Par Yves Bordenave
ENQUÊTELe dimanche 23 juillet 1961, des centaines de militaires favorables à l’Algérie française déferlent dans la ville lorraine en ciblant les travailleurs algériens. Des documents inédits aident à retracer le scénario de ces violences oubliées.
L’affaire remonte à l’été 1961, à Metz. A l’époque, Tahar Hocine habitait le quartier de Pontiffroy, « la médina » messine comme le désignaient certains habitants. Agé de 36 ans, il tenait un restaurant, La Ville d’Alger, au 39, rue du Pontiffroy, et louait des chambres à des compatriotes. Environ deux mille Algériens vivaient alors dans le secteur, un dédale miséreux composé de vieilles bâtisses, le plus souvent sans eau ni électricité.
Jusqu’à la démolition du quartier, à partir de 1968, cette main-d’œuvre venue en nombre après la seconde guerre mondiale occupait des chambres sans confort, de minuscules garnis, meublés de trois fois rien : un lit, une chaise, avec les toilettes et le lavabo sur le palier. Ces travailleurs sous-payés étaient employés comme manœuvre dans les usines de la région.
Le dimanche soir 23 juillet 1961, ils sont une dizaine – peut-être un peu plus, M. Hocine ne se souvient plus très bien – qui profitent de cette fin de journée estivale à La Ville d’Alger. Vers 23 heures, l’un des employés revient du cinéma Le Palace, apeuré. « Il avait vu les paras qui cassaient tout, poursuivaient les Arabes et se dirigeaient vers le quartier », raconte l’ancien restaurateur, aujourd’hui âgé de 86 ans.
A ce moment, il ne le sait pas encore, mais une nuit de terreur vient de commencer à Metz. Des militaires français, des « paras » basés à Metz, déferlent par centaines sur la ville et se déchaînent sur la population algérienne. Cette flambée de violence a pour prétexte une vengeance née d’une bagarre meurtrière : mais elle a pour arrière-fond la rancœur ramenée d’Algérie par des hommes frustrés d’une victoire qu’ils croyaient acquise, et d’une cause perdue – celle de l’Algérie française.
Poursuivre la traque des « fells »
Pour prendre la pleine mesure de cette histoire, il faut remonter au mois d’avril 1961, à Alger. A l’époque, la guerre d’indépendance bat son plein, et le 1er régiment de chasseurs parachutistes (RCP) est stationné à Philippeville (aujourd’hui Skikda), sous le commandement du lieutenant-colonel Plassard.
Depuis leur arrivée en Algérie, aux premières heures du soulèvement, à l’automne 1954, ces 1 300 hommes n’ont cessé de combattre les fellaghas, des Aurès au Constantinois, en passant par la Kabylie et la frontière tunisienne. De janvier à octobre 1957, le régiment s’est distingué en première ligne dans la bataille d’Alger sous les ordres du général Massu. En ce mois d’avril, il va de nouveau se faire remarquer, mais cette fois en participant à la tentative de putsch menée par les généraux Challe, Jouhaud, Salan et Zeller, favorables à l’Algérie française.
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