La vérité n’est pas toujours bonne à dire en Algérie contrairement à ce que nous enseigne le fameux adage. Du moins aux yeux des autorités qui n’apprécient pas que des actes de mauvaise ou de (non) gestion des fonctionnaires indélicats soient portés sur la place publique. Tout le monde aura suivi la vidéo virale du fameux postier qui a fait subir un mauvais quart d’heure au ministre de la Poste et des technologies de l’information, Brahim Boumzar. Avec respect et franchise, ce fonctionnaire qui en avait gros sur le cœur, tout comme ses collègues et confrères, a fait entendre des vertes et des pas mûres au ministre du secteur.
La vidéo a fait le tour d’Algérie. Tout le monde a apprécié ce discours de vérité d’un travailleur honnête qui exposait au nom de ses collègues, les problèmes structurels de la Poste au ministre. Plus encore, sa dénonciation publique des membres du syndicat UGTA qu’il a qualifiés de «complices». Ce petit moment de vérité qui a fait le buzz sur les réseaux sociaux et sur les chaînes de télévision résume à lui seul le drame algérien : la mauvaise gestion à tous les niveaux et la grande complicité des syndicalistes UGTA avec les administrations et les directions des structures, institutions et entreprises publiques en contrepartie de privilèges et de largesses en tous genres.
À côté, les intérêts des travailleurs et ceux des entreprises comptent très souvent pour du…beurre ! Nul ne se soucie du développement et de la santé financière de l’entreprise encore moins des plans de carrières des travailleurs ignorés par des syndicalistes-maisons censés défendre leurs intérêts.
Le discours de notre postier est donc un coup de gueule. Un ultime recours d’une corporation (les postiers) qui avait du mal à transmettre son message, surtout pas par… courrier. En cinq minutes, il a dit les quatre vérités au ministre, grillant ainsi la politesse au syndicat-complice et tenant l’opinion publique à témoin. Moins de 24h plus tard, quasiment tous les problèmes qu’il a exposés ont été pris en charge et les postiers ont repris leur travail. A la bonne heure ! Sauf que le pauvre postier qui croyait bien faire vient d’être suspendu de son poste jusqu’à nouvel ordre comme il l’a révélé lui-même hier dans une autre vidéo.
Il a dit s’attendre à cette sanction tant les pouvoirs publics n’aiment pas que l’incurie de l’administration et les faillites managériales soient dénoncées publiquement à fortiori devant monsieur le ministre. Eh oui! C’est hélas comme cela que les choses évoluent encore en Algérie. Plutôt que d’encourager et de soutenir les lanceurs d’alerte, les dénonceurs de corruption et autres vigiles de la République, on recourt à la vieille recette de la sanction.
Le message subliminal de ce malheureux réflexe ne souffre aucun doute : la dénonciation publique d’une mauvaise gestion d’un responsable ou d’une administration doit être bannie ! Faut-il s’étonner alors que des entreprises publiques produisent de l’échec par quantités industrielles et que des institutions et organismes publics soient non pas des modèles de performance mais de redoutables machines bureaucratiques qui écrasent des millions de citoyens…
L’Est Républicain, 19 avr 2021
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