Tunisie: Abir Moussi, un nouveau Ben Ali?

-Abir Moussi et son PDL, force politique en pleine ascension, subjuguent et font peur à la fois
-Arrivé troisième aux élections législatives du mois d’octobre 2019 avec 6,63% des voix et 17 sièges, le PDL est donné, un an et demi plus tard, vainqueur du prochain scrutin

TUNIS: La présidente du Parti destourien libre (PDL) attire une partie des Tunisiens en raison de son opposition farouche au mouvement islamiste Ennahdha, mais elle en inquiète également d’autres avec ses manières de dictatrice en herbe.

En effet, Abir Moussi et son PDL, force politique en pleine ascension, subjuguent et font peur à la fois. Car cette formation et sa présidente, ancienne cadre du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) – le parti de l’ancien président Zine al-Abidine ben Ali, dissous après la chute de ce dernier le 14 janvier 2011 – fascinent une partie de plus en plus importante de l’électorat.

Arrivé troisième aux élections législatives du mois d’octobre 2019 avec 6,63% des voix et 17 sièges, le PDL est donné, un an et demi plus tard, vainqueur du prochain scrutin.

D’après le baromètre politique de Sigma Conseil de février 2021, le PDL est crédité de 36,1% des voix, soit plus du double par rapport au mouvement Ennahdha (16,8%). Même s’il estime l’écart moins grand entre les deux formations – 17 points au lieu de 20 –, Emrhod Consulting confirme cette tendance et place le parti d’Abir Moussi loin devant (39%) celui du président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), Rached Ghannouchi (22%).

Mais, contre toute attente, M. Moussi ne fait pas aussi bien que son parti dans ce domaine. D’après le «baromètre du climat général» pour la période mars-avril 2021 réalisé pour le compte du quotidien de langue arabe Achourouk par le Social Science Forum (Forum des sciences sociales) et l’International Institute for Public Opinion Studies (Institut international pour les études d’opinion), la présidente du PDL passerait de la deuxième à la troisième place dans l’hypothèse d’une élection présidentielle qui se tiendrait aujourd’hui, avec seulement 12,2% des voix. Certes, elle ferait mieux qu’en 2019 (4%), mais arriverait loin derrière l’actuel président, Kaïs Saïed, qui, malgré un net recul (il fut élu avec 72,71% des voix), resterait en pole position (41,2%).

En Tunisie, le camp moderniste compte 1,8 million d’électeurs, estime Hassen Zargouni, directeur général de Sigma Conseil, dont les deux tiers constituent le réservoir électoral potentiel du PDL et de sa présidente. Mais, dans les faits, le parti et son leader n’ont pas tout à fait le même électorat.

Selon M. Zargouni, Mme Moussi ne capte personnellement que près de la moitié de l’électorat de son parti. On estime qu’1,2 million de Tunisiens sont attirés par le PDL. Parmi eux, seule la moitié voterait pour la présidente de ce parti. Les électeurs de la présidente du PDL sont pour l’essentiel des nostalgiques de l’ancien régime, souligne le patron de Sigma Conseil. Son parti ratisse beaucoup plus large. «Il est différent et plus grand qu’Abir Moussi», décrypte Hassen Zargouni.

À l’instar de Nidaa Tounes, la formation créée par le défunt président Béji Caïd Essebsi, qui avait remporté les législatives et la présidentielle de 2014, le PDL attire des gens qui «sont pour la plupart apolitiques mais anti-Ennahdha. Ils ont le désir d’un parti fort en face du parti islamiste. Ils se recrutent principalement au Sahel [Centre], au Cap Bon [Nord-Est] et dans le Grand Tunis. Ce sont en majorité des hommes, au niveau d’instruction supérieur à la moyenne»

Trois autres facteurs au moins contribuent à restreindre l’électorat potentiel de Mme Moussi. D’abord, en dépit de son hostilité à Ennahdha, elle en partage le conservatisme, notamment en matière d’égalité successorale entre hommes et femmes, idée à laquelle elle n’est pas favorable. Ensuite, et c’est probablement ce qui inquiète le plus un très grand nombre de Tunisiens, la présidente est une adepte du pouvoir personnel, mode de gouvernance de son parti, proprement dictatorial.

En effet, d’après Taoufik el-Maroudi, un commissaire de police à la retraite qui a démissionné du parti avec d’autres cadres au mois d’août 2019, «Abir Moussi est à la fois la présidente du PDL, sa secrétaire générale et sa porte-parole». En réalité, Mme Moussi a fait sienne la célèbre phrase «Le parti, c’est moi».

D’ailleurs, la manière dont le PDL se présente confirme cette dérive. Alors que, généralement, les partis dévoilent sur leurs sites Internet la composition de leurs différentes structures, le PDL la cache. La même remarque s’impose à propos de la page Facebook du parti, qui est une copie conforme de la page personnelle de la présidente: il n’y en a que pour elle. Durant tout le mois d’avril, à l’exception d’une unique intervention d’un député à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), on ne trouve sur cette page que des annonces et des comptes rendus des activités de Mme Moussi.

Enfin, dernier motif de la méfiance qu’elle inspire à bon nombre de Tunisiens: la présidente du PDL n’est pas seulement en guerre contre le mouvement Ennahdha, elle est en désaccord avec pratiquement tout le monde.

Arabnews, 29 avr 2021

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