Avec la mort du président tchadien Idriss Déby Itno, mardi, la France perd un pilier de la lutte antiterroriste au Sahel. Alors que le Tchad est le plus grand contributeur de la force allié G5-Sahel, les spécialistes craignent que ses engagements militaires soient remis en question au moment où Paris envisage de réduire progressivement son empreinte militaire dans la région.
« La France perd un allié essentiel ». C’est avec ces mots que la ministre française des Armées, Florence Parly, a réagi à la mort du président tchadien, Idriss Déby Itno, mardi 20 avril. L’homme, qui a dirigé le pays d’une main de fer pendant trente ans, était un partenaire solide des Occidentaux, Paris en tête, dans la lutte contre le jihadisme au Sahel.
La coopération militaire entre la France et le Tchad est ancienne. L’armée française y est présente de manière quasi permanente depuis l’indépendance du pays, en 1960.
« Idriss Déby est arrivé au pouvoir avec l’aide de la France lors du coup d’État en 1990 », commence par rappeler Bruno Daroux, chroniqueur international pour France 24. « Les relations ont eu des hauts et des bas. Idriss Déby a notamment été très critiqué pour sa gouvernance, extrêmement autoritaire, au début des années 2000 », poursuit-il.
« Tout change en 2013 après la chute du colonel Kadhafi (deux ans plus tôt, NDLR). Idriss Déby était un grand connaisseur de la Libye et il a été le premier à alerter l’Occident sur les conséquences possibles sur la stabilité de la région », explique Bruno Daroux.
Le Tchad est ainsi le premier pays à soutenir la France au Sahel pour l’opération « Serval », lancée la même année pour stopper la progression des groupes jihadistes vers le sud du Mali, devenue ensuite « Barkhane ». « À partir de là, toutes les critiques qui étaient adressées à Idriss Déby sur le plan politique ont disparu », note Bruno Daroux.
Dans une zone sahélienne caractérisée par l’instabilité politique et les menaces sécuritaires, le Tchad est perçu par Paris comme un verrou de stabilité essentiel au cœur de l’Afrique.
Aujourd’hui, c’est depuis N’Djamena, la capitale du Tchad, qu’est centralisée et coordonnée la majeure partie des actions sur le terrain dans le cadre de la mission Barkhane. La capitale accueille aussi une des deux bases aériennes – la seconde se trouve à Niamey, au Niger – de l’opération.
Un pilier sécuritaire
Le Tchad est aussi l’un des piliers de la force conjointe du G5-Sahel – aussi composée de la Mauritanie, du Mali, du Burkina Faso et du Niger –, une coalition militaire qui appuie les militaires français depuis 2017. À lui seul, le pays fournit près d’un tiers des forces armées, 1 850 soldats sur les 6 000 déployés.
Alors que les armées malienne, nigérienne ou burkinabè affichent des faiblesses structurelles majeures, « on considère que l’armée tchadienne est la plus efficace et la plus professionnelle », explique par ailleurs Bruno Daroux.
Il est aussi le seul pays du G5 Sahel à avoir déployé un bataillon en dehors de ses frontières nationales, au Niger, dans la région dite des « trois frontières » réputée pour servir de refuge aux groupes jihadistes sahéliens.
« Lors du dernier sommet du G5-Sahel, dont le Tchad avait pris la présidence, Idriss Déby avait par ailleurs annoncé le déploiement de 1 200 soldats tchadiens à la frontière avec le Mali », rappelle par ailleurs Cyril Payen, chroniqueur international pour France 24. « Une requête qui était formulée depuis un moment par Paris qui voulait donner plus de pouvoirs aux armées locales. »
Outre son implication au sein du G5-Sahel, le pays fournit le deuxième plus gros contingent au sein de la Mission des Nations unies au Mali (Minusma). Une mission que Paris considère comme indispensable sur le terrain.
« Une période de flottement »
Or, ces engagements militaires tous azimuts pourraient être remis en question avec la mort du président Déby, notent les experts. La mort du président tchadien risque « d’introduire du flottement », confie à l’AFP Yvan Guichaoua, chercheur à l’université de Kent.
« Si les Tchadiens s’occupent dorénavant de leurs affaires internes car la transition ouvre la porte à des querelles de palais – aujourd’hui sous contrôle –, cela va affaiblir tous les efforts militaires là où les Tchadiens sont présents. »
Une perspective inquiétante à l’heure où Paris envisage de réduire progressivement son empreinte militaire au Sahel – 5 100 soldats français sont actuellement sur place – après huit ans de présence ininterrompue au Mali, à la faveur d’une plus grande implication des pays de la région dans leur propre sécurité.
France12, 21 avr 2021
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