Avec la mise au point en un temps record du vaccin contre le coronavirus, l’odyssée vaccinale de l’humanité continue n’en déplaise aux vaccino-sceptiques, aux fatalistes et aux obscurantistes. Ces derniers font, en Tunisie, des campagnes sournoises, essentiellement dans les quartiers populaires et dans les zones rurales pour dissuader les citoyens de se faire vacciner. Ils arguent tantôt de l’absence de cabines pour la vaccination, oubliant qu’on ne meurt pas d’avoir dénudé son bras mais qu’on peut mourir de la covid-19, tantôt de la prétendue nocivité des vaccins (je préfère mourir de la covid-19 que d’avoir été vacciné, ressassent-ils à qui veut les entendre). Ce faisant, les fanatiques exploitent l’illettrisme et le manque d’instruction de plusieurs groupes de la population qui refusent le vaccin parce qu’ils en ignorent l’importance. Ils profitent aussi de l’absence d’une campagne efficace pour contrer leur propagande néfaste destinée à rallier plusieurs groupes à leur rejet de la vaccination. Leurs allégations vont jusqu’à prétendre que la vaccination fait rompre le jeûne.
Information laconique et signalétique nulle
N’en déplaise à tous les détracteurs et à tous les empêcheurs de tourner en rond, j’ai répondu à l’appel dès que j’ai pu décrocher le précieux sésame de la vaccination. La plate-forme Evax m’a envoyé, le samedi 10 avril, sur mon téléphone portable un message m’enjoignant de me présenter le lendemain à 14h30 au « Centre médico-scolaire de la Manouba, à Sidi Amor », un quartier de la Manouba, pour l’inoculation de la première dose du vaccin. Je n’avais que cette indication sommaire pour rejoindre le vaccinodrome. Pourtant, un petit effort aurait permis à l’expéditeur du message d’indiquer l’adresse exacte du Centre régional de médecine scolaire et universitaire ainsi que la station de métro la plus proche pour une localisation rapide des lieux et pour faciliter leur repérage par les usagers du transport public .
Le repérage du Centre est d’autant plus problématique qu’aucun panneau de direction n’indique le chemin qui y mène. Avançant un peu à l’aveuglette dans le quartier de Sidi Amor, mon accompagnatrice a fini par repérer la rue où le centre est situé sans aucune signalisation extérieure et sans plaque de rue. Mon repérage des lieux et mes recherches sur Google Maps m’ont permis d’apprendre qu’il s’agissait de la rue de Moknine et que ce centre de vaccination était limitrophe de la station de métro de la ligne 4, Aboubakr Errazi, ce qui n’aurait pas échappé à l’expéditeur de mon message s’il avait fait preuve de la rigueur requise.
Foule, pagaille et attente insupportable à l’extérieur
L’encombrement aussi bien dans la rue de Moknine que dans le parking du Centre augurait d’une longue attente. Elle a été d’ailleurs mal vécue, la semaine dernière, par plusieurs de nos connaissances plus que septuagénaires, obligées d’attendre leur tour, souvent debout, et qui ont, parfois, pâti des mauvaises conditions atmosphériques.
Mes craintes ont été confirmées. Arrivé à 14h30 précises, heure du rendez-vous, je ne suis rentré chez moi qu’au bout de trois heures environ à cause de l’attente qui a duré deux heures et demie environ et de l’opération de vaccination d’une durée d’une demi-heure à peu près). C’est là où le bât blesse même si l’organisation était bonne dans l’ensemble et que le personnel du centre est à féliciter pour tous ses efforts en vue d’offrir des conditions optimales pour une vaccination conforme aux normes.
Dans l’enceinte du Centre, malgré l’aire de stationnement archicomble, certains candidats à la vaccination pressés et désireux de se faire rapidement vacciner, n’ont pas hésité à bloquer les automobiles des premiers arrivés en stationnant derrière elles. D’autres, peu soucieux de la distanciation physique, s’étaient agglutinés devant l’entrée du bâtiment dédié à la vaccination, dans l’attente de leur tour ou du précieux bon d’accès aux salles de vaccination et dans un mépris total des mesures barrières. Une barrière amovible flexible en forme de trapèze ferme l’accès à cette entrée et les citoyens, dont le tour est arrivé, sont obligés de déplacer légèrement, l’un des côtés de la barrière, pour pouvoir se faufiler à l’intérieur du vaccinodrome .
Pourtant, rien ne justifiait cette promiscuité puisque le parc qui entoure le bâtiment dédié à la vaccination est très spacieux. Les organisateurs y avaient installé deux grandes tentes destinées à abriter des intempéries les citoyens qui attendent leur tour, mais insuffisantes pour ce faire. Ils ont mis également à la disposition de ces derniers des chaises dont le nombre est nettement inférieur à celui des candidats à la vaccination mais qui ne sont pas toujours utilisés parce que ces derniers, fébriles préfèrent attendre, debout, le sésame pour l’accès au vaccinodrome.
Un personnel médical et paramédical dévoué, mal considéré et affecté, en partie, à des tâches inadéquates
C’est un médecin – nous l’avons su parce qu’il a décliné sa profession sans doute dans l’espoir que le respect dû à la profession contribuera à contenir l’agitation des personnes agglutinées devant la barrière précitée – qui distribue les sésames et qui autorise l’accès au vaccinodrome pour ceux dont le tour est arrivé. J’ai beaucoup apprécié son sang-froid devant des citoyens qui lui ont souvent donné du fil à retordre n’hésitant pas à râler sans justification aucune et, revenant à la charge pour reposer des questions auxquelles le médecin avait , me semble-t-il, donné des réponses satisfaisantes. C’est ainsi qu’un citoyen, qui vient d’avoir la covid-19 et qui a vu sa vaccination reportée de 6 mois, l’a harcelé pour exiger sur le champ un nouveau rendez-vous. Le médecin a beau lui expliquer que personne dans le centre n’était habilité à lui fixer ce rendez-vous, il est monté sur ses grands chevaux et regretté d’avoir dit la vérité au sujet de sa contamination par le coronavirus.
Il n’y avait donc pour gérer la file d’attente ni distributeur de tickets, ni afficheur indiquant le numéro appelé, ni mégaphone appelant le candidat dont le tour est arrivé. Le médecin préposé à l’organisation des entrées distribuait en guise de tickets d’attente de petits cartons bleus numérotés au nombre de 100. Il les reprenait chaque fois qu’un candidat accédait à la vaccination. Une fois la centaine épuisée, il les redistribuait de nouveau. Lorsque je suis arrivé, 350 personnes avaient été vaccinées et j’étais le 116ème dans la file d’attente. Avec 34 tickets supplémentaires, le nombre des 500 tickets distribués, qui équivaut à la capacité vaccinale journalière du Centre, était atteint alors que les citoyens convoqués après 14 h30 n’étaient pas encore arrivés. Les organisateurs ont d’ailleurs dû distribuer des tickets de couleur rouge et reporter pour le lendemain le rendez-vous des personnes convoquées à 16h30 en raison du dépassement de la capacité d’accueil du Centre. Un citoyen ayant obtenu un rendez-vous à 16h30, frustré et en colère, a juré ses grand dieux qu’il ne reviendrait plus.
Je fus appelé vers 17h à accéder avec une dizaine de personnes au bâtiment réservé à la vaccination où j’ai beaucoup apprécié le professionnalisme de l’équipe en charge de l’organisation et le déroulement presque parfait de toutes les étapes de la vaccination dont j’ai estimé la durée à une demi-heure environ. Accueillis dans le hall d’accès, nous sommes pris en charge, à tour de rôle par des infirmières affables. La première vérifie notre identité et, sur nos téléphones portables, l
a date et l’heure du rendez-vous. La seconde s’assure, à la faveur d’un entretien médical, de l’absence de contre-indications à la vaccination (antécédents d’allergies sévères, prise d’anticoagulants, accès de fièvre signes d’une infection, contamination par le coronavirus). Nous accédons ensuite à une salle d’attente (la salle n°5) meublée de 7 chaises, disposés de manière à assurer la distanciation physique, puis à l’une des quatre salles de vaccination dont dispose le Centre et qui accueille, elle aussi 7 personnes appelées à respecter les mesures barrières, si bien qu’il y a, à peu près au même moment, dans l’ensemble des salles de vaccination, 28 personnes . Une infirmière inscrit nos numéros de téléphone tandis qu’une autre se charge de préparer, dans une autre salle, le matériel nécessaire pour une injection intramusculaire, les doses de vaccin nécessaires et d’inscrire le numéro d’identification du vacciné et le numéro de lot du vaccin. Cette étape, qui s’achève par l’inoculation vaccinale, dure environ un quart d’heure. Pendant la dernière étape, nous sommes tenus de ne pas quitter la salle de vaccination pour permettre aux médecins qui supervisent l’opération de s’assurer que ne faisons pas de réactions allergiques. Je demande à l’agent de santé qui m’a inoculé le vaccin le numéro du lot pour que je puisse le transmettre immédiatement en cas de problème. Surpris, il m’assure que tout se fait dans les règles de l’art. Sur mon insistance, il me l’inscrit gentiment sur un bout de papier.
Je reçois presqu’en même temps que tous les vaccinés de mon groupe, avant la fin du contrôle, un sms certifiant que j’ai reçu la première dose du vaccin Pfizer et que je serai convoqué prochainement pour l’inoculation de la deuxième dose. Nous quittons le centre par la porte de derrière du bâtiment pour éviter de croiser le groupe des personnes qui attendent la vaccination dans le petit hall du Centre.
Les carences déplorables à rattraper sans grand effort
Tout aurait été parfait sans certaines erreurs et en premier lieu la faute relative au non respect des règles d’hygiène. Nous n’avons pas eu droit à la désinfection de la zone de la peau à l’endroit de la piqûre vaccinale. Quand j’ai demandé à l’infirmière la raison de cette entorse, elle m’a pris pour un canard sauvage, arguant que le protocole de la vaccination interdit l’utilisation simultanée d’un désinfectant et du vaccin qui serait, de son point de vue préjudiciable à l’efficacité vaccinale (sic !).
Le travail des agents de santé aurait été plus rentable si le contrôle de la vaccination avait été effectué ailleurs que dans les salles de vaccination. Actuellement pendant les 15-20 minutes où le vacciné reste sous observation, le personnel médical chôme. On gagnerait à observer les vaccinés dans une autre salle ou, à défaut, à installer dans le parc des tentes pour ce faire pour que les agents qui vaccinent puissent travailler en continu. On doublerait par là même ou presque la capacité vaccinale journalière comme cela se fait dans de nombreux pays européens.
Il ne faut également pas passer sous silence d’autres ratés au niveau de l’organisation, comme le nombre insuffisant de chaises et de tentes. L’entretien médical doit être effectué par un médecin et non pas par un(e) infirmier(e) et certaines tâches ne me semblent pas relever de la mission d’un médecin ni même d’un infirmier (distribuer des numéros, vérifier l’identité. Un(e) secrétaire médical(e) suffirait. Le pays manque de médecins et d’infirmiers et il doit les employer aux tâches pour lesquelles ils ont été formés.
Le ministère de la santé, continuellement habitué à se disculper et enclin à faire assumer la responsabilité de sa mauvaise gestion aux citoyens, n’a pas dérogé à la règle pendant la campagne de vaccination. Dans un communiqué récent, il a imputé la longue attente observée dans les centres de vaccination à l’indiscipline des citoyens qui manquent leurs rendez-vous et qui encombrent les centres au cours des jours suivants. Il est très aisé de réfuter ces accusations. On peut d’abord reporter les rendez-vous sans surcharger les centres. En sachant que le centre peut vacciner dans ses 4 salles 28 personnes en une demi-heure, un simple calcul nous indique une capacité vaccinale de 450 personnes environ dans une journée de 8 heures pour lesquelles l’attente sera très réduite. Comment expliquer alors l’énorme décalage entre l’heure du rendez-vous et l’heure de la vaccination ? Comment justifier que la vaccination de plusieurs citoyens convoqués et qui viennent au rendez-vous soit reportée ? Une hypothèse très plausible : le nombre des convoqués est de loin supérieur à la capacité vaccinale : le ministère de la santé, tenu de veiller au respect scrupuleux des consignes de stockage et de réfrigération, décide de dépasser la capacité d’accueil pour anticiper le risque de gaspiller plusieurs doses de vaccin au cas où il y aurait de nombreux défaillants.
La vaccination dans les 24 centres régionaux et dans les quelques rares centres dépendant des délégations se poursuit à pas de tortue avec une campagne de vaccination frileuse et par là même inefficace. Quand on ajoute aux énormes difficultés de la vaccination la débandade générale dans la lutte contre la propagation du virus, sanctionnée par une progression exponentielle de la maladie et du nombre des décès, on se dit que la Tunisie n’est pas au bout de ses peines. Elle ne verra le bout du tunnel que grâce à un sursaut rageur qui permettra la prise de mesures idoines pour rompre la chaîne des contaminations, l’acquisition très rapide des doses de vaccins, une plus grande couverture vaccinale, la multiplication des centres de vaccination et la levée de fonds pour la concrétisation de ces décisions. Sommes-nous capables de ce sursaut et pourrons-nous mobiliser toutes ces ressources dans un contexte où la crise sanitaire se nourrit de la crise économique?
Deux jours après ma vaccination, soit mardi dernier, premier jour du mois de Ramadan, j’ai appris que les convoqués au centre de Manouba qui se sont présentés, le matin, à l’heure qui leur avait été indiquée, avaient été vaccinés à cette heure-là exactement. Par quelle grâce ? Nous y reviendrons.
Habib Mellakh
Leaders, 17 avr 2021
Etiquettes : Tunisie, vaccination, covid 19,