Par Yazid Ben Hounet(*)
«La France « déplore » les menaces du gouvernement algérien contre son ambassadeur », peut-on lire dans la dépêche de l’AFP reprise dans Le Monde du 13 avril 2021 (9h30). En ligne de mire, le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement algérien, Ammar Belhimer – ancien journaliste, professeur de droit et auteur d’essais critiques concernant certains grands enjeux de notre monde (entre autres : Les printemps du désert, 2016 ; Les dix nouveaux commandements de Wall Street, 2017 ; Par quel droit tenir le net ? 2020 ; ouvrages publiés en Algérie).
D’habitude, lorsque la France « officielle » déplore ou s’inquiète de propos (ou d’actes) vis-à-vis d’un de ses ambassadeurs, elle le fait via des canaux diplomatiques. A fortiori lorsque cette inquiétude porte sur le gouvernement (et/ou l’un de ses membres) du pays d’accueil de l’ambassadeur. Pourquoi donc passer par l’AFP et Le Monde pour pointer du doigt un ministre algérien et appuyer au passage la propagande du statu quo, non conforme au droit international, s’agissant du Sahara Occidental ?
La veille, Le Monde publiait un article au procédé assez étrange. Alger est à l’origine de l’annulation de la visite et c’est une « source diplomatique française » qui s’épanche fort opportunément sur les raisons de l’annulation. Les autorités algériennes – par diplomatie justement – ne se sont pas appesanties sur le sujet mais ont laissé d’intéressantes informations à qui voudrait jeter un coup d’œil sur les pages « Monde » de la très officielle agence Algérie presse service : juste ici https://www.aps.dz/monde. L’article datant du 12 avril, 8h50, est on ne peut plus clair ; et corrobore l’analyse que j’avais rédigée la veille (publié le 13 avril dans Le Soir d’Algérie).
Le 13 avril également, l’ambassadeur de France en Algérie publie un démenti formel relatif à un article paru dans le journal Liberté du 8 avril. Le timing est intéressant. Pourquoi n’est-il pas intervenu le jour ou le lendemain de la parution de l’article ?
À vrai dire, tout cela ressemble à un mauvais scénario de communication : faire gonfler une fausse polémique pour en cacher une autre, autrement plus importante. S’émouvoir d’une réponse légitime d’un ministre (celle d’Ammar Belhimer), à une question légitime de journalistes (du Arabic Post) relative à des agissements de l’ambassadeur de France tels que rapportés par la presse (Liberté du 8 avril) et non démentis par le premier concerné jusqu’au 13 avril. Pour cacher une autre réalité politique autrement plus problématique : une mésentente majeure s’agissant d’un contentieux colonial.
Le 10 avril, moins de deux jours après l’annulation de la visite de Jean Castex, on pouvait lire ceci dans Algérie presse service : Le ministre [Ammar Belhimer] a réitéré le soutien de l’Algérie à la cause sahraouie, envers laquelle sa position demeure « claire ».
« L’Algérie n’a eu de cesse de réaffirmer son soutien à tout accord convenu entre les parties au conflit dans le Sahara Occidental en vue de mettre un terme à la guerre dans la dernière colonie en Afrique », a-t-il précisé.
Le 13 avril, on pouvait lire ceci dans l’article AFP/Le Monde : «L’ouverture d’un comité du parti présidentiel La République en marche (LRM) à Dakhla, au Sahara Occidental, a par ailleurs suscité des interrogations en Algérie, qui soutient les indépendantistes sahraouis du Front Polisario dans ce territoire en grande partie sous contrôle marocain. Interrogé sur ce point, le ministère français des Affaires étrangères a botté en touche. […]
De son côté, la direction de la LRM [parti présidentiel rappelons-le] a laissé entendre qu’elle ne reviendrait pas sur cette décision qui relève, selon elle, d’une ‘’initiative locale’’.»
On pouvait y lire aussi ceci : « M. Belhimer, un ex-journaliste de 65 ans, diplômé en droit d’une université française, est coutumier des déclarations critiques à l’encontre de la France .»
Quand on ne peut pas attaquer les principes d’un gouvernement et du ministre qui le représente, on attaque l’homme. Pendant ce temps-là, on ne parle toujours pas de grands principes fondamentaux et d’importants sujets relevant du droit international et des droits humains.
132 ans de colonisation, 191 années de mépris ? Encore une fois…
Y. B. Ho.
(*) Anthropologue, chargé de recherche au CNRS. Membre du Laboratoire d’anthropologie sociale (CNRS-Collège de France-EHESS), Paris.
Le Soir d’Algérie, 15 avr 2021
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