Sahara occidental: Mohammed VI met la pression sur le gouvernement espagnol

L’hospitalisation « en catimini ​» du chef du Polisario, Brahim Ghali, en Espagne a entraîné une vive réaction de Rabat

Les faits .- L’accueil discret en Espagne du chef du Front Polisario, Brahim Ghali, pour se faire soigner du coronavirus a déclenché l’ire des autorités marocaines. « Le Maroc exprime sa déception face à un acte contraire à l’esprit de collaboration et de bon voisinage en relation avec une question fondamentale pour le peuple marocain », a expliqué le ministère des Affaires étrangères à Rabat.

Le torchon brûle entre les royaumes marocain et espagnol à cause du Sahara occidental, avec des conséquences sur le contrôle migratoire. En Espagne, la presse accuse même les forces de sécurité marocaines d’avoir relâché leur vigilance aux alentours de Ceuta, l’enclave espagnole sous la pression des migrants, et de ne plus contrôler aussi étroitement les départs vers les Canaries. Une centaine de jeunes Marocains ont tenté dimanche de nager jusqu’à la plage de Ceuta depuis la ville voisine de Fnideq. Un homme et sa fille y auraient perdu la vie alors qu’habituellement les forces marocaines surveillent la côte.

Le mécontentement marocain provient de l’accueil, à l’hôpital de San Pedro de Logroño en Espagne, du chef du Front Polisario, Brahim Ghali, il y a quelques jours pour se faire soigner de la Covid. Son mouvement revendique l’indépendance du Sahara occidental, administré par le royaume depuis 1975. Les affrontements avec les indépendantistes ont repris en novembre dernier le long du mur de défense érigé par le Maroc. « Le gouvernement de Pedro Sanchez s’est très mal comporté avec nous alors que nous n’avons pas ménagé nos efforts pour aider l’Espagne à contrôler l’immigration et à déjouer des attentats, confie une source proche du palais marocain. Il a accueilli dans le plus grand secret Brahim Ghali qui a voyagé sous un faux nom et avec un passeport algérien. Notre partenaire espagnol ne nous a pas prévenus en amont, ce qui aurait permis de faciliter les choses car nous ne sommes pas opposés à des gestes humanitaires. Hélas pour Madrid, nos services secrets sont bien renseignés… »

La presse proche de Rabat a rapidement fait fuiter l’information. Et la diplomatie marocaine a pris le relais pour dénoncer « un accueil en catimini », sans en aviser un partenaire stratégique. Samedi, l’ambassadeur espagnol à Rabat, Ricardo Díez-Hochleitne, a été convoqué au ministère des Affaires étrangères pour fournir des explications. La ministre des Affaires étrangères espagnole, Arancha González Laya, s’est empressée d’expliquer qu’il s’agissait d’une hospitalisation pour des raisons humanitaires. Sans arriver à éteindre le feu…

Certains titres marocains demandent aujourd’hui à ce que la justice espagnole juge Brahim Ghali, poursuivi pour délit de génocide, assassinats et tortures. Une plainte avait été déposée en 2006 par des Sahraouis ayant vécu dans les camps de réfugiés de Tindouf, en Algérie. D’autres titres marocains conseillent au royaume d’accueillir comme réfugié le leader indépendantiste catalan, Carles Puigdemont, poursuivi en Espagne pour sédition.

Le royaume ne se satisfait plus de la neutralité de l’Espagne et de ses autres partenaires européens sur le dossier du Sahara occidental à l’heure où les Etats Unis ont reconnu la souveraineté marocaine sur ce territoire disputé

Maladresse. Entre Madrid et Rabat, les relations ont toujours connu des hauts et des bas. Elles étaient pourtant plutôt bonnes avec les socialistes, que ce soit Felipe Gonzalez ou José Luis Zapatero. Très difficiles sous José María Aznar, le leader du Parti Populaire (PP, droite), elles se sont améliorées avec Mariano Rajoy. Le retour au pouvoir des socialistes en 2018 n’a pas permis de surfer sur cet élan. Rabat n’a pas apprécié l’arrivée de Podemos dans la coalition, le parti relayant les thèses du Polisario en soutenant notamment la tenue d’un référendum d’autodétermination au Sahara Occidental. Et puis Pedro Sanchez a fait preuve de maladresse à l’égard de son voisin. « Habituellement, le chef du gouvernement espagnol se rend très vite au Maroc, une fois les élections passées, confie un centriste espagnol. Il ne l’a pas fait cette fois et a même été en tournée africaine sans passer par le royaume. »

La réunion de haut niveau entre les deux pays, prévue le 17 décembre, a été reportée sine die. « Mohammed VI sait que le gouvernement Sanchez est faible, ajoute le cadre centriste. Il en profite pour le mettre sous pression. » Le royaume ne se satisfait plus de la neutralité de l’Espagne et de ses autres partenaires européens sur le dossier du Sahara occidental à l’heure où les Etats Unis ont reconnu la souveraineté marocaine sur ce territoire disputé. L’Union européenne, quant à elle, appelle toujours à un règlement pacifique de ce dossier sous l’égide de l’Onu. « La ligne des Européens doit évoluer, assure la source proche du palais marocain. Le départ des Espagnols de ce territoire sous Franco est une question de restitution et non pas de décolonisation. »

Le Sahara occidental – alors sous souveraineté espagnole – a été inscrit à la liste des territoires non autonomes, selon l’ONU, en 1963. Cela devait ouvrir la voie à un processus d’autodétermination. Mais cette option n’est plus négociable pour Rabat alors que le temps joue en sa faveur. Une vingtaine de pays ont ouvert dernièrement une représentation diplomatique dans ce territoire qu’elle administre à plus de 80 %.

Le Point, 27 avr 2021

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