La région des Grands Lacs d’Afrique est une région qui regorge de ressources naturelles mais dont la stabilité et le développement sont fortement compromis par les cycles récurrents des conflits ravageant l’Est de la République démocratique du Congo (RDC).
Pour neutraliser ces forces négatives de façon pérenne, entre 2013 et 2014, 13 pays africains ont signé l’Accord-cadre pour la paix, la sécurité et la coopération pour la RDC et la région. L’ONU est l’un des quatre garants de l’Accord. Elle s’est ainsi dotée d’un Envoyé spécial du Secrétaire général pour la région des Grands Lacs qui a pour mission de responsabiliser les acteurs dans la région afin d’assurer la mise en œuvre « pleine et entière » de l’Accord-cadre.
Lors de son dernier exposé devant le Conseil de sécurité, le 12 avril dernier, l’Envoyé spécial Huang Xia a affiché une note d’optimisme, malgré les défis posés par la Covid 19, les violences perpétrées par des groupes armés et les violences électorales.
ONU Info a eu un entretien avec M. Xia afin de mieux comprendre l’optimisme affiché par ce diplomate qui prône la discrétion et patience.
ONU Info : Deux ans se sont écoulés depuis votre prise de fonction en 2019 et le monde connait une pandémie, estimez-vous néanmoins que la situation dans la région des Grands Lacs évolue comme vous l’aviez souhaité ?
Huang Xia : En 2019, lors de ma première intervention devant le Conseil de sécurité des Nations Unies sur la région des Grands Lacs, j’ai livré aux membres du Conseil un diagnostic plutôt optimiste. A l’époque, j’avais en effet constaté que la région était résolument engagée dans sa marche vers la stabilité.
Plusieurs pays de la région avaient démontré une détermination renouvelée à renforcer leur coopération et à promouvoir le dialogue et la résolution pacifique des différends au niveau bilatéral. Comme exemples, je pourrait noter entre autres, les réunions tripartites et quadripartites tenues grâce aux bons offices du Président congolais et du Président angolais, qui ont conduit à un mémorandum d’entente entre le Rwanda et l’Ouganda en août 2019 ; l’engagement du Président congolais à travailler étroitement avec ses pairs afin de rétablir la paix et la sécurité dans l’est du pays, et, à cet égard, les consultations entre les services de sécurité et de défense de la République démocratique du Congo et de certains pays voisins dans le but de renforcer leur coopération contre les groupes armés opérant dans l’est de la République démocratique du Congo.
Deux ans plus tard, je continue d’être optimiste. La semaine dernière, j’ai réaffirmé aux membres du Conseil ma conviction que la région restait engagée dans la bonne voie pour s’attaquer aux défis sécuritaires, politiques, économiques et sanitaires qui la minent.
Certes, la pandémie de Covid-19 a eu un impact significatif sur la région et a accentué certaines fragilités pré-existantes. Aujourd’hui, environ deux millions de cas ont été recensés à travers les 13 pays signataires de l’Accord-cadre. Plus de 60.000 vies ont été perdues. La pandémie a ralenti l’élan économique dans une région à grand potentiel qui, faut-il le rappeler, comptait naguère parmi les économies à plus forte croissance dans le monde. Je reste également très préoccupé par la violence et l’insécurité causées par les groupes armés. En outre, certains pays de la région ont malheureusement connu des élections émaillées elles aussi de violence, et conduisant à la perte de vies humaines.
Nonobstant ces défis importants, les pays de la région n’ont ménagé aucun effort pour contenir la propagation de la pandémie et juguler ses répercussions négatives. Ils ont par ailleurs maintenu leurs engagements en faveur de l’Accord-cadre. Sur le plan sécuritaire, plusieurs leaders de la région ont poursuivi leurs efforts pour tenter de trouver des solutions concertées et durables à la question des groupes armés qui continuent de créer le chaos dans l’est de la République démocratique du Congo et pour renforcer la coopération politique et économique au niveau bilatéral.
L’étroite coopération depuis 2019 entre la République démocratique du Congo et plusieurs de ses pays voisins est encourageante. Outre ses efforts en faveur d’un renforcement de la coopération bilatérale, le Président de la République démocratique du Congo s’est également engagé, aux côtés de son homologue de l’Angola, pour aider à la normalisation des relations entre le Rwanda et l’Ouganda dans le cadre du processus dit quadripartite.
Concernant les relations entre le Burundi et le Rwanda, ces derniers mois, nous avons assisté aussi à une série de gestes qui témoignent d’une volonté commune des deux pays d’aller de l’avant. Tout cela est de bon augure.
A la lumière de tous ces développements positifs, je reste convaincu qu’une approche discrète et patiente fondée sur l’appui aux efforts des pays de la région ainsi qu’une écoute attentive des parties prenantes concernées demeurent la clé de toutes solutions durables aux défis de paix, de sécurité et de développement dans la région des Grands Lacs.
ONU Info : La région des Grands Lacs regroupe 13 pays. Elle regorge de ressources naturelles et se retrouve minée par la violence notamment de groupes armés mais aussi les violences électorales. Votre Bureau a élaboré une Stratégie de l’ONU pour la consolidation de la paix, la prévention et le règlement des conflits, pourriez-vous nous en donner un aperçu ?
Huang Xia : Permettez-moi d’apporter deux précisions avant de répondre à votre question. Sans vouloir rentrer dans un débat sur la définition exacte de la région des Grands Lacs, il faut noter que les 13 pays dont vous parlez sont tous signataires de l’Accord-cadre d’Addis Abeba, mais n’appartiennent pas tous, d’un point de vue strictement géographique à la région des Grands Lacs en tant que telle.
Ensuite, tous les pays signataires de l’Accord-cadre, tout comme tous les pays au cœur de la région dite des Grands Lacs ne sont pas tous minés par la violence. Mais il est vrai qu’en dépit des progrès remarquables observés, l’activisme des groupes armés et la violence électorale dans certains pays demeurent des obstacles à la stabilité, au développement et à la consolidation de la démocratie dans la région des Grands Lacs, prise dans son ensemble.
Pour répondre maintenant à votre question, l’année dernière en effet, le Secrétaire général des Nations Unies a approuvé la Stratégie des Nations Unies pour la consolidation de la paix, la prévention des conflits et le règlement des conflits dans la région des Grands Lacs que mon Bureau a élaborée.
La Stratégie est issue d’un processus consultatif et inclusif, basé sur des consultations avec des partenaires internes et externes, y compris les pays de la région, les organisations régionales, les représentants de la société civile, parmi d’autres.
Elle repose sur 10 priorités articulées autour des trois piliers : paix, sécurité et justice ; développement durable et prospérité partagée ; résilience face aux problèmes anciens et nouveaux.
Cinquante actions prioritaires ont été proposées pour l’engagement des Nations Unies dans la région pour les dix prochaines années, y compris les initiatives dans le domaine de dialogue politique, de droits de l’homme, de coopération économique ou de la prévention de l’extrémisme violent, entre autres. La Stratégie compte tirer le meilleur parti des diverses entités onusiennes présentes dans la région pour mieux servir les populations et les pays dans leur quête de paix, de stabilité et de développement durable.
La mise en œuvre de la Stratégie est la priorité de mon Bureau. Pour ce faire, nous travaillons actuellement à
l’élaboration d’un Plan d’action pour sa mise en œuvre et la mise en place d’un groupe politique de haut niveau au sein des Nations Unies qui sera l’organe en charge de la coordination et du suivi de la mise en œuvre de la Stratégie.
Alors que la Stratégie doit être déclinée aux niveaux national et régional, il est impératif que le Plan d’action s’appuie sur les principes clés d’appropriation par les pays de la région, complémentarité sur la base des avantages comparatifs, alignement sur les cadres régionaux existants dans la région et de cohérence optimale entre les acteurs onusiens. Au niveau de notre Bureau, nous comptons finaliser le Plan d’action d’ici juin, qui sera ensuite adopté par le Groupe politique de haut niveau. Dans cet esprit, je vais poursuivre mes engagements avec les différentes parties prenantes onusiennes, nationales et régionales en vue de l’élaboration de ce document.
ONU Info : Devant le Conseil de sécurité avez cité 4 grandes priorités. Parmi elles, vous avez évoqué la tenue prochainement d’un atelier pour lutter contre l’exploitation et le commerce illicite des ressources naturelles. En quoi cet effort est-il différent de ceux menés par le passé ?
Huang Xia : Nous sommes en train d’organiser cet atelier de haut niveau, prévu pour août-septembre à Khartoum, conjointement avec nos partenaires régionaux et internationaux – à savoir la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs (CIRGL) et la Coopération allemande pour le développement, en coopération aussi avec le gouvernement soudanais.
L’objectif de cet atelier est de parvenir à un consensus concernant les mesures à prendre afin d’arriver à une gestion plus durable et plus transparente des ressources naturelles. Dans ce contexte, et en tirant les leçons du passé, nous avons introduit deux innovations majeures :
• Une approche holistique en impliquant toutes les parties prenantes concernées, des représentants de haut niveau de différents Ministères des 12 pays membres de la CIRGL, les organisations régionales, la société civile, le secteur privé mais également les pays de destination et de transit partenaires au développement et tous les pays qui voudront bien appuyer les efforts de la région ;
• Une démarche pragmatique axée sur les résultats qui vise à l’accélération de la mise en œuvre de l’Initiative régionale de lutte contre l’exploitation et le commerce illicites de ressources naturelles lancée depuis 2008. A cet égard, nous envisageons de faire valider à Khartoum une feuille de route de 3 ans fondée sur une synergie des interventions de tous les acteurs, y compris des partenaires au développement avec pour objectif d’accélérer la cadence et d’atteindre des résultats concrets en termes de coopération et de transparence dans l’exploitation et le commerce des ressources naturelles.
ONU Info : Vous parlez d’inclure de l’amont a l’aval, est ce que cela comprendrait les sociétés privées ou les groupes de consommateurs ? Je pense par exemple au téléphone portables et au coltran etc.
Huang Xia : Notre approche holistique consiste à engager tous les acteurs intervenants dans tout le processus de l’exploitation de ces ressources naturelles à partir des mines jusqu’à l’utilisation définitive des produits raffinés. Et cela concerne les entreprises intervenant dans les activités minières, mais aussi dans les activités d’acheminement, de transformation et d’utilisation. Cette approche holistique consiste à engager tous les acteurs.
ONU Info : Vous avez beaucoup parler de la coopération dans la région, entre les divers gouvernements. Il y a ce groupe de contact qui regroupe des experts à des fins non-militaires. Quelles sont vos attentes par rapport au Groupe de contact ?
Huang Xia : Le Groupe de contact et de coordination est une structure qui engage cinq pays. C’est un mécanisme composé des représentants du Burundi, de la RDC, du Rwanda, de l’Ouganda et la Tanzanie dont le mandat sera de coordonner la mise en œuvre de mesures non militaires en vue de la neutralisation des forces négatives. C’est un groupe qui va regrouper des représentants gouvernementaux.
Ce Groupe de contact est l’émanation de la volonté de ces cinq pays faisant partie de ce cadre de concertation que mon Bureau et les autres garants de l’Accord-cadre ont facilité.
Il part d’un consensus sur le fait que l’action militaire doit être complétée par des mesures non-militaires si nous voulons efficacement et durablement régler la question des groupes armés étrangers opérant dans l’est de la République démocratique du Congo.
Cette approche pose aussi les bases d’une plus grande implication des pays d’origine de ces groupes armés, des acteurs de la société civile, des communautés, des organisations de femmes et de jeunes dans les efforts visant à régler cette question.
En conséquence, nous espérons que le Groupe de contact permettra de catalyser cette dynamique de coopération en matière sécuritaire, en identifiant et en mettant en œuvre des mesures incitatives au désarmement et au rapatriement volontaire et collectif des groupes armés dans leur pays d’origine.
A cet égard, le Groupe de contact s’appuiera sur une stratégie de communication conjointe à destination de tous les groupes armés étrangers. A ce stade, c’est un groupe qui réunit des représentants gouvernementaux. Bien sûr dans son travail nous devrions mobiliser les autres acteurs, le rôle de la société civile sera indispensable.
les enfants continuent d’être parmi vos principales priorités dans la région – pourquoi ?
Huang Xia : C’est parce que les femmes, les jeunes et les enfants sont un segment significatif des sociétés de la région qui représente plus de 70% de la population.
Ces populations doivent être impliquées dans toute initiative visant à trouver des solutions et relever les multiples défis auxquels la région fait face.
A cet égard, je ne peux que me féliciter de la tendance positive dans la région en matière d’inclusion des femmes dans les processus politiques comme en témoignent notamment l’accession à la Présidence de Son Excellence Samia Suluhu Hassan en tant que première femme Présidente de la Tanzanie, ou du taux record pour la République démocratique du Congo d’une représentation de 27% dans le nouveau gouvernement.
Cependant, la pandémie de Covid-19 continue d’avoir un impact disproportionné sur les femmes et les jeunes, notamment ceux dont la subsistance dépend de l’économie informelle. Face à cette situation, mon Bureau continuera de sensibiliser les États et les partenaires internationaux non seulement sur les défis socio-économiques propres à ces catégories de la population, mais également sur l’impératif de leur implication dans l’élaboration et la mise en œuvre de toute réponse à la pandémie.
Les efforts de mon Bureau s’inscrivent dans le cadre : du renforcement du rôle des acteurs régionaux et de la société civile dans la consolidation de la paix ; du plaidoyer dans la prévention de la violence contre les femmes ; du plaidoyer pour le renforcement des politiques et des cadres juridiques ; ainsi que du renforcement de la coopération avec les ministres du Genre de la région et d’autres partenaires clés, y compris le Bureau de l’Envoyé spécial de l’Union africaine, FemWise-Africa, la CIRGL, ONU Femmes, les fora régionaux de femmes et jeunes ainsi que les coalitions régionales de la société civile.
Le Conseil consultatif pour les Femmes, la Paix et la Sécurité dans la région des Grands Lacs, que j’ai l’honneur de présider, est l’organe principal qui guide ce travail.
En effet, le mandat de ce Conseil consultatif est, entre autres, de soutenir la mise en œuvre de la résolution 1325, promouvoir les droits des femmes et leur participation effective dans la c
onsolidation de la paix en appui à la mise en œuvre de la stratégie régionale.
A ce sujet, le Conseil doit se réunir très prochainement (le 4 mai) dans le cadre de sa 13ème session pour examiner un plan d’action visant à soutenir le volet Femmes, Paix et Sécurité du plan d’action en cours d’élaboration de la stratégie régionale.
Je voudrais profiter de cette opportunité pour apprécier le soutien estimable des partenaires norvégiens, du fond pour la paix et le développement de la Chine et du Fond fiduciaire pluriannuel ainsi que la commission de la consolidation de la paix avec laquelle mon Bureau a mené d’importantes initiatives dans le courant de l’année 2020 visant à promouvoir les Femmes du secteur privé. C’est grâce a ce soutien que nous avons réussi et que nous pourrions réussir davantage.
Etiquettes : ENVOYÉ SPÉCIAL DE L’ONU POUR LA RÉGION DES GRANDS LACS, GRANDS LACS D’AFRIQUE, RDC, DÉVELOPPEMENT DURABLE, VIOLENCES, ONU, Antonio Guterres,