De nouvelles incertitudes à côté dans le Grand Sahel

Victor Angelo

En 1990, le chef rebelle tchadien Idriss Déby est revenu au pays depuis le Soudan. Il est à la tête d’une colonne d’hommes armés, composée principalement de combattants de sa région natale. Quelques jours plus tard, il prend le pouvoir à Ndjamena, avec l’approbation de François Mitterrand. Le président français connaissait la géopolitique. Il considérait le Tchad comme le nœud essentiel pour les intérêts, l’influence et la sécurité de la France et de ses États clients dans cette partie de l’Afrique. Il était donc essentiel qu’elle soit contrôlée par un homme fort, cohérent et ami de la France. Déby avait ce profil. Et les présidents français successifs ont pris l’habitude de fermer les yeux sur les violations systématiques des droits de l’homme, la corruption de haut niveau et la tribalisation du pouvoir, afin de ne pas affaiblir leur allié à Ndjamena.

Ce soutien est devenu encore plus solide lorsque Déby a décidé que ses troupes seraient, du côté africain, le bras armé dans la lutte contre les différents groupes djihadistes qui terrorisent les populations du Sahel. Son armée est devenue de loin la mieux préparée de la région. Même contre Boko Haram, les capacités du Tchad sont bien supérieures à celles du Nigeria. La mission de l’ONU au Mali (MINUSMA) a une présence tchadienne importante – 1 400 soldats, avec une posture plus offensive que la plupart des autres casques bleus. De plus, Déby venait d’envoyer une brigade supplémentaire de 1200 hommes, dans le cadre de la coopération militaire régionale connue sous le nom de G5 Sahel, dans la zone tri-frontalière particulièrement ciblée par les terroristes – le triangle où convergent le Mali, le Niger et le Burkina Faso.

Les institutions militaires des pays de la région sont structurellement faibles et maintenues dans cet état par les politiciens, qui ont davantage peur d’éventuels coups d’État que de terroristes. De tous les voisins, seul Déby, formé comme officier en France et endurci dans les campagnes du désert, était un véritable chef de guerre. Sa combativité était légendaire. En 2008, une faction rebelle est arrivée aux portes de son palais. Nicolas Sarkozy a proposé de l’exfiltrer dans un exil doré. Déby et d’autres loyalistes, dont certains sont désormais membres du Conseil militaire de transition, ont refusé, préférant se battre jusqu’au bout.

Et à la fin, ils ont vaincu les assaillants. Peu après, en tant que représentant spécial des Nations unies, j’ai discuté de cette crise avec Déby. Je retiens trois points de cette réunion. Premièrement, la reconnaissance que ses troupes ne sont ni organisées ni équipées efficacement. Deuxièmement, la décision de dépenser une bonne partie de l’argent du pétrole pour transformer leurs combattants en soldats professionnels. Troisièmement, la décision de rechercher un accord avec le Soudan d’Omar el-Béchir, comme il l’avait déjà fait avec la Libye de Kadhafi, afin que les territoires voisins ne soient pas utilisés comme bases pour lancer des rébellions. Et c’est ce qui s’est passé. Fin 2009, la différence était déjà nette. Depuis lors, ces capacités ont été consolidées. La France, les États-Unis et d’autres pays occidentaux ont fini par considérer le Tchad comme le fer de lance de la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme religieux. Les critiques de la dictature et du népotisme ont été mises au congélateur.

Mais dans ces terres d’instabilité, la vie prend de nombreux virages. Déby a clôturé son cycle cette semaine, peut-être d’une manière similaire à celle d’il y a 30 ans. Seulement cette fois, la colonne de rebelles venait de la tribu d’à côté, elle venait de Libye et le président est tombé en première ligne.

Le Tchad, l’Afrique centrale, le Sahel, la France et les Européens présents dans la région se sont fragilisés.

Plusieurs questions sont soulevées par la disparition d’Idriss Déby. Qu’est-ce qui a motivé le président Macron à le laisser sans son soutien habituel, alors qu’en 2019 il avait envoyé des combattants pour mater une rébellion similaire ? Une erreur de calcul ? Qui est derrière cette nouvelle rébellion, connue sous le nom de FACT (Front pour le changement et la concorde au Tchad) ? Quel impact cette nouvelle réalité aura-t-elle sur le conflit en République centrafricaine ? Qu’attendre du G5 Sahel et de la lutte contre le terrorisme dans cette partie de l’Afrique ? Chacune de ces questions cache de nombreuses incertitudes et préoccupations. L’avenir de la population pauvre du Tchad est le plus grand d’entre eux.

Conseiller en sécurité internationale. Ancien secrétaire général adjoint des Nations unies

Diario de noticias, 23 avr 2021

Etiquettes : Tchad, Sahel, France UE, Idriss Déby, Mali, MINUSMA, Barkhane, G5,