Selon le média en ligne, Africa Intelligence, les Forces armées royales marocaines ont récemment passé une commande de drones armés turcs. Une commande, qui intervient alors que certains faits d’actualité laissent penser à une hausse des tensions dans la région du Sahara occidental. Mais le Maroc veut aussi répondre à des obligations opérationnelles, notamment liées à l’accroissement de sa coopération avec les puissances occidentales.
Le royaume du Maroc a, récemment, passé une commande de drones auprès de la Turquie. Les Forces armées royales devraient pouvoir, prochainement, se doter d’une flotte de douze drones armés de type Bayraktar TB-2, fabriqués par la compagnie turque Baykar, dirigée par Selçuk Bayraktar, gendre du président Recep Tayyip Erdogan.
L’exemple de la guerre du Haut-Karabakh
Si les Marocains ont jeté leur dévolu sur des drones turcs, ça n’est en aucun cas pour une raison idéologique ou géostratégique, selon Emmanuel Dupuy. Pour cet expert et président de l’Institut de Prospective et Sécurité en Europe (IPSE), la raison est très simple : « les Turcs sont les meilleurs ».
En témoigne l’usage de ces drones, par les forces azerbaïdjanaises, conseillées et équipées par leur allié turc, dans le conflit qui les opposait à l’artillerie arménienne, dans le Haut-Karabakh. « Les Turcs ont l’avantage d’avoir prouvé, via ce conflit, l’efficacité de leurs drones. Ça a été un extraordinaire accélérateur de la capacité militaire turque », affirme Emmanuel Dupuy. Il ajoute : « C’est la raison pour laquelle des pays qui n’ont pas d’appétence particulière pour la Turquie, comme l’Ukraine, envisagent de leur acheter un certain nombre de drones ».
Ces drones permettront au Maroc de bénéficier d’un outil de pointe, qui pourrait faire la différence lors d’un éventuel conflit armé et s’inscrit dans une « dronisation » de plus en plus en importante en Afrique. Certains craignent que cela s’inscrive dans une volonté de se débarrasser, dans le silence, du Front Polisario.
Y a-t-il un lien avec les tensions au Sahara occidental ?
Pour Emmanuel Dupuy, « il ne faut pas faire de lien entre la mort d’Addah Al-Bendir », chef de la gendarmerie du Polisario, qui aurait été éliminé le 7 avril lors d’une attaque, et l’acquisition des drones turcs. D’ailleurs, plusieurs hypothèses s’affrontent. L’utilisation, inédite, d’un drone pour frapper ce responsable du Front Polisario, n’est pas avérée, même si c’est la version qu’avancent les indépendantistes sahraouis, selon nos confrères de l’AFP. D’autres parlent également d’un possible recours à un drone de surveillance, précédent une frappe.
Si l’usage d’un drone « est difficile à démontrer », l’ampleur de l’opération menée est « une première depuis le cessez-le-feu » signé en 1991 sous l’égide des Nations unies, estime le politologue marocain Mohamed Chiker, spécialiste des Forces armées marocaines (FAR), joint par nos confrères de l’AFP.
À l’inverse, Emmanuel Dupuy estime qu' »il n’y a pas de recrudescence des tensions au Sahara occidental ». « Il y a surtout une tentative de médiatisation de frictions », ajoute-t-il. Pour lui, cela explique la stratégie marocaine qui consiste « à très peu, voire à ne pas communiquer sur les différentes opérations qui peuvent se dérouler sur zone, afin de ne pas rentrer dans une escalade dans la guerre des mots ».
Le Maroc s’équipe, à l’instar d’autres pays d’Afrique du Nord et de l’Ouest qui se sont dotés de drones : « Il n’y avait pas de drones en 2016, mais en 2021, quasiment tous les pays en disposent dans la région », précise Emmanuel Dupuy. Pour le spécialiste, ces acquisitions laissent entrevoir une « dronisation plus importante, encore, des pays africains, qui font, pour une grande partie d’entre eux, face à des groupes terroristes », mais aussi, de nouvelles formes de stratégies de guerre.
Objectif : contenir la menace terroriste sahélienne ?
Pour Emmanuel Dupuy, cet achat de drones par le Maroc s’explique davantage par le renforcement de coopération avec la France, dans le but de contenir la menace djihadiste qui pourrait venir du Sahel, où la situation se détériore, que par une volonté de se débarrasser du Front Polisario : « L’Algérie, par exemple, grâce à la réforme de sa Constitution, en novembre 2020, peut désormais intervenir en dehors du territoire national, dans le cadre de mandats internationaux. Le Maroc doit également être prêt à le faire », ajoute Emmanuel Dupuy.
Par ailleurs, selon ce spécialiste, si des drones, probablement israéliens, ont pu être utilisés par le royaume, « cela s’inscrit pleinement dans la normalisation des relations entre le Maroc et Israël », annoncée le 10 décembre dernier, par Donald Trump, alors président des États-Unis.
Des informations reprises par la presse marocaine ont fait état fin 2020 de la livraison de trois drones Harfang mais aussi de la commande de drones israéliens Bluebird et américains MQ-9B SkyGuardian –apparemment non livrés à ce jour.
« Officiellement, le Maroc ne dispose pas de drones armés », mais il « possède une panoplie de drones non armés à la pointe de la technologie », a assuré l’expert militaire marocain, Abdelhamid Harifi, à l’AFP.
Via ces acquisitions de drones, le Maroc répondrait également à un besoin, lié à son partenariat stratégique privilégié avec l’OTAN : « Les Marocains répondent à une obligation opérationnelle, dans le cadre d’une plus forte coopération avec l’OTAN », selon Emmanuel Dupuy. Il ajoute : « Cette dronisation n’est pas liée à un conflit mais à un état d’esprit, à une philosophie, qui consiste à mener des opérations de contre-insurrection ou de lutte contre les groupes armés, en exposant le moins possible les hommes ».
Pour le spécialiste, les drones offrent l’avantage de permettre une sous-traitance des opérations et d’impliquer au minimum la vie des troupes armées.
TV5 Monde, 18 avr 2021
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