Le Fonds des Nations Unies pour la Population (FNUAP) a publié, mercredi 14 avril, son rapport annuel sous l’intitulé « Mon corps m’appartient : revendiquer le droit à l’autonomie et à l’autodétermination ». Un rapport sur lequel plusieurs ONG et des activistes comptent s’appuyer dans leur lutte pour le droit des femmes dans le monde, en particulier sur le continent africain.
Une iconographie moderne et parlante, un titre « osé », venant d’un organisme onusien… Pas de doute, le Fonds des Nations Unies pour la Population veut toucher le plus de monde en publiant son rapport 2021 : « Mon corps m’appartient : revendiquer le droit à l’autonomie et à l’autodétermination ».
C’est un positionnement autant qu’une évolution sur la question de la part de l’ONU, qui révèle via un communiqué : « C’est la première fois qu’un rapport des Nations Unies est consacré à l’autonomie corporelle, c’est-à-dire au pouvoir et à la liberté des femmes de faire des choix concernant leur corps, sans avoir à craindre des violences et sans que des tiers décident à leur place ».
« Mali, Sénégal et Niger, de »mauvais élèves » »
Ce rapport de 164 pages, basé sur une enquête réalisée dans 57 pays en développement, dont 35 pays africains, révèle entre autres que « seuls 55% des femmes sont pleinement en mesure de faire des choix en matière de santé et de contraception, et d’accepter ou de refuser d’avoir un rapport sexuel. » Il pointe du doigt également qu’au-delà des préjudices qu’il fait subir aux femmes et aux filles concernées, « le manque d’autonomie corporelle peut faire baisser la productivité économique, mettre à mal la mobilisation des compétences et engendrer des coûts supplémentaires pour les systèmes judiciaires et de santé ».
Car la question féministe n’est pas celle qui occupe le plus l’agenda de beaucoup d’États dans le monde en particulier en Afrique. Dans l’Ouest de ce continent, par exemple, beaucoup de pays sont en retard sur cette question. Le constat est implacable: il y a trois pays de cette zone, le Mali, le Sénégal et le Niger, aux trois dernières places du classement quand on cumule les trois indicateurs d’une partie de l’étude : la capacité de décision en matière de santé, de contraception, et de relations sexuelles.
« Une question de volonté des décideurs »
L’activiste béninoise Irmine Fleury Ayihounton, membre du Réseau des Jeunes Féministes d’Afrique de l’Ouest, n’est pas surprise par ce classement. « L’Afrique de l’Ouest est la région du monde qui connaît le plus grand taux de mortalité dues aux avortements non sécurisés. Pourtant, tous ces pays participent aux grandes réunions, aux instances de décisions et sont engagés normalement dans la promotion de l’égalité. »
Et même si les pays ouest-africains sont étiquetés « en voie de développement », dans le rapport, il est démontré que « l’existence de lois et de réglementations propices à la santé sexuelle et reproductive ne dépend pas du niveau de revenu d’un pays ». Intégrer la question de l’autonomie et de l’autodétermination des femmes est lié à « une volonté politique, aux priorités d’un gouvernement, estime Irmine Fleury Ayihounton. Si le gouvernement a pour priorité d’améliorer les conditions de vie des femmes, et il trouvera les moyens. Dans les pays d’Afrique de l’Ouest, il y a une question de volonté des décideurs. »
Une certitude, du côté de l’ONU, la problèmatique est mieux prise en compte. Lucie Daniel, experte plaidoyer et membre de l’ONG Equipop (Equilibres & Populations) confirme ainsi le tournant pris par l’instance onusienne sur la façon dont elle appréhende ces questions de la liberté des femmes avec leur corps. « Pendant longtemps, les questions liées à la santé sexuelle et reproductive ont été appréhendées surtout à travers la problématique de la santé maternelle avec une visée un peu démographique dans les années 90. Avec l’idée aussi qu’il fallait agir sur les taux de fécondité et les dynamiques démographiques, analyse l’experte. Avec ce rapport, on entérine le fait qu’on est passé sur une approche beaucoup plus basée sur les droits. La liberté à disposer de son corps est un droit notamment pour les femmes et les adolescentes ».
L’obstacle ‘’Hshouma’’ au Maroc
En Afrique du Nord, au Maroc plus précisément, Zainab Fasaki, Bdéiste et activiste féministe ne nie pas les progrès de la part du royaume chérifien même si le chemin est encore long. « J’ai travaillé sur un projet qui concernait l’immigration de femmes africaines victimes de mutilations génitales et qui étaient reçues au Maroc. Quand, je vois le gouvernement de mon pays accueillir, aider ces femmes-là et montrer son opposition à ces crimes-là, c’est un énorme espoir envoyé aux femmes marocaines ».
Pour autant, l’autonomie et de l’autodétermination des femmes à disposer de leur corps ne sont encore acquises au Maroc, tellement les obstacles sont légion. « On n’a toujours pas le droit à l’IVG (interruption volontaire de grossesse), il y a des lois qui pénalisent la sexualité hors mariage, ou les orientations sexuelles. Et au-delà de l’aspect juridique, la culture du ‘’Hshouma’’ (honte en dialecte marocain) ne contribue pas à la libération de la femme, explique l’artiste. Déjà, la femme est ‘’Hshouma’’ au Maroc, de par son corps, sa sexualité, etc. A cela s’ajoute également le poids de la religion qui joue un rôle dans le contrôle des femmes ».
(Re)voir : Zainab Fasiki, la dessinatrice des tabous
Zainab Fasaki, qui se réclame issue de la troisième vague de féministes radicales, garde tout de même espoir que le rapport qui émane de l’ONU soit un accélérateur ou un « moyen de pression » pour faire changer les choses dans son pays.
Pour l’activiste marocaine et pour les associations féministes ce rapport est donc en quelque sorte le bienvenu. « Ce rapport du FNUAP est une traduction un peu plus institutionnelle, normative de combats féministes qui sont menés depuis toujours par les associations, reconnait Lucie Daniel. Nous avons l’espoir que cela va pousser les États à aller de plus en plus vers des approches féministes. »
TV5 Monde, 17 avr 2021
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