Tout va bien? Non! Rien ne va. Il faut être clair, le bon fonctionnement de notre société montre des limites qui détériorent la confiance en bien des endroits.
Nous pouvons illustrer ces dysfonctionnements à travers 4 domaines distincts: l’économie, la solidarité, l’implication individuelle et la gouvernance.
L’économie, le déficit et son financement
Ce n’est pas un scoop, notre dette publique s’envole au galop, sous les effets d’un déficit abyssal. Les volontés publiques, et en particulier le pied lourd de la BCE qui arrose sans discontinuité le marché de « billets », poussent la masse monétaire à un niveau jamais atteint. Artificiellement, l’enjeu du déficit et son financement ne sont plus des préoccupations du moment. Les économistes sont unanimes: la monnaie ne repose que sur la confiance que les parties lui réservent, l’altérer est dramatique. Et pourtant cette confiance s’étiole. Le bitcoin dont la valeur transactionnelle progresse constamment, l’or comme valeur refuge, l’immobilier comme actif tangible, tous attirent nettement. Ils se renforcent en réponse à une défiance croissante en la monnaie. Quelle sera la prochaine étape…?
La solidarité et les aides publiques
Les aides à l’économie réelle sont justes tant qu’elles sont proportionnelles. Lorsque vous exploitez une activité et que l’État vous exproprie le droit de l’exploiter, à des fins collectives, il doit vous indemniser justement. Mais depuis la crise s’installe. Et les privations demeurent. Il est donc bien du devoir de l’État de soutenir les dizaines de milliers de professionnels littéralement étouffés. Pas par pitié, mais par justice.
Le coût de cette aide est surmontable. Il doit être comparé à l’énorme trou que cette disparition laissera, à défaut d’assistance, en termes de charges sociales et publiques et de recettes perdues. En annonçant la taxation des primes covid, l’État fit preuve d’un égocentrisme public déplacé: celui de vouloir contenir un peu « son » déficit public face au séisme économique de ses bénéficiaires… Interrogez les victimes des attentats de 2016 et vous verrez que nos institutions abandonnent très vite les blessés d’une crise après le passage de la lumière.
Agir ainsi alimente le terreau de la méfiance, un puissant catalyseur d’une fracture croissante entre le monde public et le monde privé.
L’implication individuelle plutôt que l’exclusion sectorielle
Un confinement est par nature un point de rupture vis-vis du quotidien. Tu fais et puis tu ne peux plus faire, un temps. La difficulté vient quand le temps s’installe. Le « lockdown belge » repose sur deux principes que sont la protection du plus faible et le moyen d’y arriver par une privation différenciée: certaines activités sont autorisées et d’autres ne le sont pas. Les 2 principes sont bien légitimes en soi, c’est la raison pour laquelle elle bénéficie initialement d’une adhésion naturelle.
Mais la stratégie n’a pas fonctionné, car on a oublié que ces deux principes, pour vaincre la covid, requièrent deux préalables: la discipline collective (chacun se prive) et in fine les merveilles de la science (le vaccin). L’homme est un animal, sa discipline covid est le produit de plusieurs facteurs dont l’éducation et la pertinence de la sanction, notamment à travers la communication… Bref, le produit d’un investissement à court terme et à long terme. À l’heure où les médias de l’immédiateté permettent d’attirer l’attention de multiples façons, personnellement j’ai été très peu exposé à une communication qui m’atteint, qui me touche, qui me parle et qui m’implique. Ce que j’ai vu et entendu est collectif: c’est l’autre qui fera l’effort et ça fonctionnera… ou pas. Faute de résultat, l’adhésion disparait nettement et la méfiance s’installe confortablement, inverser cette tendance s’avèrera difficile.
La bonne gouvernance et le « vaccingate »
Le vaccin est l’exemple parfait d’un dérapage public. Annoncé à renfort de communication, il devait garantir à tous l’immunité à brève échéance. Aujourd’hui des pays comme Israël, le Maroc, l’Angleterre, les États-Unis ou Malte donnent la leçon. Mais les travers sont partout. Le saucissonnage de notre stratégie, de nos outils et des modalités de vaccination entre l’Europe, le Fédéral, les régions, les provinces et les acteurs communaux sont le berceau d’une impréparation digne des meilleurs « study case » universitaires. Ces hésitations alimentent en continu le sentiment d’une gestion de crise chaotique. Mieux, lorsqu’un politique manifeste son désaccord ou exprime l’évident non-respect de certaines règles difficiles, ils font la une de tous les médias, loin des préoccupations du peuple. Ceci renforce le décalage entre celui-ci et les élites au profit de la méfiance.
En conséquence: un trou, un immense trou qui ne règle rien. Une terrible frustration entre ce monde qui nous pilote, et vous et moi qui les subissons. Ce trou s’appelle méfiance. Et même si je pense qu’il est bien aujourd’hui difficile d’être un homme public qualitatif, le temps est venu de changer leurs attitudes sans bruit, loin des lumières, d’instaurer la bonne gestion au top de nos priorités, d’organiser l’univers public pour assurer simplement un bon fonctionnement.
Et s’ils en prenaient véritablement pleine conscience…?
Par Emmanuel Degrève, conseil Fiscal, partner chez Deg & Partners, professeur à l’EPHEC et président du Forum For the Future.
L’Echo, 16 avr 2021
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