Mohamed Habili
Dans le monde d’aujourd’hui, un pays isolé est un pays bientôt attaqué. Le meilleur exemple reste la Libye de Kadhafi, qui n’a trouvé personne en 2011 pour prendre place à ses côtés lorsque l’agression franco-britannique allait s’abattre sur elle. Son isolement au plan international l’avait condamnée. Même les pays les plus puissants militairement et économiquement, de ce fait capables de se défendre, n’ont quand même rien à gagner, rien que des coups, à se trouver isolés, c’est-à-dire sans alliés.
Un pays, quel qu’il soit, a un besoin vital d’alliés sûrs, en premier lieu dans son environnement immédiat, dont ses agresseurs potentiels sauraient par avance qu’ils s’interposeraient. C’est parce que la Turquie sous Erdogan a réussi à n’avoir que des ennemis à l’est de la Méditerranée qu’elle s’est résolue finalement à se tourner vers l’Egypte, le pays avec lequel elle s’entend le moins dans la région, mais duquel elle se sent suffisamment proche à bien des égards pour faire taire ses préventions à son endroit. Pour le président turc, et sans doute aussi pour une bonne partie de l’opinion turque, il vaut toujours mieux se réconcilier avec un pays musulman, de surcroit un temps sujet de l’empire ottoman, que se retrouver entourés d’Etats qui ne pensent qu’à leur nuire.
Ce dont la Turquie se sent aujourd’hui menacée, certes ce n’est pas d’une agression militaire comme ce fut le cas il y a maintenant une décennie pour la Libye, mais d’un partage des ressources énergétiques en mer qui se ferait à ses dépens. Cette menace est d’autant plus réelle qu’elle s’est déjà aliénée les Européens, et en premier lieu la France, avec laquelle les relations ne sont pas loin de se rompre. Entre elles deux, on peut dire que c’est déjà l’animosité déclarée. Il suffirait de pas grand-chose pour que leurs rapports s’aigrissent tout à fait, ce qui du reste avait failli se produire en Méditerranée entre deux de leurs navires de guerre, il y a de cela quelques mois.
La France n’est pas à l’est de la Méditerranée, mais elle y compte des amis, comme il se doit hostiles à la Turquie. De là le désir de la Turquie de réconciliation avec l’Egypte, d’autant plus grand qu’elle ne voit chez cette dernière aucune envie de la déposséder de ce qui lui revient de droit en Méditerranée. Donald Trump a dit de Recep Tayyip Erdogan qu’il était un joueur d’échec de niveau mondial. Si le compliment est mérité ou objectif, c’est le moment pour Erdogan d’avancer ses pièces de façon à consolider ses positions sur tous les points de tension en Méditerranée. Il lui faut tout à la fois renouer avec l’Egypte, conserver son influence en Libye, et maintenir son leadership sur l’ensemble des courants islamistes dans le monde arabe et musulman, le tout bien sûr sans devoir rien perdre de sa part d’hydrocarbures en Méditerranée.
Cela semble la quadrature du cercle. Mais un manœuvrier de niveau mondial comme lui devrait pouvoir tirer son épingle dans chacune de ces directions. Sur invitation de l’Egypte à ce qu’il semble, une délégation turque se rendra au Caire au début du mois prochain pour faire avancer le dossier de la normalisation. Cette délégation ne sera pas conduite par le ministre turc des Affaires étrangères. Le rapprochement n’en est pas encore à ce point en effet. N’empêche, les Turcs ont annoncé la nouvelle comme si c’était lui en personne qui avait été mandé par le Caire. D’ailleurs, c’est lui qui le premier en a parlé.
Le Jour d’Algérie, 16 avr 2021
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