Il a passé un sale quart d’heure*, Thierry Breton, le chef de la Task Force Vaccin de l’Union européenne (UE), à répondre aux excellentes questions de Sonia Mabrouk, l’intervieweuse sans complaisance d’Europe 1 et de C News.
C’est qu’elle est comme ça, Sonia Mabrouk. Pas du genre à se laisser impressionner par les titres et les fonctions. Elle, c’est plutôt le fond des choses et la vérité qui l’intéressent. Alors les bureaucrates venus débiter des stères de langue de bois, elle les hache menus. Le commissaire européen était venu exposer le nouveau narratif de l’UE destiné à masquer l’échec de la vaccination. En substance : « on a été très bon avec les vaccins. Si on n’en avait pas pour nous, c’est parce qu’on est généreux et solidaire avec les autres, nous ! Pas comme les Américains ! ». Il s’est heurté à ce qui fait la beauté de la profession : la maîtrise (du dossier) et le cran. Lorsqu’il promet la vaccination de 70% des Européens pour le 14 juillet, elle lui demande « de quelle année ? » tout en rappelant de manière documentée les promesses non tenues jusque-là. Elle l’interpelle aussi sur ce qui justifie son « mépris » du vaccin Spoutnik, « c’est parce qu’il est russe ? ».
Personnalité atypique
D’une beauté qui n’a d’égales que son élégance et sa pertinence, Sonia Mabrouk mène ses entretiens avec un calme immuable et une courtoisie sans faille. Des armes imparables dans le monde d’apparences de la politique et des médias. Des armes de velours qu’elle acquiert sans doute très tôt lorsque les grandes figures de la politique tunisienne, dont le président Bourguiba lui-même, défilent dans sa maison à Tunis. Sa famille, passionnée de politique, fournira deux ministres à Bourguiba et… la plus brillante de ses journalistes à la France dont elle acquiert la nationalité en 2010.
Mais si elle sort du lot médiatique actuel, c’est sans doute aussi grâce à sa formation. Dans son cursus, pas de sciences-po, ni de sociologie, creusets habituels du journalisme académisé. Sonia Mabrouk est diplômée d’une haute école de… commerce, celle de Carthage et de l’Université Panthéon – Sorbonne. Au royaume de la monoculture intellectuelle, plutôt de gauche et anti-économie, la voici donc d’emblée en position singulière. C’est Jean-Pierre Elkabbach qui lui met le pied à l’étrier en faisant d’elle la première Tunisienne à présenter un journal télévisé français (Public Sénat). Ce sera ensuite Europe 1 et CNews avec des interviews politiques qui donnent des sueurs froides aux spins doctors hexagonaux.
La sémantique du K.O.
Le pauvre Thierry Breton n’est pas le seul à être tombé. Jack Lang, en stabulation libre dans l’expression fleurie de son dégoût pour Trump, se fait cueillir par un premier crochet : « Vous gardez intacte votre capacité à vous indigner. Que pensez-vous alors de l’affaire Olivier Duhamel** ? ». Sourire jaune du Pape de la gauche caviar qui ne voit pas arriver l’uppercut : « cette affaire éclabousse une certaine gauche soixante-huitarde, un certain milieu intellectuel. Là, je n’ai pas vu d’indignation de votre part… ». Enfin, K.O. final sur la tribune que l’ancien ministre de la culture a signé il y a 40 ans pour décriminaliser les rapports sexuels avec les enfants : « Jack Lang, vous savez ce qu’on dit : la vérité, cette rumeur qui se promène comme un mensonge… Il peut y avoir aussi des rumeurs sur beaucoup de personnes, il y en a également sur vous. Comment vous réagissez ? » Comme le dit un commentateur, Sonia Mabrouk est le Mike Tyson de l’interview : 12 minutes et K.O.
C’est grâce à sa persévérance aussi que l’on en sait un peu plus sur la vraie nature de la pensée dominante dans le syndicat d’étudiants français (UNEF). Sa Présidente, Mélanie Luce, autoproclamée « racisée » (non-blanche) s’est elle aussi liquéfiée au fil de ses délires, joliment démasqués les uns après les autres, sur les « races sociales », les réunions en « non-mixité raciales » (où les Blancs ne sont pas admis) et la mise en joue de professeurs au nom d’une prétendue islamophobie.
Un appel à l’opposition
Il est vrai que la question de l’intégrisme est sensible pour Sonia Mabrouk : « Je suis Française et Tunisienne avant d’être musulmane. J’ai grandi dans une famille qui m’a toujours appris le respect des autres, de leurs différences, notamment religieuses. Je n’admets pas qu’une minorité en France cherche à parler plus fort que la majorité silencieuse des musulmans qui vivent dans le respect des règles de la République et de l’amour de leur religion. Ce qui est parfaitement compatible. »
C’est cette tentation de dictature des minorités qui l’incite dans son dernier livre, Insoumission française***, à mettre en lumière les principales dérives de l’époque. Les « décoloniaux » (déboulonneurs de statues et autres censeurs de tout discours qui leur déplaît), les féministes primaires, les écologistes radicaux et punitifs, les fous du genrisme et les « islamo-compatibles » sont des groupes minoritaires qui sont autant de dangers pour la société, dénonce-t-elle avec courage. En étendant de manière tentaculaire leur influence à tous les niveaux de la société, les réseaux sociaux, les médias, les universités, les églises et aussi, en partie désormais, les entreprises, ces minorités amenuisent le débat démocratique sans que personne ne s’y oppose véritablement, fut-ce au nom du bon sens et des faits. A l’exception peut-être de quelques intellectuels, pas encore « annulés » tels Steven Pinker, mais ses jours sont comptés. Pour la plupart, ces mouvements a priori hétéroclites plongent leurs racines idéologiques dans la pensée d’extrême-gauche où l’on maîtrise depuis bien longtemps la notion de convergence des luttes. Les gardiens de la révolution culturelle d’aujourd’hui appellent ça l’intersectionnalité. De son côté, la bonne vieille lutte des classes est aujourd’hui réorganisée en groupes de victimes (genre, race, génération, faune, flore, religion, etc.) mais le but est le même : imposer à tous la loi de minorités dont le combat s’appuie sur une idéologie qui a laissé de sales traces dans l’histoire. Sonia Mabrouk en appelle donc justement et courageusement à l’opposition.
Exemplaire
Au moment où la morale tend à se substituer à la volonté de vérité, l’intransigeance et l’honnêteté intellectuelle qui inspirent le travail de Sonia Mabrouk sont essentielles et devraient servir d’exemples à ses confrères et soeurs. Comme déjà exposé dans ces chroniques, les médias ne sont pas épargnés par ce phénomène. Bon nombre de journalistes ont docilement et volontairement renoncé à la recherche de la vérité pour celle du Bien et soumettent trop volontiers la réalité à l’idéologie, plutôt que l’inverse, sans y voir un danger pour la liberté d’expression qui fonde pourtant leur core-business. On pense à ces chefs de presse, si prompts à s’excuser lorsqu’ils se font dépasser – ce qui paraissait pourtant bien improbable jusqu’alors – sur leur gauche.
* 16 avril 2021, Europe 1, à 8h15
** Politologue français accusé d’agressions sexuelles sur mineur dans « La Familia grande » de Camille Kouchner, sa belle-fille.
*** Insoumission française. Editions de l’Observatoire, avril 2021
Le Temps, 25 avr 2021
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