trottoirs, de la chaussée et chantiers non autorisés prolifèrent, car la nature a horreur du vide.

Le phénomène, qui n’épargne aucune ville depuis l’avènement du hirak (à l’exception de quelques quartiers sensibles de la capitale, où vivent et travaillent les dignitaires et les membres des représentations diplomatiques), a franchi un palier durant le mois de Ramadhan en cours.

La permissivité est telle qu’on a la nette impression que l’administration, les services de sécurité et les organismes de contrôle ont reçu des ordres pour ne pas agir. L’Etat régulateur, garant de la sécurité, de la gestion et de l’organisation de ces lieux, biens communs de tous les citoyens, semble avoir mis entre parenthèses sa responsabilité. Et de toute manière, les assemblées locales, résidus du pouvoir de Bouteflika, n’ont ni la légitimité ni les compétences nécessaires pour intervenir, alors que les services de sécurité sont largement occupés à anticiper, traquer, contrôler ou réprimer l’activité des opposants, le hirak en tête.

Les caisses étant vides, le pouvoir n’a plus assez de moyens pour assurer sa politique de distribution de la rente (comme au bon vieux temps) et à défaut de pouvoir résoudre la crise de l’emploi et empêcher l’érosion du pouvoir d’achat, il se contente de céder ces espaces, croyant acheter la paix sociale (et politique). Le commerce informel a toujours été employé par le pouvoir politique comme soupape servant à dégager la colère et à neutraliser l’animosité du peuple. Il s’en sert lors d’épisodes de crise comme palliatif et même comme panacée.

La rue devient le déversoir des marchandises et le théâtre de tous les dérapages. Les jeunes sont les premiers bénéficiaires de ces «largesses» et de cette tolérance, dont le succès ponctuel en a fait un mode de gouvernance. Les plus audacieux vont jusqu’à accaparer des parcelles de terrain qui pour agrandir sa maison, qui pour ériger une boutique. La salubrité publique est sacrifiée et l’espoir de se débarrasser de l’image tiers-mondiste de nos villes vole en éclats.

L’espace public, celui de la socialisation et de l’épanouissement de la citoyenneté, est ainsi dégradé, enlevé aux uns pour contenter d’autres selon une logique extra-institutionnelle et un jeu malsain de manipulation des classes sociales qui hypothèque la conscientisation des masses. Il est l’offrande sacrificielle du populisme d’Etat, l’expression urbaine de tous ses échecs.

El Watan, 02 mai 2021

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