Sahel : « le tout militaire n’est pas efficace »

Selon Abdoulaye Seydou, président du réseau panafricain pour la paix, la démocratie et le développement basé au Niger (REPPAD), les pays du G5 Sahel et leurs partenaires internationaux doivent s’engager dans une nouvelle approche. Son réseau est cosignataire d’un rapport publié par la coalition citoyenne pour le Sahel.

Une réorientation radicale de la stratégie actuelle basée sur le tout militaire. C’est la nouvelle approche que recommande la coalition citoyenne pour le Sahel. Cette alliance d’une cinquantaine d’ONG sahéliennes et internationales a publié mardi le rapport « Sahel : Ce qui doit changer – Pour une nouvelle approche centrée sur les besoins des populations ». Reliou Koubakin a interrogé, Abdoulaye Seydou. Il est le président du réseau panafricain pour la paix, la démocratie et le développement basé au Niger (REPPAD), cosignataire de ce rapport. Entretien…

DW : Monsieur Seydou, bonjour.

Abdoulaye Seydou : Bonjour.

DW : Vous dites que plus de 2.400 personnes ont été tuées en 2020. Vous notez aussi une augmentation de 60 % des personnes qui ont besoin d’aide humanitaire. Peut-on faire un parallèle entre cette augmentation du nombre de morts et le tout militaire ?

Abdoulaye Seydou : La réponse du tout militaire mise en place n’empêche pas que les populations aujourd’hui soient tuées par centaines, y compris dans des zones dites militaires. Donc, aujourd’hui, on remarque que la stratégie du tout militaire, malheureusement, ne fait qu’exacerber les positions et malheureusement n’arrive non seulement pas à endiguer le conflit, mais elle ne met pas aussi les populations au cœur de la réponse, c’est-à-dire que les populations aujourd’hui ne sont pas protégées de manière efficace par la réponse donnée au Sahel que ce soit par les Etats ou que ce soit aussi avec leurs partenaires.

DW : Pourquoi cette approche a-t-elle été privilégiée depuis une décennie maintenant, notamment depuis le début du conflit dans le nord du Mali en 2012 ?

Abdoulaye Seydou : Les organisations de la société civile ont été mises à l’écart de la réponse. C’est beaucoup plus les Etats et leurs partenaires qui ont pensé à des solutions et qui les ont mises en œuvre. Nous sommes dans une sorte de guerre asymétrique où l’ennemi n’est pas forcément visible et on ne sait pas d’où il peut sortir et quand. Dans ce contexte, une réponse du tout militaire n’est pas efficace.

DW : Vous préconisez les discussions avec les groupes djihadistes. Les pays comme le Mali et le Burkina Faso ont commencé à indiquer qu’il faut justement négocier avec les djihadistes. Comment déjà à répertorier ces groupes ? Et puis, est-ce que cela doit se faire dans chaque pays où c’est au niveau du G5 Sahel ?

Abdoulaye Seydou : Il faut réfléchir à une stratégie politique de dialogue, véritablement entre les Etats et les groupes qui peuvent être susceptibles à cet état de fait. C’est une crise sous-régionale. Donc, c’est une solution globale. C’est vraiment un dialogue qui doit inclure l’ensemble des parties prenantes non seulement à l’intérieur des Etats, mais aussi au-delà, entre les pays. Les gens viennent, ils commettent des forfaits au Niger et ils trouvent et filent pour aller s’implanter au Mali et vice versa. De toutes les façons, le dialogue est une solution incontournable au retour d’une paix durable au Sahel.

DW : Régulièrement, le Niger indique que les terroristes ne sont pas des nationaux. Comment des discussions peuvent-elles être menées alors dans ce sens ?

Abdoulaye Seydou : Ils viennent pour commettre des exactions au Niger. Et certains sont des Nigériens et juste des complices. Donc quand il y a des complicités, cela veut dire qu’il faut travailler à ce que ces complicités cessent.

DW : Dans la lutte contre le terrorisme, les civils ont été tués plus par les forces de sécurité que les djihadistes. Vous citez l’exemple du Mali en 2020.

Abdoulaye Seydou : Ce sont des données qui sont là malheureusement. C’est vrai, cela est relatif d’un pays à l’autre. Nous avons des exactions importantes commises au Burkina Faso et au Niger par des éléments des forces de défense et de sécurité. Et le pire, c’est le fait que ces cas de violations des droits de l’homme restent impunis. Cela n’honore pas les forces de défense et de sécurité des pays du G5 Sahel et ne contribue pas à l’efficacité de la lutte qu’elles mènent parce que tout simplement cela constitue un obstacle et un frein à l’instauration d’un climat de confiance entre les forces et les populations qui ne peuvent pas qui ne peuvent pas collaborer si elles n’ont pas confiance.

DW : Votre rapport insiste aussi sur la crise de gouvernance des Etats qui, par ailleurs, ne sont pas administrativement présents sur tout le territoire. C’est cela aussi une solution majeure pour protéger les civils.

Abdoulaye Seydou : Bien sûr, parce qu’aujourd’hui, quand vous regardez la crise, elle est beaucoup plus grave au niveau des zones transfrontalières, au niveau des zones où l’Etat n’est pas présent, a une présence limitée ou quasiment absente du point de vue infrastructure sociale, du point de vue infrastructure économique, du point de vue opportunités d’emplois aux jeunes. Mais l’Etat est aussi faiblement représenté, présent, du point de vue militaire. Ce qui fait en sorte que ces populations sont aujourd’hui exposées à des cas de représailles.

DW : Est-ce que la réorientation radicale de la stratégie actuelle passe aussi par la sensibilisation ? Radio Jeunesse Sahel va être lancée pour lutter contre l’extrémisme violent.

Abdoulaye Seydou : Aujourd’hui, il est extrêmement important de travailler dans le sens à réduire le fossé qui existe entre les communautés et les forces de défense et de sécurité. Donc une radio qui va travailler dans le sens de sensibiliser, de promouvoir les droits de l’homme, de rapprocher les communautés, je pense que c’est important. La sensibilisation est un moyen essentiel.

DW : Est-ce que les partenaires internationaux doivent de plus en plus prôner cette nouvelle approche, à savoir renoncer au tout militaire ?

Abdoulaye Seydou : Ce que nous prônons n’est pas méconnu par les acteurs et les décideurs. Mais c’est dans les faits qu’on ne prend pas suffisamment en compte. Aujourd’hui, la réponse du tout militaire sans prendre en compte les besoins humanitaires et donner une réponse efficace à cela, ce n’est pas soutenable. Donc, pour nous, en principe, cela ne devrait pas constituer un obstacle auprès des partenaires si tant est qu’ils sont engagés pour la recherche de la paix et une paix durable au Sahel.

DW : Monsieur Seydou, merci à vous.

Abdoulaye Seydou : Merci également.

DW.COM, 14 avr 2021

Etiquettes : Sahel, Mali, Niger, Burkina Faso,