Par Tarek Benaldjia
Depuis les années 1980 jusqu’à nos jours, le rôle militaire d’Israël au Maroc demeure un secret de polichinelle, bien documenté mais peu évoqué.
Un conseiller israélien au Guatemala à l’époque, le lieutenant-colonel Amatzia Shuali, a déclaré: « Je n’aime pas ce que font les païens avec les armes. Mais ce qui importe, c’est que les juifs en profitent «, comme l’ont raconté Andrew et Leslie Cockburn dans Dangerous Liaison ».
“Dans le monde du renseignement, il n’y a rien de gratuit”
“Ce n’est pas simplement que le Mossad a œuvré, c’est beaucoup plus que cela”, explique Ronen Bergman. “Le service de renseignements du Maroc a rendu service énorme aux Israéliens en donnant au Mossad la capacité d’écouter les conversations les plus secrètes des dirigeants arabes”, affirme le journaliste du New-York Times. “Mais ils voulaient quelque chose en échange, car dans le monde du renseignement, il n’y a rien de gratuit.”
Si des Français étaient déjà impliqués dans l’élimination de l’anticolonialiste Mehdi Ben Barka, le Maroc demande aussi au Mossad de l’aider, raconte Ronen Bergman. Le 29 octobre 1965, le leader panafricain se rend à un rendez-vous à la brasserie Lipp à Paris, mais les services secrets israéliens l’ont traqué afin que les Marocains l’enlèvent. L’opposant socialiste au roi Hassan II est alors torturé et tué par les services secrets marocains. “Le Mossad aide les assassins à se débarrasser du corps et à l’enterrer sous ce qui est aujourd’hui le musée Louis Vuitton, dans le bois de Boulogne”, poursuit Ronen Bergman.
Maroc-Israël : six décennies de relations non avouées
Durant son règne, Hassan II a maintenu une ambiguïté en ne coupant pas les ponts avec l’État hébreu, tout en défendant la cause palestinienne.
Au Maroc, les enfants du primaire devront bientôt tout apprendre de la culture et de l’histoire juive marocaine. La décision avait été prise avant l’annonce jeudi de la normalisation des relations entre le Maroc et Israël. Mais elle donne un aperçu des dynamiques historiques qui ont conduit le roi Mohammad VI à prendre ce virage, faisant ainsi du Maroc le quatrième pays arabe à officialiser ses relations avec l’État hébreu cette année après les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan.
Rabat rompt ainsi avec six décennies d’une liaison cachée et quasi ininterrompue aux multiples facettes. Depuis son accession au trône en 1961, Hassan II n’a eu de cesse de jouer les équilibristes entre ses acolytes arabes et les Israéliens, se posant en interlocuteur incontournable dans le processus de paix au Proche-Orient. Contrairement à la plupart des autres pays arabes, le roi du Maroc ne s’est jamais opposé à des négociations avec les dirigeants israéliens. Profondément convaincu que la seule issue était de parvenir à une solution politique, le souverain chérifien a déployé ses forces de médiateur, sans jamais pourtant oser franchir le pas d’une reconnaissance. Une ambivalence dans laquelle les deux pays ont pu trouver leur compte des décennies durant, en termes de coopérations militaire et commerciale. Lors du sommet de la Ligue arabe le 13 janvier 1964, Hassan II appelle les pays arabes à adopter une attitude réaliste à l’égard du conflit entre Israël et la Palestine, ce qui lui permettra d’être l’interlocuteur privilégié des Occidentaux mais aussi de renforcer la position du Maroc au sein de la Ligue.
« Étant donné la nature historique et culturelle de l’attachement des Israéliens d’origine marocaine au Maroc, les liens entre les deux pays étaient plus profonds que les relations israélo-émiraties », rappelle Mohammad Daadaoui, professeur en sciences politiques à l’Université d’Oklahoma City.
Le point de départ de ces relations repose en partie sur la présence d’un grand nombre de juifs marocains avant la création d’Israël en 1948. Plus de 700 000 Israéliens sont originaires du royaume, et même s’il ne reste plus que quelque 2 000 juifs au Maroc, ils ont permis de constituer un « pont » diplomatique entre les Israéliens et les Arabes. En 1965, Hassan II n’hésite pas à collaborer avec le Mossad, en lui permettant d’espionner les rencontres à Casablanca entre les leaders et commandants arabes en vue d’une préparation d’une attaque contre Israël. En échange, il obtient la liquidation de l’opposant Mehdi Ben Barka.
Les informations obtenues seront cruciales dans la victoire d’Israël lors de la guerre des Six-Jours en 1967. Ce double jeu n’empêchera pas Hassan II de marteler le droit au retour des Palestiniens, mais aussi d’envoyer ses troupes en 1967 et lors de la guerre de 1973 pour combattre aux côtés de l’Égypte et de la Syrie. Après la normalisation des relations entre l’Égypte et l’État hébreu en 1979, le Maroc ne lui emboîte pas toutefois le pas.
Refusant la règle tacite qui consiste à isoler Israël, le roi marocain multiplie les rencontres avec les officiels et accueille même des congrès des communautés juives du Maroc, comme en mai 1984, en présence d’une soixantaine de personnalités israéliennes. S’il n’ouvrira jamais d’ambassade en Israël, il cédera pour un bureau de liaison en 1994 avant sa fermeture en 2000 lors de la seconde intifada. « Les liens ont parfois été diplomatiques, mais plus souvent dans le commerce, l’agriculture, le tourisme et la technologie plus récemment », explique Abderrahim Chalfaouat, chercheur spécialiste des relations maroco-américaines à l’Université Hassan II, à Casablanca.
Plus de 24h après l’annonce, de la normalisation des relations entre le Maroc et Israël par l’administration américaine, aucune réaction officielle n’était encore venue de la part des gouvernements algérien et tunisien, signe d’un embarras à l’égard de cet accord qualifié d’ « historique ». Le roi du Maroc, Mohammad VI, a indiqué au président américain Donald Trump au cours d’un entretien téléphonique que son pays allait « reprendre les contacts officiels (…) et les relations diplomatiques dans les meilleurs délais » avec Israël et ouvrir des liaisons aériennes directes entre les deux pays, selon un communiqué du palais royal. Le monarque a également qualifié de « prise de position historique » la reconnaissance par Washington de la souveraineté marocaine sur le territoire désertique disputé du Sahara occidental, contrepartie de la normalisation avec Israël.
Le leadership algérien
L’Algérie est doublement concernée par l’accord de normalisation annoncé par le Maroc. Le pays est un soutien historique de la cause palestinienne, qu’il défend jusqu’à aujourd’hui, et n’a jamais entretenu de relations diplomatiques avec Israël. « On peut s’attendre à une réaction hostile à venir de la part du leadership algérien au vu de la solidarité traditionnelle de l’Algérie sur le dossier palestinien », estime, interrogé par L’Orient-Le Jour, Kader Abderrahim, directeur de recherches à l’Institut de prospective et de sécurité en Europe (IPSE). Au-delà de la question palestinienne, l’Algérie joue un rôle non négligeable dans le conflit au Sahara occidental.
Depuis des décennies, le pays est opposé au Maroc sur la question du statut de ce territoire en soutenant les indépendantistes du Front Polisario qui rejettent le contrôle des deux tiers de ce territoire par le Maroc ainsi que le plan d’autonomie sous sa souveraineté que Rabat propose. Tout comme le Maroc, le Polisario et la Mauritanie, l’Algérie fait partie des négociations menées par l’ONU et suspendues depuis plusieurs mois. L’Algérie abrite en outre plusieurs camps de réfugiés sahraouis dans la province du Tindouf.
Malgré ce double intérêt, le gouvernement algérien ainsi que les médias officiels ne sont pas r
estés silencieux sur l’annonce de la normalisation. Tebboune n’a pas manqué dans une allocution prononcée à l’occasion de la tenue de la 75ème session ordinaire de l’Assemblée générale (AG) de l’Organisation des Nations unies (ONU) à New York. “La question palestinienne reste pour l’Algérie et son peuple, non seulement une cause sacrée, mais également centrale”, a-t-il déclaré. “Nous réaffirmons notre soutien indéfectible au peuple palestinien, à sa juste cause et à son droit inaliénable à l’établissement de son Etat indépendant et souverain avec Jérusalem pour capitale, partant de notre conviction que son règlement constitue la clé de la stabilité au Moyen-Orient a-t-il martelé.
Dans une rencontre avec les médias algériens, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a déclaré que son pays “ne participera pas à la cours à la normalisation avec Israël”. “Notre foi en la nécessité d’une organisation onusienne forte nous incite à réaffirmer l’impératif de faire avancer le dossier de réforme globale de notre organisation, afin d’en améliorer les performances et d’en renforcer la compétence”, a-t-il poursuivi.
Ce dernier est sans doute embarrassé de constater les gains diplomatiques de son voisin, qui renforcent sa position dans la région du Maghreb et fragilisent celle de l’Algérie, dont le Front Polisario est dépendant pour ses opérations militaires. Et ce alors que l’Algérie est, elle-même, fragilisée par ses propres troubles internes.
La caravane de trahison arabe
Le 15 septembre, les Émirats arabes unis et Bahreïn ont signé les deux accords de normalisation avec Israël à la Maison-Blanche, sous les auspices du président américain Donald Trump, ignorant l’état de colère dans les cercles populaires arabes et le rejet palestinien. Même chose du côté de la Tunisie où le silence du gouvernement contraste avec la colère exprimée sur les réseaux sociaux par une large partie de la population du pays. Les partis politiques et plusieurs membres de la société civile se sont joints à ces cris d’indignation en dénonçant largement l’accord de normalisation. « Le roi du Maroc rejoint la caravane de trahison arabe » La population peut clairement s’exprimer alors qu’elle fait partie d’une des seules vraies démocraties du monde arabe. De plus, le pays vit désormais ce que connaissent les Européens depuis des années : les rendez-vous électoraux »
Plusieurs observateurs estiment que le gouvernement tunisien finira aussi par exprimer son opposition à la décision du Maroc, où la population semble, elle aussi, émettre un avis divergent de celui de son gouvernement « Il est établi que l’histoire, la tradition et la culture du Maghreb témoignent d’une solidarité avec le peuple palestinien. Même si la question du Sahara est une question d’identité et est structurante pour beaucoup de Marocains, la solidarité palestinienne a, semble-t-il, plus de chances de l’emporter aux yeux de ces derniers »
Des conseillers israéliens envoyés au Sahara occidental
Des conseillers militaires et des experts israéliens ont été envoyés récemment au Maroc. Mission principale : réorganiser l’armée royaliste dans le Sahara occidental, révision de son système de défense, son réarmement et éventuellement adopter de nouvelles tactiques d’attaques contre les unités du Polisario.
Bien que la coopération militaire entre le makhzen et l’entité sioniste n’est pas nouvelle, plutôt bien ancrée depuis des décennies, l’envoi de ces conseillers constitue déjà comme un nouveau palier dans cette coopération et pourrait susciter des inquiétudes.
Pour de nombreux spécialistes, l’arrivée de ces officiers israéliens contribue à la militarisation, non seulement du territoire occupé du Sahara occidental, mais de toute la région du Sahel et de l’Afrique du nord. Ils prédisent ainsi de nouvelles tensions aux conséquences incalculables sur la stabilité et la sécurité de toute la zone du continent africain.
Il faut dire que Tel-Aviv a déjà envoyé, il y a deux mois, un groupe d’officiers spécialisés au Maroc. Ils se sont établis dans une base militaire dans le sud du pays, située à une trentaine de kilomètres des frontières algériennes. L’objectif étant clair: l’écoute, l’observation et le contrôle des mouvements aussi bien des unités de l’armée populaire de libération sahraouie que ceux de l’ANP.
Cependant, le dernier envoi de conseillers d’il y a quelques jours est très révélateur sur les perspectives de développement de cette étroite coopération entre le Maroc et l’entité sioniste. L’information a été révélée par le quotidien israélien Haaretz, répercutée par d’autres sites spécialisés dans les questions de défense et de géostratégie, comme le site électronique israélien Diplomatico.
L’article bien documenté et citant des sources fiables évoquent l’arrivée non seulement de conseillers et d’experts, mais aussi des équipements militaires israéliens au Maroc. L’envoi serait une réponse à une demande de Rabat qui cherche une aide conséquente pour faire face à son enlisement militaire au Sahara occidental, notamment au niveau de toute la bande du mur des sables, long de 2500 km.
L’armée sahraouie saura faire face aux drones utilisés par l’armée d’occupation marocaine
Dans une déclaration à l’APS, Sidi Ougal a assuré que le régime marocain avait fait appel à ses alliés après les grandes difficultés qu’il a rencontrées sur le terrain, précisant que le drone ayant ciblé dernièrement le chef de la gendarmerie sahraouie, Dah El Bendir, était un drone israélien. Le chef militaire sahraoui a été éliminé par un drone Harfang ; il y a lieu de souligner que c’est une version francisée par Airbus Defense and Space du drone israélien Héron.
Des informations obtenues par le site marocain, le Desk.ma font état d’une opération combinée menée par un drone Harfang de conception israélienne qui a pointé la cible au télémètre Laser en permettant à un chasseur d’exécuter la frappe à grande distance par un ou plusieurs tirs de missiles air-sol. Selon Sidi Ougal, le Maroc a commencé à utiliser des drones dès la reprise du conflit armé entre le Front Polisario et le royaume alaouite, le 13 novembre dernier, suite à la violation du cessez-le-feu par Rabat.
Le secrétaire général du ministère sahraoui de la Sécurité et de la Documentation, Sidi Ougal, affirmant que l’intervention française au Sahara occidental n’était pas uniquement politique, mais également militaire. La présence israélienne et française aux côtés de l’occupation marocaine prouve, dira-t-il, que le makhzen veut aller vers l’escalade au Sahara occidental. D’un autre côté, l’usage des drones est une preuve qu’il existe bien une guerre au Sahara occidental, contrairement à ce que soutient le régime marocain qui parle de «simples accrochages», signale-t-il. Commentant l’assassinat de Dah El Bendir, le responsable sahraoui a soutenu que le Maroc utilisait la méthode israélienne d’assasinats ciblés, qui consiste à éliminer les dirigeants, à l’image de ce que fait l’entité sioniste en Palestine.
«S’agissant de la question du Sahara occidental, nous déplorons les obstacles qui entravent son règlement, notamment l’arrêt des négociations entre les deux parties au conflit et les atermoiements dans la désignation d’un nouvel Envoyé onusien pour le Sahara occidental.
A cet égard, l’Algérie appelle à l’application des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, notamment l’organisation du référendum d’autodétermination au Sahara occidental, reporté depuis plus de 29 ans, la désignation dans les meilleurs délais d’un Envoyé du Secrétaire général de l’ONU, la relance du processus de nég
ociations entre les deux parties au conflit et la concrétisation des aspirations des peuples du Maghreb arabe et de l’Afrique, au développement et à l’intégration», a ainsi déclaré Tebboune.
En 2021, il est fort probable que la rivalité algéro-marocaine se renforcera davantage avec de nouvelles stratégies développées par les deux pays.
Algérie54, 24 avr 2021
Etiquettes : Maroc, Israël, normalisation, Mossad, Algérie, Sahara Occidental, Hassan II, Mohammed VI, lobby sioniste,