Akram Kharief, spécialiste en questions de défense, à «LSA Direct» :
«Il faut une stratégie nationale pour l’industrie militaire»
Journaliste spécialiste des questions sécuritaires et de défense, Akram Kharief était, hier, l’invité de l’émission du Soir d’Algérie, «LSA Direct». Il a abordé la situation sécuritaire dans la région du Sahel, en Libye et au Mali. Comme il a parlé de l’armée algérienne, plaidant pour l’ouverture d’un débat parlementaire sur la défense nationale, et pour une stratégie nationale pour favoriser l’industrie militaire.
Karim Aimeur – Alger (Le Soir) – L’invité de «LSA Direct» a entamé son intervention par dresser un constat alarmant sur la situation sécuritaire dans la région, dont l’état de dégradation est tel que le Président du Tchad a été tué dans une attaque armée menée par un groupe venant de la Libye.
« Il y a une crise qui part du Yémen et qui se termine pratiquement au Sénégal, en passant à la fois par l’Afrique du Nord, la région sahélienne et même l’Afrique centrale, l’Afrique de l’Est et l’Afrique du Sud avec le Mozambique qui a basculé », a-t-il expliqué. À ce constat, Akram Kharief ajoute la résurgence de la crise sahraouie, avec l’incident de Guerguerat qui a mis fin au cessez-le-feu entre le Front Polisario et le Maroc.
Selon lui, la reprise des hostilités a assez mal tourné pour les Sahraouis et pour le Polisario, expliquant que le Maroc a occupé cette zone qui a été jusque-là une zone libérée. Malgré le déni marocain, le conflit se décongèle, a-t-il dit.
« Il y a une sorte de guerre froide qui est en train de s’installer, avec le harcèlement continu de la part des Sahraouis et les ripostes du Maroc. Donc on a une situation d’instabilité totale », a-t-il poursuivi. Et d’expliquer que la dernière acquisition de drones de combat turcs par le Maroc aidera le royaume dans ce conflit, notamment à faire de la reconnaissance et des frappes ciblées.
Ces drones constituent un véritable plus pour l’armée marocaine. « C’est une acquisition importante, mais pas décisive », soutient-il, tout en affirmant que l’armée sahraouie pourrait également acquérir des drones, dont l’apport est très important.
Interrogé par l’animateur de l’émission Tarek Hafid sur l’armée algérienne et la sécurisation des frontières du pays, Akram Kharief a d’abord affirmé que les missions de l’armée algérienne ont énormément changé ces dernières années.
« Jusqu’à 2012, nous étions dans un océan de tranquillité. Il n’y avait de besoin ni d’avoir des troupes ni d’avoir des équipements. Après 2012, avec les crises en Libye et au Sahel, les choses ont radicalement changé avec le besoin de sécuriser les frontières, et on s’est retrouvé avec un territoire beaucoup plus étendu à défendre, à contrôler et à surveiller », a-t-il développé, relevant que l’armée algérienne a investi aussi dans la technologie. L’orateur a souhaité l’ouverture des débats sur la défense nationale au niveau des deux Chambres du Parlement, afin de mieux comprendre les enjeux et la doctrine algérienne en la matière.
« Une armée normale, dans un pays avancé, ce qui est supposé être le cas de l’armée algérienne qui est formidable, ça devrait être un effort intellectuel au départ fait collectivement par le gouvernement, par l’armée et par les élus du peuple », a-t-il lancé. Soutenant que la défense n’est pas uniquement le rôle de l’armée, il estime nécessaire l’établissement d’un livre blanc de la défense, qui dicte les perspectives en matière de défense du pays, de politique extérieure, en matière de voisinage, d’échange économique…
« À partir de là, il devrait y avoir des mécanismes qui perpétreraient la vérification de l’application de ce livre blanc, qui prendrait 10 ans ou 20 ans. Il faudrait aussi des échéances en permanence entre l’armée, le pouvoir politique et le pouvoir législatif », a-t-il souligné, appelant à plus de transparence.
L’invité de «LSA Direct» a plaidé, en outre, pour une stratégie nationale pour favoriser l’industrie militaire.
Abordant la situation au Mali où deux importants groupes terroristes sévissent en termes militaires et en termes de gouvernance, l’orateur a affirmé que l’avenir de ce pays est incertain.
Pour lui, les autorités maliennes ne font rien pour trouver de vraies solutions à la crise, malgré le temps dont elles ont disposé et les milliards de dollars d’aides qu’elles ont reçus. Il soutient que l’Accord d’Alger constitue une base solide pour le règlement de cette crise qui n’a que trop duré.
« Il faudrait trouver un moyen d’aider le Mali sans alimenter la dialectique terroriste. Il faudrait aussi clarifier les positions de certains acteurs internationaux, notamment la France. Comme il y avait un Berlin pour la Libye, il faut qu’il y ait un autre Berlin pour le Mali avec une vraie discussion internationale et non pas un leadership français sur cette question, d’autant plus que la France est en train de souffrir militairement et politiquement, et qu’elle n’a pas compris que la solution n’est pas uniquement militaire mais qu’il y a un problème de développement avant tout, et que pour assécher le terrorisme au nord du pays, il faut aider les populations à se prendre en charge, y compris financièrement », a-t-il indiqué.
En ce qui concerne la Libye, Akram Kharief pense que les choses commencent à s’améliorer suite au consensus sur le partage du pouvoir et les prochaines élections qui seront organisées dans le pays.
Le Soir d’Algérie, 24 avr 2021
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