A qui profite l’assassinat, mardi 13 avril à Bamako, de Sidi Brahim Ould Sidati, président de la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) ? Le fragile équilibre politique au Mali risque de voler en éclat au lendemain de ce crime non revendiqué. La situation sécuritaire toute aussi précaire est également hypothéquée. Il faut dire que la personnalité du défunt et son engagement en faveur des Accords d’Alger, dont il était un fervent partisan, dérangeait ceux qui espéraient l’échec de ces accords afin de maintenir ad vitam aeternam leur présence militaire au Mali et dans la région, à la faveur de l’opération Barkhan et du G5 Sahel. Il faut dire que la France avait tout intérêt à faire taire une voix qui ne cadrait pas avec ses desseins pour la région.
«L’assassinat de Ould Sidati est un coup dur pour le gouvernement de transition. Il était l’une des pièces maîtresses du processus de paix», affirme un diplomate malien qui s’exprimait sous le sceau de l’anonymat. Ce dernier craint que la disparition du chef de la CMA ne vienne encore retarder la mise en œuvre de l’accord.
Et si les condamnations de ce crime se suivent d’Alger à New York, tous font automatiquement le lien entre feu Ould Sidati et la concrétisation des Accords d’Alger. Pour Mahamat Saleh Annadif, représentant spécial de l’ONU pour l’Afrique de l’Ouest, le défunt, «homme de consensus», «faisait partie de ceux qui croient et œuvrent réellement pour la paix et l’unité du Mali» conformément aux Accords d’Alger. Pour l’ex-chef de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), «Au sein des mouvements signataires de l’accord d’Alger, Ould Sidati était toujours à la recherche du consensus pour rendre le processus de paix irréversible», a-t-il ajouté.
Selon Jean Ntole Kazadi, conseiller spécial du Centre Carter, l’observateur indépendant du processus de paix malien, « il n’y a pas d’alternative à ce texte (les Accords d’Alger, ndlr). Ould Sidati, lui, le défendait. C’était un homme de dialogue, qui discutait franchement avec le gouvernement ainsi qu’avec tous les autres mouvements armés».
Dialoguer, discuter mais pas se compromettre, tel a était le crédo du désormais ex-chef du CMA. D’ailleurs, l’homme a été assassiné à la sortie d’une mosquée de la capitale malienne, quelques heures avant sa rencontre avec le chef du gouvernement de transition. Au menu, des discussions sur les réformes à conduire au Mali. «Ould Sidati ne trempait pas dans ces histoires (compromission avec les terroristes, ndlr). Pour lui, la seule manière de vaincre les terroristes était de mettre en œuvre ce texte (les Accords d’Alger, ndlr)», assure une source onusienne.
Mais pour répondre à la question de départ, il faut dresser le tableau de la situation nationale propre au Mali, puis plus globale, la situation dans la région. La disparition violente de Ould Sidati intervient, en effet, quelques semaines après le sommet de la 42e session du comité de suivi de l’accord de paix d’Alger, tenu le 11 février pour la première fois à Kidal, dans le nord du Mali, regroupant toutes les parties en conflit dans ce pays sous la présidence du ministre des Affaires étrangères, Sabri Boukadoum.
Barkhane dans le coma
Au niveau régional, et lors d’une réunion à Abuja au Nigéria avec son homologue nigérian, Boukadoum avait évoqué la réactivation du gazoduc Lagos-Alger, un moment parasité par le Maroc qui voulait faire aboutir un gazoduc sous-marin du Nigéria vers Tanger en passant par le Sahara occidental occupé. Au Niger voisin, la donne a elle aussi changée à la faveur de l’élection de Mohamed Bazoum à la présidence de ce pays sahélien et surtout l’échec de la tentative de son renversement par certains militaires qui avaient refusé de voir un Arabe élu président du Niger.
S’ajoute à cela l’échec patent de l’opération Barkhane et les tentatives de la France d’entrainer de nouveaux acteurs dans la région du Sahel, notamment l’Algérie et le Maroc, la première afin de la contourner, le second à sa demande afin d’affirmer sa prétendue appartenance à l’espace sahélien.
Lors de son passage à Alger, le 8 avril, le chef d’état-major des armées françaises s’est fait rappeler par le chef d’état-major de l’armée algérienne, Saïd Chanegriha, que «l’Algérie considérait que la stabilité et la sécurité de son voisinage étaient directement liées à sa sécurité». «À cet effet, l’Algérie n’a pas lésiné sur les initiatives et le soutien en direction de ses voisins pour coordonner les efforts sur la base d’une vision commune à travers le mécanisme du Comité d’état-major opérationnel conjoint (CEMOC)», a-t-il ajouté. Entre les lignes, le message de l’Algérie est clair : pas de compromission dans quelque structure que ce soit qui serait parrainé par des puissances extérieures à la région, la France en premier lieu.
D’autant plus que Paris s’est distingué depuis de longues années dans le paiement des rançons aux groupes terroristes dans le Sahel en échange de la libération de ses ressortissants. La dernière en date, celle du début octobre au Mali. Le montage financier a été élaboré par des parties étrangères pour la libération d’otages européens notamment français. Ce qui a fait dire à Hassan Kacimi, expert international spécialiste des menaces au Sahel et des flux migratoires que «la libération de plus de deux cents (200) terroristes en échange de la libération de trois (3) otages européens est une forme de financement du terrorisme dans la région du Sahel et constitue une violation flagrante des conventions internationales». Avant d’ajouter, que «ce n’est pas la première fois que la France agit de la sorte. Elle a déjà payé par le passé près de 60 millions d’euros pour la libération de ses otages».
D’ailleurs, dans le cadre d’une opération antiterroriste menée à Jijel fin décembre 2020, l’armée algérienne a annoncé avoir récupéré la première tranche de versement de la rançon versée par la France. «Lors d’une opération de recherche et de ratissage, l’armée a découvert et détruit cinq casemates pour terroristes et a récupéré la somme de 80.000 euros», est-il indiqué dans un communiqué du MDN. La somme «s’est avérée être la première tranche de la rançon, objet du marché conclu au Sahel le mois d’octobre passé, et supposée être versée au profit des résidus des groupes terroristes traqués par les services de sécurité algériens».
C’est dire que Paris ne rate aucune occasion pour fragiliser la position de l’Algérie en interne comme dans son voisinage. Et l’assassinat de Ould Sidati pourrait s’inscrire dans la même démarche étant donné que le défunt défendait bec et ongle l’application des Accords d’Alger. Côté français, la disparition du chef de l’Azawad, issu de la tribu des Barabiche pourrait être une aubaine dans le sens du déclencheur d’une instabilité chronique au Mali, question de le maintenir sous l’escarcelle de la France et de l’éloigner de ses alliés naturels, l’Algérie, la Chine et la Russie.
Le Jeune Indépendant, 19 avr 2021
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