La Françafrique : ce système politique criminel qui perdure…

France, colonialisme, Algérie, De Gaulle, Houphouët-Boigny, Côte-d’Ivoire, Léopold Senghor, Sénégal, Ahidjo, Cameroun, Sékou Touré, Silvanus Olimpio,

Il était de plus en plus clair, surtout à partir de la victoire sur le nazisme, à laquelle avaient participé de nombreux enrôlés originaires des colonies françaises, que la France ne pourrait plus maintenir longtemps sa domination coloniale directe, face à une aspiration indépendantiste grandissante qui s’est exprimée dès 1945 en Algérie, voir les massacres perpétrés en mai 1945 par les forces policières et armées françaises à l’encontre des Algériens de Sétif, Guelma, Kherrata qui avaient osé revendiquer leur liberté le 8 mai de la même année, ou encore à partir de 1946 en Indochine – essentiellement au Viet Nam – dès 1946 (jusqu’en 1954). Et comment ne pas penser à la Conférence anticoloniale de Bandung (Indonésie), en avril 1955, réunissant pour la première fois les représentants de vingt-neuf pays africains et asiatiques, où sont revendiquée, exigée solennellement l’indépendance politique et économique des pays du « Tiers-Monde ».

Pour ce qui est de la France, De Gaulle perçoit très vite qu’un tournant doit être pris. Dès la Conférence de Brazzaville (1944). Il est décidé d’octroyer l’indépendance aux pays africains sous tutelle coloniale française en 1960, en prenant bien soin de confier le pouvoir à une bourgeoisie et à des hommes comme Houphouët-Boigny en Côte-d’Ivoire, Léopold Senghor au Sénégal, ou encore Ahidjo au Cameroun, prêts à servir les intérêts de l’ex-métropole. Les leaders et peuples qui essaient de résister sont impitoyablement éliminés. Ainsi Sékou Touré, leader guinéen qui veut mettre fin à de nombreux signes et privilèges coloniaux, ce qui provoque aussitôt le départ de trois mille Français qui se mirent, avant de partir, à détruire bâtiments administratifs, voitures, livres, médicaments, tracteurs, chevaux, vaches, dépôts alimentaires, pour punir les Guinéens de cette audace. Quant à Silvanus Olimpio, premier président de la République du Togo, il ose refuser de signer le pacte néocolonial proposé par De Gaulle ; il est très vite exécuté par une escouade de soldats payés par la France. Ou encore les révoltes des peuples malgache ou camerounais, avant 1960, qui sont réprimées au prix de dizaines de milliers de morts. C’est précisément pour éviter ce type de contestation et de résistance et pour maintenir envers et contre tout une domination néocoloniale, économique et politique que De Gaulle demande à Jacques Foccart, nommé secrétaire général de l’Elysée aux affaires africaines de 1960 à 1974, de mettre sur pied tout un dispositif secret sur base de réseaux extra-diplomatiques (services de renseignements, conseillers français auprès des futurs chefs d’Etat, entreprises…) permettant une ingérence directe des autorités françaises dans les affaires intérieures des anciennes colonies.

L’origine de l’expression « Françafrique », ce système mafieux…

Tout d’abord, l’expression « France-Afrique » est employée, dès 1955, par le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, pour définir le souhait d’un certain nombre de membres de l’ »élite » africaine de conserver des relations privilégiées avec la France après l’accession de leur pays, anciennes colonies françaises, à l’indépendance. Quant à l’expression « Françafrique » et au système mafieux auquel elle renvoie, elle est nommée et mise à jour, décryptée pour la première fois par François-Xavier Verschave à travers son ouvrage « La Françafrique. Le plus long scandale de la République » (1988, Stock), et par l’association Survie, dont F. X. Verschave fut l’un des présidents historiques, de 1995 jusqu’à sa mort en 2005. Dans son ouvrage, complété par : « Noir silence : qui arrêtera la Françafrique » en 2000, Verschave décrit un système caractérisé par des pratiques de soutien aux dictatures, de coups d’Etat et d’assassinats politiques mais aussi de détournements de fonds et de financement illégal de partis politiques.

Caractéristiques de la Françafrique

On peut en dégager au moins cinq :

Une politique africaine occulte, totalement anti-démocratique, qui ne relève pas du Ministère des Affaires étrangères mais qui est à la discrétion de la Présidence, notamment à travers la cellule africaine de l’Elysée et, dans une moindre mesure, le ministère de la coopération, aujourd’hui disparu. Cette politique est largement occulte et échappe à tout contrôle démocratique.

Une présence très importante de fonctionnaires français ou d’attachés techniques dans les pays africains concernés, pour « conseiller », « guider » les responsables africains.

Une ingérence, notamment militaire, dans les affaires intérieures des pays concernés (défense ou renversement d’un gouvernement) rendue possible car l’armée française n’a jamais quitté l’Afrique. A la différence des autres anciennes puissances coloniales, la France a conservé des troupes dans ses colonies devenues indépendantes, en vertu de divers accords militaires plus ou moins secrets. Ce fut même une condition imposée par la France dès 1960. Au 1er janvier 2017, la présence militaire française reste très importante et est composée des forces françaises à Djibouti (2 000 hommes), en Côte d’Ivoire (450 hommes), au Gabon (900 hommes), au Sénégal (300 hommes), et bien sûr au Mali (Opération Serval-Barkhane) pour soi-disant « pacifier » ce pays face aux menaces djihadistes… mais aussi en réalité pour sauvegarder des intérêts économiques et géopolitiques.

Des relations économiques, financières, bancaires permettant aux entreprises et multinationales françaises et à l’Etat français d’exploiter et de piller les richesses agricoles et minières des pays africains. A souligner l’imposition, dès le début des indépendances du franc CFA, interdisant ainsi d’emblée toute autonomie monétaire.

Des liens financiers occultes entre certains Etats africains et des partis politiques français, sur base de corruption de responsables politiques français, et d’acquisition mafieuse par des responsables africains de « biens mal acquis »…
Sans oublier la politique de la France au Rwanda, dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle joua un rôle complice dans le génocide perpétré en avril 1994, ne serait-ce que par le soutien politique et militaire apporté au régime de Juvénal Habyarimana de 1973 à 1994, et la protection apportée aux milices hutues pendant et après le génocide.

Refonder complètement la politique africaine de la France

Les interventions militaires françaises récentes en Côte d’Ivoire, en Libye, au Mali ou en Centrafrique, présentées comme exclusivement humanitaires, pour venir au secours de populations menacées, peuvent donner l’impression d’une politique africaine radicalement nouvelle, sur la base d’interventions présentées comme « nécessaires » voire inévitables. Dans une lecture dépolitisée et à dominante humanitaire, la politique française est présentée par la quasi-totalité des grands médias comme « désintéressée » et « indiscutable »… Alors qu’il faudrait souligner au contraire la responsabilité historique de la France dans le pourrissement des situations dans de nombreux pays africains, l’importance de gagner des parts de marchés, de préserver les intérêts français dans certaines zones, au Niger par exemple où Areva exploite ses mines d’uranium au mépris de la santé des populations. La relégitimation de la place et de la politique de la France en Afrique, cette nouvelle Françafrique, c’est à nous citoyen.ne.s français.e.s – en lien avec des associations comme Survie, Attac, le CADTM, les associations africaines de la diaspora, et avec les peuples africains.- de nous mobiliser pour la décrypter et faire cesser le pillage des ressources du continent africain par les puissances occidentales et leurs multinationales, Et d’agir pour une toute autre politique africaine, transparente, décidée démocratiquement, fondée sur les droits économiques et politiques des populations africaines.

RITIMO, 27 mars 2018

Etiquettes : Tchad, Mali, Niger, Burkina Faso, Sénégal, Côte d’Ivoire, RCA, Centrafrique, Guinée, Françafrique, France, pillage, néo-colonialisme,