Algérie / Législatives et candidatures libres: mirage et désenchantement

C’est un dur parcours de combattants auquel sont livrés les candidats indépendants pour les prochaines élections législatives anticipées prévues le 12 juin prochain. Difficultés d’obtenir des parrainages, lenteurs de l’administration et un financement rachitique. Le Jeune Indépendant a suivi dans cet hypothétique périple vers l’hémicycle du boulevard Zighoud Youcef, des candidats libres armés de leur foi et de leur espoir face à des mastodontes électoraux rompues aux rouages de l’administration et de l’art de la persuasion. Ils sont sortis de cette expérience métamorphosés.

Rabie ne sera pas candidat indépendant aux futures législatives du 12 juin. Il vient de renoncer à cause d’une affaire de paperasse. Un document fiscal qui lui fait défaut. Les services des impôts se montrent inébranlables et ne veulent rien savoir. Rabie doit payer des amendes et effacer un petit reliquat. Pour lui, un simple extrait de rôles vaut de l’or.

Le rendez-vous avec son destin politique est raté. Il devra encore patienter cinq ans. La courte expérience de sa candidature avortée fut un véritable parcours de combattant. Presque un défi. “Je ne pensais pas que la politique est une affaire de connaissance, de réseaux, d’argent. Je voulais tenter la députation, c’est le désenchantement”. Philosophe en ces jours de jeûne, Rabie freine ses ardeurs politiques et hirakistes. “Le mieux est de prendre tout cela comme une leçon. Une candidature indépendante pour la députation est un rêve fou. C’est aussi un mirage. Désormais, je ne croirais plus aux promesses et aux paroles”, lâche-t-il résigné au Jeune Indépendant.

Comme Rabie, Messaoud T. confie sa vaine tentative de briguer un siège à la future Assemblée populaire nationale. Gérant et propriétaire d’une petite entreprise, il ne se doutait pas un seul instant que cette aventure est l’une des plus compliquée. ” Je pensais avoir vu et vécu tous les enfers de la bureaucratie, quand j’ai lancé il y a quatre ans ma boite. Avec cette affaire des législatives et des listes indépendantes, j’ai dû baisser les bras et abandonner. Il y a trop d’obstacles et d’embûches.”

Messaoud pointe du doigt tous les lourdeurs et les entraves bureaucratiques. Selon lui, l’affaire des législatives a été une opération qui manquait du temps, mal préparée par l’administration et l’Autorité nationale indépendante chargée des élections. “Chaque jour, on apprend une nouveauté dans la règlementation. Il y a trop de procédures, trop d’exigences. J’aurais dû choisir un parti politique. C’est plus facile et moins contraignant”.

Issu des gestations du mouvement citoyen du hirak, des marches hebdomadaires et des slogans des vendredis, Messaoud avoue qu’il ignore les dispositifs de la loi électorale et des complexes conditions d’éligibilité exigées dans ce processus. Pour lui, comme pour d’autres jeunes, ce sont les promesses d’aides aux financements étatiques dans sa campagne qui l’ont poussé à tenter le diable.

Dépité, Messaoud pense que la loi a donné des facilitations aux partis, mais pas aux candidats libres ou aux listes indépendantes. Rien qu’avec cette histoire de parrainage, de validation des formulaires des signatures, il tourna en rond pendant des jours et des nuits.

Certains citoyens estiment que la difficulté demeure cette quête de signatures en faveur des candidats. “L’opération est délicate et très ardue. Pour gagner les élections, il faut gagner d’abord ces signatures. Ce n’est pas une bataille aisée même pour les formations politiques”, nous dit Brahim, un politique aguerri, qui a fait ses classes au sein du vieux parti le FLN.

Il signale que les jeunes ne sont pas totalement portés sur la chose politique et ignorent presque tout de l’action électorale. Il a indiqué que même les partis politiques les plus connus n’arrivent pas à trouver le bon créneau pour mobiliser au moins une centaine de jeunes par commune, qui serait la base arrière de tout activité politique.

L’argent le nerf de la campagne

Brahim pense aussi que durant les dernières années, la vie politique comme les partis politiques n’ont pas fonctionné réellement, se contentant des quotas attribués à chaque élection législative ou communale. Les débats politiques n’existaient pas. Les médias étaient fermés aux émissions d’actualité et cela ne permettait pas d’émergence de nouvelles figures, de découvrir des têtes. Même la proximité a disparu.

Cependant, et contrairement aux partis politiques, qui connaissent le milieu de la bureaucratie et les toiles de l’administration, possédant des cadres aguerris et rompus à ces parcours électoraux, ces jeunes candidats libres, novices pour la plupart, semblent perdus et affaiblis à l’avance par la compétition. Certains guidés par l’ambition s’en mêlent et s’engagent dans certaines formations lilliputiennes. D’autres actifs dans le mouvement associatif s’appuient sur leurs camarades de la société civile pour confectionner une liste et la déposer dans les délais. Mais ce n’est pas tout.

Car d’abord, une candidature à la députation est une affaire de financement et de grosses dépenses notamment face aux imprévus. Tout dépend de la taille des wilayas, des agglomérations, des régions et de sa démographie. La nouvelle loi sur le régime électoral a voulu mettre des paravents sur l’influence de l’argent dans les choix des candidatures, elle oblige les candidats libres à chercher de l’argent pour financer les premières démarches à travers les quartiers, les cités populaires, les villages et autres hameaux.

En dépit des facilitations offertes par l’Etat pour encourager les jeunes à s’intégrer dans la vie politique, à travers la gratuité des salles destinées aux meetings et autre rassemblements, ainsi que la disponibilité des panneaux publicitaires, des candidats trouvent des difficultés pour former leurs listes de candidatures, pour engranger le nombre requis des parrainages.

La crainte de retomber dans les mêmes travers des précédentes expériences pèse lourdement. Certes, il n’y a plus de hiérarchisation, plus de tête de liste, le mode du scrutin a permis à l’électeur d’être libre de choisir le candidat qu’il préfère sur une longue liste. Le gros nabab qui achète les sièges, les candidats, les parrainages et les voix de l’urne le jour du vote, n’existe plus avec le nouveau dispositif.

La représentation proportionnelle au vote préférentiel sur une liste ouverte est un acquis immense pour les jeunes candidats. Or, c’est la confection d’un programme commun, une liste commune et une campagne collective qui deviennent une mission impossible.

Avant, le jeu était fermé pour les ingénieurs, les médecins, les architectes, les enseignants universitaires, les jeunes chercheurs et les intellectuels libres, car les partis politiques les refusaient et s’en méfient. Libérer toute cette énergie de cadres en si peu de temps pour rentabiliser une élection et bien encadrer un futur Parlement est certes louable, comme initiative politique.

L’idée pourrait bien être comme une émanation de l’esprit du hirak populaire et démocratique.
Mais, le temps court dans l’annonce de la dissolution de l’APN et l’organisation des élections législatives anticipées suffiront -il pour changer les mentalités et les pratiques qui ont fait reculer l’Algérie?

Le Jeune Indépendant, 18 avr 2021

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